SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Les sciences sociales pour mieux comprendre les inquiétudes des consommateurs

Zoé Besle
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Les crises sanitaires ont des impacts importants sur la perception des produits par les consommateurs. La 19e édition des Rencontres régionales de la sécurité sanitaire des laits du 2 décembre dernier s’est penchée sur cette question, tant du point de vue scientifique que sociologique.

Les sciences sociales pour mieux comprendre les inquiétudes des consommateurs
Les principaux facteurs d’inquiétudes identifiés par les consommateurs pour le lait en 2021 sont l’impact sur la santé (18 %), l’origine du produit (16 %) et le bien-être animal (13 %). ©Karin Creuzet

« Mieux vaut prévenir que guérir. » Cet adage populaire résume parfaitement les interventions de Véronique Pardo, anthropologue au Cniel (interprofession nationale laitière) et de Jean-Pierre Poulain, sociologue et professeur à l’Université Toulouse Jean Jaurès, lors de la 19e édition des Rencontres régionales de la sécurité sanitaire des laits. Lors de cet évènement organisé par la fédération régionale des groupements de défense sanitaire (FRGDS) d’Auvergne Rhône-Alpes, sur le thème « Des risques alimentaires aux inquiétudes des consommateurs », les différentes interventions ont montré comment les sciences sociales peuvent aider à comprendre et anticiper les inquiétudes de la population face aux risques sanitaires dans le lait. « L’idée est de sortir de l’approche des risques et des crises habituelles, en effectuant un travail de suivi sur comment l’inquiétude grandit chez le consommateur », explique Véronique Pardo, anthropologue et membre de l’OCHA (Observatoire Cniel des habitudes alimentaires). Sa présentation a mis en lumière les évolutions des résultats de l’étude InquietAlim, menée au long cours par l’organisme depuis plusieurs années. Tous les ans, cette étude interroge un panel de consommateurs varié sur les risques qu’ils perçoivent dans divers aliments : le lait, les produits laitiers, mais aussi la viande ou les fruits et légumes.

« Il peut y avoir une crise sans risques objectifs »

Pour sonder les consommateurs, l’étude leur demande de citer « les risques, problèmes et inquiétudes » qu’ils identifient pour une catégorie d’aliments donnée, par exemple le lait. Le choix d’une de ces trois terminologies a une influence sur les réponses. « Quand on demande aux consommateurs de donner des risques, on a généralement plus de réponses mais elles sont moins diversifiées. Le terme “problème“, lui, est trop vaste, on se retrouve avec des réponses qui sortent du champ de la question et vont vers l’économique ou la santé. “Inquiétude“ est un bon compromis : il n’y a pas de jugement de valeur derrière et on obtient des réponses intéressantes », explique Véronique Pardo. Ainsi, les principaux facteurs d’inquiétudes identifiés par les consommateurs pour le lait en 2021 sont l’impact sur la santé (18 %), l’origine du produit (16 %) et le bien-être animal (13 %). À noter que les réponses les plus citées évoluent énormément d’année en année : en 2019, par exemple, les trois facteurs d’inquiétudes les plus cités étaient le bien-être animal (18 %), la fraîcheur et l’hygiène (17 %) et l’origine du produit (15 %). Le fait que fraîcheur et hygiène soient aussi haut en 2019 par rapport à 2021 (12 %) peut s’expliquer par le fait que le scandale du lait infantile contaminé à la salmonelle chez Lactalis de 2017 était encore dans toutes les mémoires. Car chaque scandale sanitaire a un impact durable sur la confiance dans les filières. « Il suffit d’une seule crise et ce sont tous les produits qui se retrouvent concernés », constate l’anthropologue. Le scandale des lasagnes à la viande de cheval de 2013 est un très bon exemple : bien que cette crise concerne un produit en particulier, elle a entaché durablement la confiance des Français sur l’ensemble de leur alimentation. Si 64 % des individus interrogés en 2021 pensent que les produits alimentaires représentent aujourd’hui des risques pour la santé, ce pourcentage était à 72 % en 2013. Et l’évolution de cet indicateur suit les différentes crises alimentaires françaises, comme les épisodes de vache folle. « La crise des lasagnes au cheval est très intéressante, puisqu’elle montre la rupture de confiance des Français. On a parlé de crise sanitaire, alors même que la viande de cheval ne présente pas plus de risque qu’une autre. Il peut y avoir une crise sans risques objectifs », explique l’anthropologue Véronique Pardo. À noter que la pandémie de la Covid-19 a grandement fait baisser les inquiétudes des consommateurs.

