FRUITS
Gel : quels impacts pour l’aval de la filière

Mylène Coste
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Le gel de début avril a fortement touché les arboriculteurs, du Nord au Sud de l’Ardèche. Outre les producteurs, les coopératives et entreprises de distribution sont elles aussi très éprouvées par le manque de fruit. Le point avec les principaux acteurs de l’aval en Ardèche.

Gel : quels impacts pour l’aval de la filière
Malgré les moyens déployés (ici, des bougies), le gel de début avril n'a pas pu être endigué et a provoqué des dégâts colossaux dans les vergers de fruits de l'Ardèche.
Comptoir Rhodanien (Tain L’Hermitage)
Christophe Soulhiard

Comptoir Rhodanien (Tain L’Hermitage)

Christophe Soulhiard (directeur) : « La diversification va nous sauver »

« Le manque de fruits, notamment en Ardèche et dans la Drôme, va fortement impacter nos volumes.  En cerises et abricots, les pertes moyennes se chiffrent à 80 %. C’est un coup dur, d’autant que nous avons eu très peu de fruits l’an dernier déjà, et que 2019 avait été catastrophique avec à la fois le gel et la grêle ! Nous aurons toutefois un peu plus de fruits chez nos producteurs du Gard et du Vaucluse, qui ont été moins touchés par le gel d’avril. Nous avons aussi une exploitation dans le Sud de l’Espagne. Cela devrait nous permettre d’avoir des volumes pour honorer nos commandes en mai et juin, mais nous manquerons cruellement de fruits en juillet et août. Nous allons aussi faire un peu d’import depuis l’Espagne, pour essayer de compenser le manque.

« Une hausse des prix est à prévoir »

C’est une position difficile face à nos clients, principalement la GMS. Nous allons privilégier nos clients français, en espérant pouvoir au moins profiter de prix élevés pour nous, et pour nos producteurs. Compte tenu du contexte, une hausse des prix de 30 % est envisageable sur les fruits d’été à noyaux. Malgré tout, nous prévoyons une perte de chiffre d’affaires d’environ 50 % pour 2021. Nous avons toutefois la chance d’avoir une activité de transformation (jus et purées de fruits), avec un peu de stocks, et des perspectives de débouchés variés pour ces produits avec la réouverture des bars et restaurants. Cette diversification va nous sauver ! »

Vivacoop (Saint-Sernin)
Stéphane Allix

Vivacoop (Saint-Sernin)

Stéphane Allix (directeur) : « Si l’État n’agit pas vite, cela va être difficile de passer le cap »

« Nous n’aurons que 20 % des volumes de cerises, quasiment aucune production en pommes, poires ou encore cassis, abricots et pêches. Ces productions, que nous destinons au marché local et notamment nos « Villages des producteurs » (Ruoms et Aubenas), nous permettent d’ordinaire de faire rentrer de la trésorerie durant le printemps et l’été avant d’amorcer la saison des châtaignes puis du kiwi. Nous n’aurons pas cette trésorerie cette année et cela va être très compliqué. 

Par ailleurs, les fruits d’été et notamment la pêche, sont d’ordinaire très plébiscités l’été par les touristes notamment. Or, si nous ne pouvons pas leur en proposer, je crains qu’ils ne se détournent de nos magasins. Nous allons quoi qu’il en soit prévoir une campagne de communication pour sensibiliser les clients aux difficultés que rencontrent nos producteurs suite à ce gel inouï.

« Le kiwi italien pourrait renforcer sa position sur le marché français »

