COVID-19
Crise sanitaire : quels impacts en Ardèche ?

Anaïs Lévêque
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COVID-19 / Depuis une dizaine de jours, les exploitations s’adaptent au durcissement des mesures de lutte contre la propagation du virus Covid-19. Ils subissent de plein fouet le changement radical des modes de consommation et leurs conséquences sur le marché.

Crise sanitaire : quels impacts en Ardèche ?

L’actuelle crise sanitaire causée par le virus du Covid-19 en France laissera sans nul doute des traumatismes dans toutes les filières agricoles et l’ensemble de la société. Partout, les agriculteurs s’adaptent du mieux qu’ils le peuvent, conscients des enjeux actuels. De nombreuses consignes de protection sanitaire conditionnent aujourd’hui la poursuite de leur activité économique. « Nous avons eu une écoute particulière sur le vivant et l’agriculture afin d’assurer la continuité de la chaine alimentaire mais nous vivrons aussi de grandes difficultés et ruptures », prévient Benoit Claret, président de FDSEA. Les conséquences économiques se dessinent d’ores-et-déjà dans de nombreuses filières (voir en page 7).

« La problématique n’est pas de continuer à produire mais de maintenir la transformation et le transport », ajoute Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA et de la FDSEA. En Ardèche, les ateliers de transformation, collectifs pour beaucoup, ne subissent pas de difficulté particulière. Ils disposent de tous les outils et habitudes de travail permettant de se prémunir du virus. En transport non plus, les livraisons fonctionnent bien, le plus grand nombre étant effectuées dans un circuit plutôt local.

Perturbation des marchés

À plus grande échelle, l’évolution des marchés face au changement radical des modes et volumes de consommation oriente les commandes des enseignes de la grande distribution vers des produits de longue conservation et/ou issus de l’importation. Le marché des produits traditionnels et labellisés est bousculé, notamment celui de la viande d’agneau. À l’approche des fêtes de Pâques où les ventes sont habituellement en effervescence, il est sérieusement remis en question cette année. « L’agneau n’est pas un produit que l’on peut conserver », rappelle Alain Crozier, président du syndicat ovin d’Ardèche. La coopérative Agneau Soleil qui commercialise de la viande d’agneau sous label a décidé de réduire ses volumes et concentrer ses prélèvements auprès de ses producteurs adhérents. « Nous essayons de gérer au mieux la crise et limiter la casse mais il y aura des répercussions financières », indique Alain Crozier, vice-président de la coopérative.

Les prix de mise en marché de plusieurs produits de saison en fruits et légumes ont chuté également. « Nous sommes très inquiets tant au niveau du personnel que de la vente. La situation actuelle impacte très fortement la consommation et les marchés. Rien ne part en fraise et asperge », constate Christel Cesana, vice-présidente de la FDSEA. Les principales enseignes de la grande distribution se sont engagées dès lundi à faire la promotion des fruits et légumes français dans leurs rayons et dans leurs supports publicitaires, suite à la mobilisation des organisations professionnelles et syndicats agricoles puis la demande du gouvernement. Il en serait de même pour l’agneau. Outre la standardisation de la consommation, des problèmes logistiques perturbent la fluidité des approvisionnements de fruits et de légumes.

Lait : - 10 à 15 % de production, « voire plus si possible »

Alors que les troupeaux sont mis à l’herbe en cette période de l’année provoquant un pic de production laitière, les laiteries et fromageries commencent à subir, elles aussi, des difficultés et voir leurs outils de transformation saturés. C’est le cas de la laiterie Rissoan située à Luc (Lozère) qui travaille avec des producteurs ardéchois et ne peut pas répondre à la demande de la GMS1 qui cesse le service à la coupe et réclame des produits en libre service. « Je ne peux pas basculer du jour au lendemain en petite production, j’ai ni la place ni le matériel. Il faut prendre des précautions avec ce virus, certes, nous en prenons toute l’année ici, ça nous pose aucun souci, mais si la marchandise ne sort pas, on va droit dans le mur ! », explique son directeur Claude Sepchat. Rupture de cartons, d’étiquettes, de bouchons dans l’usine embouteillage, machines qui ne sont plus réparées... Le manque d’outils et de matériel se fait déjà sentir. « Tout le monde est à l’arrêt... Puis nous nous rendons compte que plus rien ne sort désormais, après les achats en masse des consommateurs, ça se calme d’un seul coup. » Certains transformateurs commencent donc à ajuster leurs volumes de collecte.

Même constat pour la Fromagerie du Vivarais à Désaignes qui fonctionne avec la société Beillevaire (Loire-Atlantique), réseau de distribution auprès d'une soixantaine de points de vente (Grand Frais, épiceries de luxe, GMS...) et une vingtaine de magasins de vente directe. « Les fromages se vendent très peu, il n’y a pas de commandes », témoigne Fabrice Reboullet, président de l’association des producteurs de la Fromagerie du Vivarais. « On nous a demandé de baisser de 10 à 15 % notre production, voire plus si possible. » Une quarantaine d’éleveurs de vaches et de chèvres laitières du département sont concernés. « Il va falloir faire au mieux, tarir les vaches quand c’est possible, baisser les concentrés... C’est très rapide de baisser la production mais on ne remontera jamais à nos niveaux par la suite. Les producteurs sont une fois de plus la cinquième roue du carrosse », se désole-t-il. « Cette année, il a fallu acheter de l’alimentation pour pallier au manque de fourrage. Si nous n’avons plus de ramassage pendant 10 à 15 jours, on met la clé sous la porte. La vie des entreprises est mise en jeu. »

1. Grande et moyenne surface.

« L’enjeu, maintenant, va être de continuer dans la durée »
Les inquiétudes se tournent vers le recrutement de la main d'œuvre saisonnière.