Identifier les signaux faibles d’inquiétude pour mieux rebondir

Tous les sondés n’ont pas le même niveau d’inquiétude concernant les produits laitiers et le lait. En 2021, les résultats d’InquietAlim montrent que les jeunes aux revenus modestes, peu diplômés et habitant dans de petites villes expriment plus d’inquiétudes sur le lait que le reste de la population. Chez les personnes de plus de 35 ans, plus le niveau de diplôme est élevé, plus les inquiétudes sont exprimées, ce qui s’explique par un regard plus critique sur les systèmes de production et une plus grande diversité de sources d’information. Comment, dès lors, rassurer l’ensemble des consommateurs ? L’étude des signaux faibles, soit les inquiétudes exprimées mais minoritaires pour l’instant, peut être une piste. Le bien-être animal, qui est apparu parmi les inquiétudes dans les années 2010, est aujourd’hui une préoccupation devenue majeure pour les consommateurs. « Les signaux faibles d’aujourd’hui seront les problèmes majeurs dans 10 ans », analyse Véronique Pardo. En 2021, les sondés ont notamment cité les produits chimiques et l’alimentation des animaux pour le lait, ou encore le rapport de force entre les acteurs de la filière et l’impact sur l’environnement pour les produits laitiers. À noter que ces deux catégories bénéficient d’une confiance plus élevée que les autres produits alimentaires étudiés : en 2021, 35 % des sondés ne déclarent auaucune inquiétude pour les produits laitiers et 28 % pour le lait, quand ce pourcentage chute à 15 % pour les viandes et 19 % pour les fruits. En outre, l’étude InquietAlim interroge désormais les sondés sur les facteurs de réassurance qu’ils identifient. « Les inquiétudes pour le lait et les produits laitiers ne sont pas les mêmes, mais les facteurs de réassurance, eux, sont identiques : les acteurs de la filière et la proximité », explique l’anthropologue du Cniel. Citant une autre étude qui établit un baromètre de confiance des éleveurs, elle affirme que les éleveurs laitiers sont ceux qui inspirent le plus confiance aux Français (65 %). Il y a donc une carte à jouer auprès des consommateurs, en expliquant au mieux comment fonctionnent leurs exploitations. Les consommateurs perçoivent le risque comme une mosaïque dans laquelle le sanitaire est une des composantes mais elle n’est pas exclusive. « Quand il y a crise, c’est que le dialogue a été rompu, évité ou impossible à établir entre un monde profane et un autre scientifique, industriel et professionnel », constate Véronique Pardo. « Si parler des conditions d’hygiène sur vos exploitations peut être pertinent, il est important d’évoquer votre savoir-faire, comment les produits sont fabriqués, discuter des traditions, des processus, pour les rassurer au mieux », a-t-elle conseillé aux professionnels.

Zoé Besle

Apprendre des précédentes crises

La 19e édition des Rencontres régionales de la sécurité sanitaire des laits a été l’occasion de revenir sur la sécurité sanitaire au sein des exploitations, et notamment sur la gestion de la crise des Stec (Escherichia coli productrices de shigatoxines) à la ferme caprine du Pradel (Ardèche) et au sein de la filière Saint-Marcellin. Ces bactéries, qui peuvent mener à des maladies plus ou moins graves chez l’homme, sont dures à gérer. À la ferme du Pradel comme dans la filière Saint-Marcellin, les crises ont été une aventure au long cours, sur les plans humain, économique et administratif. Rappel des lots, prévention, analyses, gestion interne… Les intervenants ont expliqué comment ils avaient traversé ces crises Stec. Après ces deux témoignages, Laurent Thomas du GDS du Rhône a présenté plusieurs travaux autour des Stec réalisés par le groupe de travail régional « Sécuriser les filières au lait cru ». En effet, suite aux précédentes crises dans la région, le groupe lait cru a créé un module de formation Stec, une plaquette informative sur le sujet ainsi qu’un guide de gestion de crise, pour accompagner et préparer au mieux les éleveurs.

La plaquette Stec (Escherichia coli productrices de shigatoxines) est consultable à l’adresse : https://urlz.fr/h7wK
Tableau 1
Tableau 2