CÉRÉALES
Andrée Defois : « Les prix se maintiendront à des niveaux élevés »

Directrice générale adjointe du cabinet d’études agro-économiques Tallage, Andrée Defois livre son regard sur l’impact de la guerre en Ukraine sur les marchés céréaliers. D’après elle, leurs niveaux devraient rester élevés jusqu’en 2022-2023.

Andrée Defois : « Les prix se maintiendront à des niveaux élevés »
Andrée Defois, directrice générale adjointe du cabinet d’études agro-économiques Tallage. ©Agrapresse

Quel est le manque de grains sur le marché mondial à cause de la guerre en Ukraine ?

Andrée Defois : « La guerre en Ukraine prive le marché mondial d’environ 11 Mt de blé : 6 Mt à exporter par l’Ukraine en 2021-2022, 5 Mt côté Russie. En orge, l’impact est très limité sur la campagne actuelle. Cela concerne 300 000 t restant à livrer en origine ukrainienne, plus de 1 Mt en origine russe. Mais la situation diffère entre les deux pays : tous les ports ukrainiens sont bloqués contrairement aux russes. Les exportateurs se montrent toutefois hyper prudents, vu le risque de défaut des compagnies russes touchées par les sanctions internationales, et l’explosion des coûts d’assurance sur la mer Noire. »

Qu’en est-il pour le maïs ?

A.D. : « Un plus gros problème se pose en maïs avec environ 12 Mt qui ne sortiront pas d’Ukraine d’ici la fin de la campagne et presque 1 Mt pour la Russie. Les États-Unis, l’Amérique du Sud et l’Inde peuvent en partie suppléer l’Ukraine et la Russie. Le bémol, c’est que la récolte du Brésil et ses exportations massives commencent en juillet. D’ici-là, une période assez délicate se profile. L’Union européenne ne pourra pas importer autant que prévu : 1 à 2 Mt en moins. Elle perd 2 à 3 Mt de maïs ukrainien, partiellement remplacé par du maïs américain, brésilien ou même argentin car le gouvernement espagnol a annoncé un assouplissement temporaire des règles phytosanitaires encadrant l’importation de maïs d’Argentine et du Brésil destiné à l’alimentation animale, via un relèvement du taux maximum de résidus autorisé. Cette moindre disponibilité en maïs met sous pression les consommations animales. On table aujourd’hui sur une baisse des productions animales, donc une moindre demande en maïs sur 2022-2023 ».

Quels producteurs sont à même de suppléer l’Ukraine et la Russie ?

A.D. : « On pense à l’Australie pour l’orge, car il lui reste pas mal de disponibilités à l’export. Les quantités à substituer ne sont pas très importantes. Pour le blé, les exportateurs traditionnels sont sur les rangs. L’Amérique du Nord un peu, ses disponibilités résiduelles n’étant pas élevées après la forte sécheresse de l’an dernier. L’Inde répond présent, l’Argentine et le Brésil seulement à la marge. Il y a surtout l’Union européenne qui apparaît comme l’un des plus gros exportateurs mis à contribution. La France livrera davantage. Nos prévisions avant le déclenchement de la guerre montraient un bilan européen du blé quasi équilibré sauf au niveau français, où plus de 3 Mt restaient en stock faute d’exportations suffisantes avec des soucis qualitatifs et la concurrence de la mer Noire. Les cartes sont totalement rebattues et la France va récupérer des volumes en Afrique. On le voit à travers le dernier appel d’offres de l’Algérie, une destination auparavant bouchée à cause de tensions diplomatiques entre Paris et Alger, d’une qualité insuffisante. Le blé français semble bien revenir en Algérie, le pays acceptant de réduire les exigences de son cahier des charges. Reste qu’il sera difficile de compenser sur le marché mondial tout le manque de disponibilité en blé ukrainien et russe. La demande va certainement baisser. »

Quels scénarios envisagez-vous pour la campagne 2022-2023 ?

A.D. : « Nous tablons sur une chute de la production ukrainienne de 40 %, toutes céréales confondues. Personne ne sait combien de temps la guerre peut continuer, ni la durée des sanctions contre la Russie. À notre avis, les prix mondiaux se maintiendront à des niveaux élevés durant les mois à venir et en 2022-2023. La prochaine campagne restera très affectée par des tensions. En termes d’évolution des prix, tout dépendra de l’allure de la consommation. Deux tendances s’opposent : celle d’une reprise économique en sortie de Covid et celle de l’entrée en guerre .Si la croissance économique s’effondre, en lien avec l’envolée des prix des hydrocarbures, la demande de blé en alimentation humaine va plonger, les productions animales reculer et les bilans s’équilibrer en conséquence. Nos scénarios penchent vers une baisse de la consommation. Sera-t-elle forte ou pas assez ? Là réside la clé de l’évolution des prix. »

Propos recueillis par Jean-Christophe Detaille