PRÉDATION
Plan loup 2024-2029 : les professionnels se mobilisent

Dans la dernière ligne droite, avant l’annonce officielle du futur plan loup et activités d’élevage, les organisations professionnelles agricoles travaillent d’arrache-pied pour améliorer les différentes dispositions envisagées par les pouvoirs publics.

Plan loup 2024-2029 : les professionnels se mobilisent
De gauche à droite : Claude Font, responsable du dossier prédation à la Fédération nationale ovine (FNO) et Bernard Mogenet, président de la FDSEA de Savoie, en charge du dossier à la FNSEA. ©Apasec

Dans le cadre de la consultation publique prévue par le gouvernement, la FNSEA, Jeunes agriculteurs (JA) et les organisations de l’élevage se mobilisent pour améliorer le projet de plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage pour 2024-2029, annoncé le 18 septembre dernier à Lyon. Le moins que l’on puisse dire est que la communication gouvernementale n’a pas répondu aux attentes des éleveurs. « Nous sommes super déçus », avait déclaré Bernard Mogenet, président de la FDSEA de Savoie, en charge du dossier à la FNSEA, alors que le loup est désormais présent dans une soixantaine de départements.

Améliorer le comptage

Le premier axe visé est une meilleure connaissance du loup prévue dans le plan. Si le gouvernement est prêt à s’engager dans une méthode de comptage plus robuste en matière d’indices, les professionnels déplorent le parti pris des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), souvent plus attentifs aux arguments des organisations environnementalistes qu’aux préoccupations des éleveurs. Pourquoi, par exemple, ne pas utiliser les hurlements et procéder à une évaluation des meutes présentes dans un département plutôt que des seuls individus ? « Ça permettrait de s’approcher mieux de la réalité », estime la FDSEA de la Drôme, particulièrement impactée par le prédateur avec 31 meutes sur le territoire. « L’estimation de la population lupine est un vrai sujet », renchérit Claude Font, en charge du dossier prédateur à la Fédération nationale ovine (FNO), quand on sait par exemple qu’une baisse affichée de 20 % de la population lupine a été annoncée par l’OFB l’été dernier avant d’être démentie quelques semaines plus tard par la même structure. Ce qui renvoie au statut du loup. Espèce « strictement protégée », le loup devrait devenir « protégé ». Avec plus de 1 100 loups recensés, le seuil de viabilité de l’espèce de 500 individus est largement dépassé. Une ouverture a eu lieu en ce sens. En septembre dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, s’est prononcée en faveur d’une révision du statut du loup. Le plan loup n’écarte pas cette possibilité mais à l’horizon 2026. « Il faut aller plus rapidement », plaide Bernard Mogenet.

Simplifier les tirs

Le deuxième axe concerne la gestion et la prévention des attaques. Si la profession reconnaît quelques avancées en matière de promesses d’accélération du paiement des aides à la protection, d’accompagnement des éleveurs pour la pose de clôtures électrifiées, de déploiement de brigades mobiles de bergers, ainsi que de l’évolution du statut des chiens de protection pour dégager la responsabilité des éleveurs, elle déplore que la non protégeabilité des troupeaux bovins, équins et asins ne soit pas encore inscrite dans le futur plan. Car le loup ne se contente plus d’attaquer les troupeaux ovins. De plus en plus d’élevages bovins, équins et asins sont victimes du prédateur. C’est pourquoi, la FNSEA et JA plaident pour que des tirs de défense soient automatiquement octroyés aux éleveurs dans les zones de présence du loup pour prévenir les attaques. D’une façon générale, en matière de tir, les organisations professionnelles déplorent que le gouvernement ne soit pas allé assez loin dans l’allègement des protocoles. Aussi, ils demandent une simplification des tirs et une fusion des tirs de défense simple et renforcée. Autres demandes, le détenteur d’un tir de défense devrait pouvoir saisir directement les louvetiers sans attendre le bon vouloir de l’administration. Les éleveurs et les chasseurs devraient avoir accès à des armes équipées de dispositifs de visée nocturne et ne devraient plus être obligés d’éclairer le loup avant d’effectuer un tir. Plus globalement les organisations estiment que le plafond de prélèvement de 19 % ne doit pas être un « totem » et qu’il doit être supprimé.

Davantage de réactivité

Quant aux indemnisations des pertes, le syndicalisme demande qu’elles soient fixées au plus juste de la valeur des animaux comme le prévoit d’ailleurs le plan loup. Ce qui veut dire que la réévaluation du barème soit plus fréquente pour tenir compte de l’inflation, que les pertes indirectes soient prises en compte, « y compris les pertes génétiques », précise Claude Font, et que les délais de paiement soient raccourcis. La proposition des pouvoirs publics de 125 jours maximum est jugée trop longue. Quel que soit le sujet, les organisations professionnelles se prononcent en faveur d’une gouvernance plus réactive et plus adaptée. L’une des voies serait d’accorder plus de pouvoirs aux préfets, tant dans l’octroi des tirs de défense que pour l’autorisation des tirs de prélèvement. Mais au-delà des mesures inscrites dans le futur plan loup, l’élevage et le pastoralisme doivent être mieux soutenus et constituer la colonne vertébrale du plan 2024-2029, insistent les organisations professionnelles. Son maintien contribue à la sauvegarde de la biodiversité et à l’équilibre des territoires. Ce que de nombreuses organisations environnementales oublient.

