SAVOIR-FAIRE
Grimpette sur les toitures ardéchoises d’antan

Anaïs Lévêque
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SAVOIR-FAIRE / La lauze et les genêts étaient utilisés autrefois pour couvrir les fermes ardéchoises et les édifices religieux. Ancien couvreur et piqueur de genêts, Léon Chareyre s’est passionné toute sa vie de ces savoir-faire devenus rares.

Grimpette sur les toitures ardéchoises d’antan
Tressés, serrés et piqués sur les chevrons d'une toiture, le genêt permettait d'imperméabiliser les fermes.

Traditionnellement utilisées pour couvrir les habitations des plus aisés et des édifices religieux, l’histoire de la lauze se concentre dans les régions volcaniques. Chaque volcan y offrait des qualités de pierres basaltiques spécifiques. En Ardèche, la lauze grise du Mont Gerbier de Jonc et la lauze bleue du Mont Signon (Haute-Loire) recouvrent encore les plus anciennes fermes et édifices religieux. « Fanatique de la pierre » installé à Sainte-Eulalie, Léon Chareyre pouvait passer des journées entières à les façonner et les poser sur les toits.

Un matériau « inusable »

« C’est un matériau inusable. C’est comme le temps, ça dure des siècles », indique cet ancien couvreur et piqueur de genêts âgé de 88 ans. « La lauze grise prend l’eau, s’enfarine et vieillit mal, alors que la lauze bleue est éternelle mais elle est très cassante », prévient d’emblée Léon Chareyre. Superposées sur d’épaisses charpentes, ces lauzes se maintiennent avec de la mousse végétale et du lichen, permettant de se protéger des courants d’air et des pluies. « Il faut travailler la lauze, ne pas les taper fort pour éviter qu’elles ne se cassent, les tailler minutieusement à l’oreille et les ébarber », explique-t-il. « Le montage de la charpente est très important, il faut placer des poutres tous les 1,14 mètre. Avant, c’étaient des poutres faites avec des arbres entiers ! »

Les lauzes sont épaisses  de 2 à 3 cm et mesurent de 60 cm à 1 mètre. Elles peuvent peser jusqu’à 250 kg / m2 et se manient selon leur poids : les plus petites sont placées sur le haut de la toiture, les plus grandes et lourdes sur le bas. « Il faut superposer les lauzes sur trois rangées en plaçant de la mousse végétale ou du lichen comme on le ferait avec de la laine de verre. Chacune d’entre elles doit recouvrir les deux tiers de la lauze inférieure. Traditionnellement, on les maintenait avec des chevilles en bois de sorbier, mais on pouvait aussi utiliser des clous ou des crochets. Et pour finir, on réalisait le faîtage en les croisant sur le haut de la toiture. »

La construction ou la rénovation d’une telle toiture prend beaucoup de temps et d’énergie. Impossible de couvrir plus de 3 m2 de toiture / jour, indique-t-il. Aujourd’hui, la réalisation d’un tel chantier est très coûteuse (en moyenne 200 € / m2 rien que pour la pose) et les carrières se font rares pour s’approvisionner. « Petit à petit ça disparaît, ce n’est que de la récupération. »

« La vraie écologie »

À la différence de la lauze, les genêts étaient accessibles à tous, poussant partout sur le plateau ardéchois. Chez Léon Chareyre, le toit de chaume de la Ferme Philip1 témoigne encore aujourd'hui de cette architecture traditionnelle. Datant du XVIIe siècle et classée monument historique, cette ancienne ferme de 650 m2 de toiture est couverte de genêts, serrés et piqués sur la toiture comme jadis. Une fois coupé, le genêt est posé vert directement sur le toit : « On entrelace un grand genêt entre les chevrons et on pique les genêts de l’extérieur à partir de l’échelle plaquée sur le toit », indique Léon Chareyre, qui compte au minimum 30 cm d'épaisseur. « Chaque année, il faut entretenir le toit, sur une trentaine de journées de travail, pour "pétasser" c’est-à-dire remplacer les parties abimées, mais le genêt tient par lui-même une trentaine d'années. »

Quasiment disparues, ces toitures connaissent aujourd'hui un regain d’intérêt grâce à leurs qualités écologiques, isolantes et esthétiques. Selon les régions, elles sont réalisées avec des genêts, de la bruyère, de la paille végétale de blé, de seigle ou de roseaux. « C’est la vraie écologie ! Ces maisons sont bien plus belles et mieux intégrées au paysage », ajoute Léon Chareyre. « Ce qui se fait de plus en plus aujourd'hui en toit de chaume, ce sont des toitures réalisées à l'aide de bacs acier ou de grillages à poules posés sur les chevrons pour tenir les genêts très serrés et à plat. Vu de l'extérieur, on ne sait pas si c'est du vrai ou du faux... »

Anaïs Lévêque

1. Située à Sainte-Eulalie, la Ferme Philip est ouverte aux visiteurs (sur rendez-vous) du 1er juillet au 31 août, du lundi au vendredi de 10 h à 12 h et de 15 h à 18 h.

Léon Chareyre, ancien couvreur de toitures en lauze et piqueur de genêts, installé à Sainte-Eulalie

Léon Chareyre, ancien couvreur de toitures en lauze et piqueur de genêts, installé à Sainte-Eulalie

Démonstration de piquage de genêts sur le toit de sa Ferme Philip qui date du XVIIe siècle, classée monument historique.

Démonstration de piquage de genêts sur le toit de sa Ferme Philip qui date du XVIIe siècle, classée monument historique.