Mais le vrai coup dur concerne le kiwi, notre fruit le plus important après la châtaigne, qui représente d’ordinaire 25 % de notre chiffre d’affaires et que nous vendons à des grossistes dans toute la France. Or cette année, les pertes pour nos producteurs sont estimées à 75 %, ce qui représente un gros manque à gagner. Je crains surtout que le kiwi italien n’en profite pour renforcer sa position sur le marché français. Nous sommes aussi très inquiets pour la châtaigne, puisque le gel a impacté les variétés précoces comme la bouche de bétizac. En effet, les bourgeons sont tombés et malgré les nouvelles pousses, il y a un risque que cela ne fructifie pas. Or, ces variétés précoces représentent 120 t sur les 350 t de châtaigne que nous récoltons chaque année. C’est donc très problématique. Au total, nous pourrions perdre 50 à 65 % de notre chiffre d’affaires annuel. C’est pourquoi nous avons besoin de mesures fortes de la part des pouvoirs publics. Nous demandons à bénéficier du chômage partiel mais aussi que l’État participe à nos charges fixes. Nous demandons aussi un soutien plus actif sur l’octroi des Prêts garantis (PGE). La situation est extrêmement tendue pour nous et si l’État n’agit pas vite, cela va être très difficile de passer le cap. »

La Cie des Fruits Mûrs (Albon)
Sylvain Monteux

La Cie des Fruits Mûrs (Albon)

Sylvain Monteux (président) : « Le marché pourrait être chaotique »

« Dans la vallée du Rhône, les pertes sont énormes et nous aurons un gros manque en pêche et kiwi, environ -50 % en cerise, et jusqu’à 80 % de pertes en abricot, dont la récolte était déjà maigre l’an dernier. Nous n’avons pas peur de la concurrence européenne, les Espagnols et les Italiens ayant eux aussi subi des aléas climatiques, et je crois que les consommateurs plébiscitent massivement les produits français. Toutefois, la régulation va s’opérer par les prix, et j’ai bien peur que le marché soit totalement chaotique. Les fruits, pêches et abricots notamment - , se vendront forcément plus chers que d’ordinaire : chez nous, nous payons habituellement 1,90 €/kg de pêche au producteur, prix qui devrait grimper à 2,50 € voire 3 € cette année, ce qui élève déjà le prix au consommateur à 4,50 € à 5 €. Jusqu’où le client est-il prêt à consentir à une augmentation des prix ? C’est là toute la question et on ne pourra pas vendre trop cher non plus si on ne veut pas qu’il se détourne des fruits français. 

« Je crains que le client ne se détourne de la pêche pour aller vers le melon »

Une hausse des prix trop importante, pour la pêche notamment, pourrait en effet avoir un effet contreproductif : ma grande crainte est de voir le client s’en détourner pour aller vers le melon, et certains producteurs ayant subi le gel ont d’ailleurs planté du melon pour essayer de compenser une partie des pertes. Je suis également inquiet quant à la qualité des fruits : les arbres ont beaucoup souffert du gel et les fruits qui ont « survécu » pourrait en pâtir, avec davantage de maladies, des noyaux creux….

Quoi qu’il en soit, nos producteurs vont être fragilisés et nous espérons que les aides de l’Etat seront à la hauteur des attentes. Nos arboriculteurs sont payés à la semaine, et c’est important pour eux de ne pas différer les paiements, d’autant plus dans le cas d'une année noire comme celle-ci. »

 

Rhoda-coop (Sarras)
Christophe Claude

Rhoda-coop (Sarras)

Christophe Claude (directeur) :  « L'enjeu : être encore là l'an prochain »

 « C'est du jamais vu. L'ampleur des pertes est inimaginable, notamment en abricot, qui est notre fer de lance et qui est l'espèce la plus touchée en France et en Rhône-Alpes. C'est catastrophique pour Rhoda-coop. Nous ne pourrons pas remettre en service quatre de nos stations. Nous sommes dans la même situation que des restaurateurs à qui on aurait demandé de fermer la boutique sans savoir quand ils pourraient rouvrir. C'est notre crise du Covid-19 !

500 saisonniers que l'on ne reprendra pas

C'est dramatique pour nos producteurs, et pour nous; on ne pourra pas honorer nos clients, et nous allons être contraints de recourrir au chômage. De 500 saisonniers habituellement en période estivale, nous n'aurons cette année quasiment personnes. Il faut vraiment que les pouvoirs publics agissent, et vite! Ils ont beaucoup visité l'Ardèche au lendemain du gel, mais depuis, nous attendons toujours la carte postale. Nous avons besoin d'aides en urgence, toute solution sera bonne à prendre, mais c'est une question de survie. L'enjeu: être encore là l'an prochain. »