« L’enjeu, maintenant, va être de continuer dans la durée »

EMPLOI / Garde des enfants, droit de retrait, protection sanitaire... En prenant conscience des risques sanitaires et économiques actuels, les exploitants et les salariés agricoles sont mis à rude épreuve. Comment conditionner la poursuite des activités agricoles ?

Sous le coup des mesures prises dans le cadre du confinement, les élans d’organisation et de solidarité étaient au rendez-vous entre les exploitants agricoles et leurs salariés. Comme dans les points de vente et sur les marchés de plein vent, toute une série de consignes sanitaires strictes (voir en page ??) doivent être respectées. Contraignantes, ces mesures de protection sont essentielles et conditionnent la poursuite de leur activité. « Ce n’est pas évident mais c’est primordial pour les animaux, les cultures végétales et nos modes d’alimentation. L’enjeu, maintenant, va être de continuer dans la durée », indique Cécile Lalaque, chargée de mission emploi à la Chambre d’agriculture de l’Ardèche. De nombreux exploitants ont rapidement annulé leurs remplacements non prioritaires, en raison de l’annulation des réunions, formations, congés, ce qui a permis de dégager des salariés sur les besoins qui doivent absolument être assurés : maladie, accidents, maternité... « Nous avons prévenu les salariés que face au moindre problème de santé, doute / symptôme correspondant au coronavirus, ils devaient faire un arrêt de travail par télé médecine comme le permet la MSA. Pour le moment, nous n’avons recensé aucun salarié dans ce cas-là en Ardèche », ajoute-t-elle. « Notre inquiétude est plus sur les personnes malades qui ont d’autres pathologies que celle du coronavirus. Pourra-t-on continuer à les remplacer ? Nous serons certainement amenés à embaucher. » Le service de remplacement de Centre Ardèche, notamment, a besoin d’un salarié à temps plein à partir de début avril.

Faciliter le recrutement de la main d'œuvre

« Nous devons être solidaire, organiser des équipes selon les besoins, rendre service, travailler avec les mêmes entreprises... », estime Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA. Les inquiétudes se tournent vers les contraintes qui se poseront prochainement avec les cultures saisonnières (voir en page ??), si le confinement devait durer jusque là. « Tous ceux qui pourront privilégier le recrutement local, s’il est disponible, auront un avantage car il nécessite moins de déplacements et le personnel pourra rentrer manger à midi, indique Cécile Lalaque. Mais sur de nombreuses exploitations où les équipes viennent souvent de loin, se poseront des soucis quant à l’endroit où elles vont loger, manger, etc. » Le recrutement de la main d'œuvre saisonnière est lui-même bouleversé : « Nous allons faciliter le recensement et l'expression des agriculteurs qui auraient des besoins de main d'oeuvre via la page Facebook de la Chambre d'agriculture de l'Ardèche où nous les mettrons en relation avec ceux qui se proposent ou seraient disponible à travailler pour eux, que nous invitons à l'indiquer sur ce même réseau social. »

A.L.

Activité des abattoirs

L'ESAT1 Saint-Joseph de Veyras qui assure habituellement l’abattage de volailles fermières a dû cesser son activité. En collaboration avec la DDCSPP2, la Chambre d’agriculture a immédiatement dirigé les éleveurs vers d’autres abattoirs en capacité d’accueillir leur production. L’abattoir du Val d’Ay à Quintenas, entre autres, devait éventuellement créer une demi-journée d’abattage supplémentaire afin d’absorber une partie des volailles ne pouvant plus se faire sur Veyras. Pour les volumes trop éloignés géographiquement de Quintenas situé au nord de l’Ardèche, les exploitants agricoles doivent contacter la Chambre ou la DDCSPP afin d’être orientés vers d’autres structures d’abattage dans le Gard et le Vaucluse notamment.

Pour les autres productions, les abattoirs d’Annonay, Privas et Aubenas sont ouverts bien que de petites difficultés commencent à se faire sentir. À Aubenas en particulier, l’abattoir est en manque de main d'œuvre. Les éleveurs ardéchois sont réorientés, là aussi, vers d’autres structures d’abattage selon leur situation géographique et leurs besoins. En attendant que la situation s’améliore, la coopérative Val Soleil dirige également ses agneaux prélevés en Ardèche vers son abattoir à Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence). « C’est fragile mais ça se passe pas trop mal globalement. Les difficultés se gèrent jour par jour, heure par heure avec la DDCSPP. Nous restons vigilants, c’est encore très anecdotique », constate Lucia Latré, chargée de mission-coordinatrice transformation, circuits courts, tourisme à la Chambre d’agriculture de l’Ardèche.

1. Établissement et service d'aide par le travail.
2.
Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la protection des Populations.