BOVIN LAIT
Quel avenir pour la filière laitière ?

Marine Martin
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Une journée thématique était organisée, le 19 novembre à Vernoux-en-Vivarais, par la FDSEA et Jeunes agriculteurs (JA) de l’Ardèche au Gaec du Noyer, pour échanger au sujet de l’avenir de la filière laitière et des enjeux auxquels elle est confrontée.

Quel avenir pour la filière laitière ?
De gauche à droite : Christel Cesana, présidente de la FDSEA, Yohann Barbe, président de la FNPL, et Hervé Morfin, éleveur et membre du bureau de la FDSEA. ©AAA_MM

« Il est de plus en plus difficile de trouver des collecteurs de lait en raison de la raréfaction des producteurs », partage Nicolas Garcin, hôte de cette réunion. Éleveur au Gaec des Noyers aux côtés de son père, il s’occupe de 55 vaches laitières Montbéliardes en pleine production. Installé depuis 2021, le jeune agriculteur commercialise chaque année environ 500 000 litres de lait à Danone. À l’opposé de cet exemple de Gaec qui perpétue sa production laitière, existe une réalité davantage contrastée : « Plus de la moitié de nos éleveurs ont plus de 55 ans et il y a un vrai risque de perte de production laitière quand les enfants s’installent en Gaec avec leurs parents au moment de la perte de main-d’œuvre de l’exploitation. Ensuite, avec le départ à la retraite des parents, les vaches quittent aussi les fermes », contextualise Yohann Barbe, éleveur vosgien, président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) et membre du bureau de la FNSEA, venu partager une vision nationale sur l’avenir de la filière. Et pourtant, « il y avait une véritable dynamique de production laitière à l’époque », se rappelle Hervé Morfin, éleveur laitier sur la commune de Bozas et membre du bureau de la FDSEA. « En 1987, on avait même développé le premier concours de vaches laitières du secteur ! »

Mais depuis, les cartes ont été rebattues et de nouveaux enjeux aux niveaux national et international sont apparus, laissant un secteur laitier en difficulté confronté à « une baisse des prix et une hausse des charges », selon Benoit Claret, éleveur laitier et président de la chambre d’agriculture de l’Ardèche. Sur le territoire, « la production est passée de 80 à 45 millions de litres de lait et 1 200 à 250 producteurs », a-t-il rappelé. Mais « si la filière venait à disparaître, cela serait difficile de maintenir une activité sur le secteur, car cette filière est indispensable au tissu territorial. Il est donc primordial de mettre en avant cette filière de qualité ainsi que nos produits », a indiqué Christel Cesana, présidente de la FDSEA. « On parle de déprises laitières dans des départements pourtant hyper laitiers », alerte Yohann Barbe, au niveau national. Durant plus de deux heures d’échanges, de nombreux sujets ont été abordés.

Mercosur : « l’agriculture doit sortir du Traité »

Actualité oblige, Yohann Barbe a commencé la réunion par rappeler pourquoi ratifier le traité du Mercosur n’est pas une bonne idée pour l’élevage laitier. Certes, 30 000 tonnes de fromages seraient exportables, « mais cela ne concerne pas nos fromages en AOP, cela concerne le Gouda, l’Édam, le Leerdammer, c’est aussi pour cela que tous les pays du Nord producteurs de ces fromages sont favorables au traité », affirme le président de la FNPL. Le seul levier positif, il le voit dans les 5 000 tonnes de poudres de lait infantile exportables, « mais ça ne représente rien ». Le plus gros risque, selon lui, est « l’effet domino » que le traité produirait sur l’ensemble de la filière élevage : « Nous serions les premiers impactés, car même si l’on gagne quelques euros sur le prix du lait, parce qu’on exporte mieux, le risque est qu’on perde de la valeur sur nos animaux de vente, car quand on fait un litre de lait, on fait de la viande (qui ne serait plus valorisée), et le deuxième risque est que le veau de 8 ou 14 jours sur les exploitations ne trouve plus d‘acheteur, car toute cette viande qui viendra de ces pays va appauvrir notre territoire. On pourrait perdre nos outils d’abattage, c’est ce que j’appelle un effet domino. L’agriculture doit sortir du traité ».

Une feuille de route sanitaire et un plan vaccinal à l’échelle de l’Europe

Autre sujet d’actualité traité, la situation sanitaire des élevages impactés par les conséquences de la fièvre catarrhale ovine (FCO) de sérotype 8 (nouvelle souche), de la FCO-3 et de la maladie hémorragique épizootique (MHE). La ministre Annie Genevard a annoncé une enveloppe de 75 millions d’euros pour compenser les pertes directes (uniquement la mortalité des animaux), concernant les bovins touchés par la FCO-3 et les ovins par le sérotype 8. « Pour la mortalité des bovins liée à la FCO-8, c’est le FMSE1 qui prend en charge », informe l’éleveur vosgien. Cependant, pour les éleveurs, cette aide est clairement insuffisante. Ils demandent que les pertes directes et indirectes soient prises en compte « pour l’ensemble des maladies émergentes, car il y aura des conséquences à long terme », souligne Yohann Barbe. « Il y a la crainte que les petites exploitations ne se relèvent pas », ajoute la présidente de la FDSEA. « Avec les problèmes de reproduction, ce sont nos primes d’été chez Danone qui s’envolent », témoigne Nicolas Garcin, touché par la FCO-8. Certaines de ses vaches ne sont toujours pas pleines aujourd’hui, ce qui reporte leurs vêlages et décale ainsi le niveau de production. « Il est urgent d’avoir un véritable plan d’accompagnement sanitaire pour l’avenir et de clarifier les cadres entre pays européens pour l’exportation », insiste Yohann Barbe. « Aujourd’hui, il n’y a aucune recherche vaccinale pour développer un vaccin contre la FCO qui couvrirait tous les sérotypes. »

