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Pénuries de matières sèches : la filière trinque

Depuis plusieurs mois, les vignerons doivent faire face à des difficultés d’approvisionnement en matières sèches, avec des hausses de prix et de délais de livraison qui grimpent en flèche. Comment s’organise la filière viticole ardéchoise ? 

Pénuries de matières sèches : la filière trinque
Bouteille, Bouchon, étiquettes ou encore des caisses en carton... , les matières sèches utilisés par la production viticole françaises sont majoritairement d'origine européenne et française.

« Comme toujours, c'est malheureusement le bout de chaine qui trinque », regrette Ludovic Walbaum, président des Vignerons indépendants de l'Ardèche. Voilà qui résume bien la situation. Depuis plusieurs mois, en effet, les viticulteurs peinent à s’approvisionner en bouteilles en verre et matières sèches. Si la guerre en Ukraine a accéléré la crise, les tensions remontent à bien avant le début du conflit. À la désorganisation des marchés suite au Covid, s’ajoute la fermeture de plusieurs verreries françaises du fait de contraintes économiques, sociales ou environnementales. Enfin, l'augmentation des cours du pétrole et du gaz a engendré des difficultés chez les fabricants.

Délais à rallonge

 « C'est sur les verres blancs que les tensions sont les plus fortes, ce qui pose problème pour la mise en bouteille des rosées, souligne Pierre Champetier, président du syndicat des Vins IGP d’Ardèche. Il y a aussi un autre phénomène : en situation de pénurie, l'être humain a tendance à faire des stocks et à commander davantage, provoquant un effet boule de neige qui accentue les difficultés ! » Conséquence : les délais de livraison s’allongent, toutes les fournitures n’arrivent pas en temps voulu, et l’embouteillement est souvent retardé.

Face à cette situation, la filière s’adapte. « On se débrouille, on subsitue un produit par un autre, explique Philippe Dry, directeur de Vignerons Ardéchois. Ce n'est pas simple, surtout pour les bouteilles en verre blanc. On ne peut guère anticiper, tout devient très aléatoire. Certains articles tombent en rupture de stock d'un jour à l'autre... Pour l'instant, on arrive encore à s’en sortir et à satisfaire nos clients. Mais on ne peut pas prendre de nouveau marché, malgré les opportunités. »

Flambée des prix : « il y a des abus »

« Qui dit rareté, dit flambée des prix. Et selon le type de verre, de papier ou de bouchons, on est confronté à des hausses de tarifs de 10 à 40 %, avec parfois des abus, explique encore Ludovic Walbaum. Et plus on est petit, plus c'est compliqué. Il faut payer comptant, et sans garantie sur les dates de livraison. »

Bouteilles en verre, capsules, étiquettes, cartons, palettes, poches de bag in box… Aucun produit n’est épargné par ces hausses de tarifs. « Il ne faut pas se mentir : certains fournisseurs organisent le manque, estime Stéphane Robert. On est dépendant d’eux et ils le savent ! »

Les solutions ne sont pas toujours au point. Relocaliser la production de matières sèches ? « L’idée est bonne. Mais on ne monte pas un four de verrier du jour au lendemain », estime Ludovic Walbaum. Quant aux bouteilles de verre consignées : « Ce n'est pas quelque chose de nouveau, on en parle depuis longtemps et il y a quelques initiatives en ce sens. Mais pour l'instant, on n’est pas au point. »

Une érosion des marges inévitable

Après la taxe Trump, le Brexit, et la pandémie, la filière viticole semblait retrouver son dynamisme. « Et de nouveau aujourd'hui, l'inflation et les problèmes d'approvisionnement créent de nouvelles contraintes, déplore Ludovic Walbaum. Il est évident qu’on va devoir serrer les dents face à l'érosion de nos marges. On doit faire preuve de résilience, comme on l’a toujours fait. »

Les pertes ? « On fera les comptes à la fin du match, mais il est certain qu'il y aura un impact financier, estime Philippe Dry. Il affirme déjà : La perte de marge liée à l'inflation des matières sèches est de l'ordre d'un million d'euros ».

La Cave de Tain n’est, pour l’heure, pas trop impactée par les pénuries. « Bien sûr, il y a des tensions sur les matières sèches. Mais on parvient toujours à trouver, signale Ludovic Beau, son directeur. On utilise peu de bouteilles en verre blanc, celles qui sont les plus difficiles à trouver en ce moment. Jusqu’à présent, on arrive à se dépanner avec des bouteilles feuilles mortes. Toutefois, il est certain qu’on va devoir répercuter les hausses des coûts d’approvisionnement, et donc réouvrir les négociations. » Or, pour ce qui est de la grande distribution notamment, les prix des bouteilles sont négociés à l’avance, ce qui laisse peu de marge de manœuvre.

M.C.

 

La bouteille de vin, une affaire très française
VITI

La bouteille de vin, une affaire très française

Où et comment s'approvisionne la filière viticole en matériaux et matières sèches? Extrait d'un article de Pierre Garcia, publié dans nos colonnes en décembre 2020.

Matériels et tonneaux également tricolores

Le matériel nécessaire à la fabrication du vin, il est lui généralement français. Le nom de Pellenc, célèbre fabricant de matériel vinicole français, est d’ailleurs présent dans toutes les régions viticoles du monde. Pour le matériel de cuverie, les pompes sont certes souvent italiennes mais Pellenc est là encore positionné sur ce créneau. On n’omettra pas de citer un grand nom du pressurage et des matériels de membranes et d’osmose inverse : le groupe angevin Bucher Vaslin, leader mondial dans le matériel de vendange. Enfin, les fleurons mondiaux de la tonnellerie sont eux aussi basés en France. À tel point qu’ils réalisent 68 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation, principalement vers l’Italie, l’Espagne, les États-Unis et l’Australie, tout en s’approvisionnant principalement en bois issus des forêts de l’Hexagone.

