ARBORICULTURE
Cerises : avant de passer à l'action, la députée prend le pouls

Mylène Coste
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Un mois après le début de la saison des cerises, la députée Laurence Heydel Grillere a rencontré une quinzaine de producteurs de sa circonscription, samedi 24 juin. Sans surprise, la campagne s'annonce difficile avec des ravageurs qui menacent la récolte suite à l'arrêt du Phosmet.

Cerises : avant de passer à l'action, la députée prend le pouls
La rencontre a eu lieu sur l'exploitation de Muriel Feasson où les 4 ha de cerises ont été touchées par les pontes des mouches.

Gros calibres, bons rendements, jolis fruits et prix intéressants... La saison des cerises avait débuté en beauté ! C'était sans compter sur l'arrivée des mouches Rhagoletis et Drosophila avec les orages de ces dernières semaines. « On a récolté le week-end et le lundi matin c'était terminé, tout était déjà plein de vers », témoigne un arboriculteur de la Vallée du Rhône face à la députée de la deuxième circonscription de l'Ardèche, Laurence Heydel Grillere. Avec le retrait du Phosmet - molécule active de l'Imidan, produit utilisé pour limiter les dégâts sur les fruits -, les vergers semblent encore plus touchés que les années précédentes par les pontes dans les cerises. « Cette année même la mouche méditerranéenne est présente », remarque un arboriculteur.

Dans la vallée du Rhône, les premiers dégâts ont été visibles il y a déjà trois semaines, tandis qu'en altitude, sur la vallée du Doux notamment, les mouches ne sont présentes que depuis une semaine. Mais sur tous les secteurs, le constat est le même : les cerises moyennes à tardives risquent de rester sur les arbres. Noire de Meched, Stark, Régina, Summit... De nombreuses variétés pourraient être abandonnées à l'avenir faute de solution. Et cette année « test » semble le confirmer. Malgré des traitements de plus en plus réguliers avec les produits toujours autorisés (Exirel, Karaté Zéon, entre autres), le résultat est loin d'être satisfaisant. « À moins d'avoir un marché pour les cerises roses mais si on veut les ramasser mûres ce n'est pas possible », explique Sylvain Bertrand, producteur à Bozas et élu FDSEA.

Des risques qui épuisent 

« On parle de l'aspect économique mais il y a aussi le psychologique », insiste Sébastien Gouy, arboriculteur à Nozières. « On traite jusqu'à 23h30, on se lève à 5h30 et entre temps on dort mal parce qu'on ne sait pas comment ça va se passer... », ajoute-t-il. Dans ces secteurs aux terrains escarpés, c'est aussi le rythme de traitements qui inquiète Sébastien. Pour lui, chaque passage est un risque supplémentaire : « Avant on passait sur le talus une fois tous les 21 jours, maintenant c'est une fois tous les six jours. Les risques ne sont plus les mêmes ! J'ai déjà arraché dans les coins plus dangereux... On a beau être passionné, on a aussi une vie ! »

Alors que des équipes de saisonniers commencent à arriver de l'étranger pour quatre semaines, les producteurs craignent aussi qu'ils n'aient plus de fruits consommables à récolter. Des charges salariales non compensées par la vente et qui viendront s'ajouter aux coûts des intrants. Dans ce contexte, la tension monte d'un cran. À demi-mots, certains avouent aussi ne plus s'en sortir entre contraintes climatiques et normes. Vents, précipitations, heures, distances, dates... Les contrôles sont désormais une crainte omniprésente chez certains arboriculteurs. « Pour en arriver là, c'est que la situation n'est plus tenable », ajoute Sylvain Bertrand, en interpellant la députée.

Le message politique peine à se faire entendre

Face aux arboriculteurs, la parlementaire déroule sa stratégie. « Le ministre s'est engagé à assurer s'il y avait un souci. Je lui demanderais de tenir ses engagements », assure-t-elle, avant de s'interroger. « Mais au-delà des indemnisations, que fait-on pour la suite ? C'est aussi ça qui m'intéresse. Est-ce qu'on veut encore produire des cerises en France ? Et si c'est le cas, comment fait-on ? » Alors que la réhomologation du Phosmet semble pour l'instant exclue à l'échelle européenne, les solutions alternatives efficaces peinent à émerger. L'insecte stérile, technique prometteuse pour réduire les populations de ravageurs, est toujours en phase de test.