Actuagri

PLAN LOUP 2024-2029

En consultation jusqu’au 7 décembre

Le gouvernement a mis en consultation jusqu’au 7 décembre son plan national d’actions (PNA) 2024-2029 sur le loup et les activités d’élevage, aussi appelé « plan loup ». Un texte conforme à ce qui avait été présenté au groupe national loup en septembre. Comme annoncé par l’exécutif, le PNA prévoit notamment d’« étudier l’adaptation du statut juridique du loup à son état de conservation » (1 104 individus en 2023). Le gouvernement compte aussi « renforcer la protection et la prévention des attaques ». Un objectif qui passera par des « dispositifs plus flexibles » pour les fronts de colonisation, un travail sur les élevages et zones non-protégeables, ainsi qu’une sécurisation juridique de l’utilisation des chiens de troupeau. Du côté des tirs, le plafond de prélèvement (19 % des effectifs lupins) « pourra éventuellement évoluer au cours du PNA », et le protocole sera simplifié. Des mesures qui font l’objet d’un projet d’arrêté, également mis en consultation. Le PNA prévoit encore d’« indemniser de façon plus juste les pertes indirectes » dues aux attaques et de « prendre en compte les enjeux de santé » des éleveurs. Enfin, comme attendu, la méthode de comptage sera revue et simplifiée d’ici 2025. Saisi de ces textes, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a émis des avis défavorables pour chacun d’entre eux.

Loup : le vrai prix des mesures de protection
Pour assurer la protection du troupeau, l’exploitation possède huit chiens de protection de race bergers des abruzzes. ©S.C.
ÉCONOMIE

Loup : le vrai prix des mesures de protection

L’Idele a mesuré l’impact des mesures de protection sur la ferme ovine du lycée agricole Carmejane dans les Alpes-de-Haute-Provence. La prolificité et la fertilité sont en recul tandis que le temps de travail et les charges ont explosé.

Depuis 2015, la ferme ovine du lycée agricole de Carmejane dans les Alpes-de-Haute-Provence a subi les assauts du loup à plusieurs reprises. Avec une trentaine de meutes recensées, ce département est le plus impacté par le loup en France. « L’exploitation compte un troupeau de 650 brebis allaitantes, 60 ha de surfaces cultivées, 500 ha de parcours boisés de proximité et deux estives collectives de 160 ha », détaille François Demarquet, le directeur de la ferme. Suite aux premières attaques, des mesures de protection ont été mises en place de manière graduelle : des parcs de regroupement nocturne, du gardiennage de jour, le recours à huit chiens de protection, la simplification de l’allotement et une surveillance et une protection renforcée au pâturage avec des visites quotidiennes ou plus, et la pose de filets électrifiés en compléments des clôtures et des grillages. Un arsenal de protection qui n’est pas sans conséquence sur les résultats technico-économiques de l’exploitation. Pour évaluer précisément cet impact, l’Idele a comparé les résultats techniques de la ferme entre les campagnes 2013-2014 et 2018-2020, et les résultats sont édifiants.

420 heures de travail en plus par an

La mise en place des cinq mesures de protection a conduit à 33 779 € de charges supplémentaires pour la ferme, loin d’être compensées intégralement par les mesures du plan loup, puisque le reste à charge est de 12 170 € par an. La fertilité a diminué de 5 % tandis que la prolificité recule de 20 % entre les deux périodes. Cela représente 76 agneaux de moins sur 350 brebis. Enfin, le temps de travail du personnel de l’exploitation (hormis celui du berger salarié pendant 5 à 6 mois par an), lié à l’utilisation des parcours et des prairies, aux soins apportés aux chiens de protection (hors temps d’éducation) et à la gestion administrative en lien avec la protection du troupeau a augmenté de 420 heures, passant à 910 heures par an. « Techniquement, à cause du risque de prédation, les orientations stratégiques de l’exploitation ont dû être revues. Aujourd’hui, les décisions concernant la conduite du troupeau reposent en priorité sur la protection des animaux, puis, dans un second temps, sur la recherche d’un bon niveau de performances techniques et sur les conditions de travail de l’équipe de la ferme », témoigne François Demarquet. Peut-on extrapoler ces résultats à toutes les fermes soumises à une forte pression de prédation ? Difficile à dire, selon Pierre Guillaume Grisot, de l’Idele. « Cela dépendra du type de conduite retenue. À Carmejane, la baisse de fertilité s’explique en partie par la limitation du nombre de lots au pâturage et le regroupement nocturne. Ailleurs, un autre type de stratégie pourra peut-être ne pas altérer les résultats. Mais une chose est sûre, quel que soit le modèle retenu, la mise en place de mesures de protection génère des coûts supplémentaires pour les exploitations ovines. Par exemple, les éleveurs qui font le choix de garder leurs animaux en bergerie vont forcément exploser leur coût alimentaire ! » Aussi onéreux soit-il, le dispositif de protection a prouvé son efficacité. À Carmejane, tout du moins. « Aujourd’hui, les attaques ont diminué, nous sommes satisfaits des mesures prises. Sur les parcours et dans les sous bois, le recours aux bergers et aux chiens de protection a montré sa pertinence », analyse Pierre-Guillaume Grisot.

Sophie Chatenet