La bouteille, française du sable au verre

« L’approvisionnement en bouteilles est très majoritairement français et nous utilisons beaucoup de verre recyclé », souligne Jacques Bordat, président de la Fédération française des industries du verre. Selon lui, l’industrie française fournissait en 2020 près de 70 % de la demande de verre pour l’emballage alimentaire français et la proportion serait sensiblement la même pour ce qui est des bouteilles de vin. La production du verre français est quant à elle totalement autonome : « 65 % de notre matière première est fournie par le calcin, du verre brisé provenant des conteneurs de recyclage et des déchets de fabrication ». Le sable est quant à lui issu à 100 % de carrières situées en France. Par ailleurs, « on trouve aussi des usines de production de bouteilles à l’intérieur ou à proximité des principaux vignobles français », complétait le président de la Fédération des verriers français.

Du liège... portugais

Pour les bouchons, l’industrie est en grande partie portugaise avec notamment le groupe mondial Amorim qui est très présent dans les bouchons des bouteilles françaises. Le liège est d’ailleurs récolté à plus de 80 % sur des chênes-lièges portugais. Mais cela n’empêche pas pour autant des initiatives locales de fleurir avec l’objectif de développer la production de liège en France. L’entreprise Diam Bouchage, filiale du groupe OEneo basé en Nouvelle-Aquitaine, soutient la filière du liège français dans les suberaies (forêts de chênes-lièges) du Var, des Pyrénées-Orientales, des Landes et de Corse en garantissant l’achat à prix fixe du liège produit par les exploitants. D’après la Confédération des vignerons indépendants, Diam encourage aussi plusieurs programmes de replantation. L’entreprise fabrique depuis 2017 des bouchons dans lesquels le liant qui baigne le liège est biosourcé. C’est un mélange d’huile de ricin, de cire d’abeille et de polyols issus de sucres végétaux. Pour autant, l’huile de ricin est généralement produite en Inde.

Une étiquette très frenchy

Dans le domaine de l’étiquette, les grands fournisseurs sont également français. Le groupe Autajon, leader français de l’étiquette, réalise 620 millions d’euros de chiffre d’affaires et dispose de six sites de production implantés dans les régions emblématiques de la viticulture française : Provence, Champagne, Bordeaux, Loire et Bourgogne. « Les vignerons ont tous sur leur bassin de production un partenaire de proximité hyper fiable et réactif », se félicite la Confédération des vignerons indépendants. Le secteur viticole, structuré depuis plus d’un siècle en France, a aussi permis l’éclosion d’un secteur de la cartonnerie pour l’emballage des bouteilles. Le groupe international Smurfit Kappa compte 5 400 collaborateurs répartis sur 52 sites de production dont quatre papeteries. « Nos usines ont un rayon d’action qui le plus souvent ne dépasse pas les 200 km. C’est pourquoi nos sites sont répartis sur tout le territoire français », fait remarquer Dominique Lagarde, directeur des cartonnages de Smurfit Kappa.

POUVOIR D’ACHAT

Consommation de vin : le verre à moitié vide ?

Après une reprise partielle post-Covid, de la consommation de vin semble à nouveau se ralentir en 2022. Ce ralentissement touche en particulier la grande distribution. Le point.

L’équation est simple : avec l'inflation, le pouvoir d’achat des Français diminue. Et les conséquences se font déjà sentir. Selon nos confrères de 60 millions de consommateurs, près de la moitié des foyers auraient déjà réduit certaines dépenses de consommation, et 18 % des ménages ont décidé de limiter leurs achats alimentaires. Par ailleurs, 24 % des ménages auraient indiqué avoir rogné sur les produits « plaisir », à l’instar du vin1. Une réalité qui se ressent d’ores-et-déjà avec un ralentissement des ventes, en particulier en GMS.

À l’export, le commerce de vin reste dynamique. La fin de la guerre commerciale avec les États-Unis et la reprise des échanges post-Covid ont relancé les exportations. La guerre en Ukraine pourrait toutefois contrarier certains marchés, notamment le marché russe. 10e importateur mondial de vin, la Russie totalise à elle seule près de 2 % des importations de vin au niveau mondial. Or, la crise ukrainienne devrait perturber les échanges commerciaux avec les pays européens. Par ailleurs, la baisse des importations de vin en Chine se poursuit depuis la pandémie : entre janvier et mars 2022, elles auraient diminué de 22 % en volume par rapport à l’an dernier pour la même période.

De bons augures

Toutefois, la consommation de vin aurait moins baissé en France que dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Certains segments de marché gardent leur vigueur, comme le rosé, qui poursuit son essor en France et à l’international. Premier producteur de rosé au monde, devant l'Espagne et l'Italie, la France est aussi le premier exportateur en valeur, avec 32% du chiffre d’affaires du marché des vins rosés2. La consommation de vin bio également a le vent en poupe alors : 48 % des Européens en achètent, 53 % des Français. Il y a donc aussi des raisons de voir le verre à moitié plein…

M.C.

1. Sondage de NielsenIQ auprès du panel consommateurs HomeScan publié par 60 millions de consommateurs.
2. Selon le rapport 2020 de l'Observatoire mondial du rosé.