Problématique méconnue, à contre-courant des attentes sociétales et touchant une filière au poids économique relativement modeste, le sujet peine à mobiliser. D'après Laurence Heydel Grillere, seuls quelques parlementaires suivent, comme elle, le dossier cerises. « Quand on monte au créneau, on ne se fait pas que des amis », confie la députée. Pourtant, d'autres productions et territoires peuvent aussi être touchés par ce ravageur, les petits fruits, mais aussi les abricots, les nectarines, et même les raisins. Si Drosophila Suzukii devait être privée de son lieu de ponte favori, les autres productions subiraient alors une pression supérieure.

Produire des aliments avant tout

À l'heure du plan de souveraineté alimentaire, la réponse des aides financières ne suffit plus. « On ne peut pas se faire indemniser tous les ans pour quelque chose. Notre but, c'est avant tout de produire des aliments et de les vendre. Sauf que la cerise piquée ne vaut rien », rétorque une arboricultrice du Nord Ardèche. Un autre acquiesce : « On a besoin d'être fier de notre travail ! » Pour se faire entendre du ministère et obtenir des solutions d'avenir, les arboriculteurs envisagent désormais des actions d'envergure nationale. Une cagette de cerises véreuses à l'Élysée ? L'idée est mise sur la table... À moins que les questions au gouvernement ne suffisent à faire bouger les choses.

Pauline De Deus

40 000

C'est le nombre de tonnes de cerises habituellement produites en France. Actuellement environ 30 000 tonnes ont été récoltées, notamment grâce aux variétés précoces de gros calibres et épargnées par les mouches. La suite, en revanche, s'annonce beaucoup plus compliquée. Avec une demande nationale estimée à 60 000 tonnes chaque année, « il manque 20 à 30 % de marchandise », annonce Aurélien Soubeyrand, membre du bureau de la FNPfruits. Des fruits pourraient donc être importés de Belgique ou d'Espagne, où la Drosophila est moins présente et les vergers plus adaptés aux filets anti-insectes.

Repères

Janvier 2022 : la Commission européenne refuse le renouvellement d'homologation du Phosmet.

Novembre 2022 : après un délais de 10 mois, le Phosmet est interdit en France.

Novembre 2022 : les JA et la FDSEA de l’Ardèche sont reçus au ministère de l'Agriculture pour échanger sur les difficultés techniques rencontrées par les filières cerise et petits fruits.

Janvier 2023 : les producteurs de cerises manifestent à Tournon-sur-Rhône pour demander une solution efficace de lutte contre les ravageurs pour la saison à venir.

Janvier 2023 : les élus syndicaux ardéchois sont reçus par le ministre de l’Agriculture. Si les dérogations semblent impossibles, des doses d’Exirel augmentées sont accordées par le ministre qui s’est aussi engagé à donner prochainement une réponse concernant l'accompagnement des pertes de production liées au retrait du Phosmet.

Février 2023 : faute d’information supplémentaire, une deuxième manifestation est organisée à Lyon.

Mars 2023 : le ministère de l'Agriculture interdit l'importation des cerises des pays utilisant encore le Phosmet.

Mai 2023 : début de la récolte des cerises en France.

Juin 2023 : premières attaques de mouches sur les fruits.

En une année, 13 générations de Drosophila suzukii peuvent se succéder.
Sans Phosmet, la pression de la mouche méditerranéenne n'est plus maîtrisable par les arboriculteurs et vient s'ajouter à la pression de la Drosophila Suzukii.
Lundi 16 janvier, une cinquantaine de tracteurs et 200 agriculteurs ont manifesté à Tournon-sur-Rhône.
La rencontre a eu lieu sur l'exploitation de Muriel Feasson où les 4 ha de cerises ont été touchées par les pontes des mouches.