Les éleveurs évoquent la gratuité du vaccin, même si le fonds FMSE doit acheter le vaccin et que leurs cotisations augmentent pour qu’il soit gratuit en retour. L’objectif est une couverture maximale qui touche le maximum d’élevages pour baisser le seuil de vulnérabilité. « Si nous voulons de la recherche sur le vaccin, il faut que nous nous engagions collectivement à vacciner », martèle Yohann Barbe.

« Il faut créer une activité économique autour du service de remplacement »

Au-delà des questions d’actualité, l’un des points essentiels liés à l’élevage laitier est l’équilibre à trouver entre vie professionnelle et vie personnelle, un sujet important, également abordé. Malgré la robotisation des élevages, l’épineuse question des astreintes reste un enjeu majeur parmi des éleveurs laitiers, pourtant passionnés. La solution des Services de Remplacement, « technique la plus aboutie pour soulager les éleveurs » selon Yohann Barbe, a besoin d’être pérennisée tout au long de l’année. « Il faut créer une activité économique autour du service de remplacement. Nous prônons un suramortissement sur cette main-d’œuvre pour qu’elle représente davantage comptablement que la valeur dépensée, et payer ainsi, moins de charge sociale, afin d’en trouver un réel intérêt économique, car un salarié coûte plus cher qu’un chef d’entreprise », a affirmé le président du FNPL. Cette avancée permettrait de plus facilement faire appel à un salarié tout au long de l’année pour se libérer des vacances et des week-ends. En fin de débat, la question des Organisations de producteurs a été soulevée. Leur objectif est de « parvenir à s’organiser pour être présents partout », afin de mieux défendre les intérêts des producteurs et structurer les filières. Dans le secteur laitier, l’urgence est de relancer la dynamique en rétablissant la confiance des producteurs et en leur garantissant un revenu décent pour qu’ils puissent poursuivre leur activité. Car « la planète a soif de lait », a souligné le président de la FNPL, en guise de rappel.

M.M.

1. Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental.

Nicolas Garcin, éleveur laitier, installé depuis 2021 en GAEC avec son père. « On a du mal à trouver des collecteurs de lait à cause de la raréfaction des producteurs ». ©AAA_MM
Au Gaec du Noyer, 55 vaches Montbéliardes sont élevées et produisent près de 500 000 litres de lait, commercialisé par Danone. ©AAA_MM
« La situation en production laitière n'évolue pas favorablement, il y a eu une baisse des prix et une augmentation des charges », a souligné Benoit Claret, président de la chambre d'agriculture de l'Ardèche. ©AAA_MM
PRIX

Une rémunération à la hauteur des responsabilités et du temps de travail

Autre enjeu important pour la filière laitière : la question de la rémunération a occupé une bonne partie de la réunion.

L’indicateur interprofessionnel basé sur deux Smic avait été instauré en 2017 pour compenser les 70 heures de travail hebdomadaire d’un éleveur. Cependant, « cela équivaut, en taux horaire, au Smic », souligne Yohann Barbe. « Nous souhaitons évoluer vers une rémunération alignée sur le salaire médian. Gérer une exploitation implique des responsabilités économiques considérables et la gestion de la main-d’œuvre, ce qui mérite une reconnaissance au-delà du Smic. » Pour une meilleure rémunération, il est primordial que les indicateurs permettent une meilleure revalorisation des produits. L’indice sur la matière première agricole a ainsi été longuement évoqué.

Un prix de la MPA qui prend en compte la hausse des charges

« L’indice MPA (NDRL matière première agricole) est en train de refléter l’inflation de nos charges, et donc il faudrait augmenter la matière première agricole de 14 % », indique Yohann Barbe. Même s’il reste réaliste et concède : « C’est énorme, une marge de 14 %. Beaucoup d’industriels avaient fait un effort avant que cette inflation ne soit inscrite dans l’indicateur. Nous demandons donc de prendre en compte la moyenne triennale pour être sûrs de retrouver ces 14 % sur les trois dernières années, ce qui permettrait aujourd’hui des prix autour de 500-510 euros pour 1 000 litres de lait. »

Pour une meilleure rémunération, il est également primordial que les lois Egalim soient respectées et appliquées. Deuxième urgence lors des négociations commerciales de fin d’année : la réelle prise en compte des lois Egalim et leur application. « Dans la construction du prix en marche avant, le respect de la MPA, du producteur jusqu’au consommateur, est essentiel. De plus, dans les négociations, notamment dans la restauration hors domicile, il faut que les lois Egalim soient mises en place et qu’on ne négocie pas davantage la MPA. C’est une négociation collective, primordiale pour garantir une rémunération durable pour les producteurs de lait », indique Yohann Barbe.

M.M.