En 2022, en France, le marché du bio a été mis à mal par une inflation record. En Ardèche, la situation est contrastée selon les filières et les circuits de vente. Tour d’horizon. 

Le bio tente de résister à la crise

Avec la hausse des prix, les consommateurs se sont progressivement détournés des labels et signes de qualité. Et le bio ne fait pas exception à la règle. En Ardèche, département où l’agriculture biologique représente un quart des surfaces agricoles, cette crise n’est pas passée inaperçue. Pourtant, sur le territoire, la filière continue de progresser : entre 2021 et 2022, le millier d’exploitations bio ou en cours de conversion a connu une hausse de 5 %. Pour 2023, « la tendance semble se compliquer », note Renaud Pradon, responsable productions végétales à la chambre d’agriculture de l’Ardèche. Au niveau régional, le nombre d’exploitations en agriculture biologique stagne, voire régresse dans certains départements. En Ardèche, la croissance est toujours au rendez-vous (3 % au premier semestre) bien que huit agriculteurs n’aient pas renouvelé leur certification sur cette période.

Réduire les intrants pour maîtriser ses charges

Les filières animales sont les plus touchées par ces déconversions. En 2022, quatre producteurs de lait de vache bio ont choisi de revenir au conventionnel. Malgré la conjoncture, certains agriculteurs en sont persuadés : « le marché va se rééquilibrer ». C'est l'avis de Vincent Perrier : « Peut-être que si la crise dure, il faudra faire des choix, mais on reste positif. Il y a un an, le prix du lait bio était inférieur au conventionnel, maintenant il est repassé au-dessus. » Cet agriculteur installé à Vernosc-lès-Annonay en 1993, s'est converti au bio à partir de 2009, par conviction. « J'ai eu un cancer et j'ai commencé à me demander s'il était nécessaire de prendre des risques ? Si je pouvais travailler sans ces béquilles que sont la chimie ? » Alors qu'il n'y avait pas encore de marché pour le lait bio, l'éleveur est passé en bio grâce à ses prairies, aux céréales produites sur la ferme et au fumier utilisé pour fertiliser les sols. Aujourd'hui, c'est cette autonomie qui lui permet de résister à la crise. « Quand on achète des aliments bio qui sont chers et que le prix du marché baisse, il n'y a plus moyen de s'équilibrer. Mais en ayant besoin de moins d'intrants, on peut davantage maîtriser ses charges », détaille-t-il.

Des agneaux bio vendus sur le marché conventionnel

Même constat chez Sylvain Joly, éleveur bio à Saint-Andéol-de-Vals depuis 5 ans. En 2023, il a décidé de passer son atelier porcin en conventionnel. Entre le prix de l'alimentation et celui des produits nécessaires à la transformation, le coût de production était trop important. Sans compter la pression des contrôles et le temps de travail supplémentaire, y compris pour la vente. Pour écouler ses saucisses, côtes, filets mignons et autres viandes de porc, il devait passer par une dizaine de magasins bio. « Car les clients des magasins spécialisés ne sont pas de gros consommateurs de viande », analyse l'éleveur. Aujourd'hui, toute sa production de viande de porc conventionnelle est vendue localement, dans deux épiceries du secteur.

Pour ses agneaux, en revanche, Sylvain Joly continue de produire en bio, « on donne très peu de granulés, le foin coûte à peu près le même prix qu'en conventionnel et il n'y a pas de transformation, détaille-t-il. Mais tout ce qui part chez le grossiste n'est pas vendu en bio. »

Les circuits courts s'en sortent

En Ardèche, comme au niveau national, ce sont les circuits courts qui semblent tirer leur épingle du jeu. Alors qu’en 2022, les ventes de produits bio ont baissé de 8 % en magasins spécialisés et de plus de 4 % en grandes surfaces, la vente directe a continué de progresser avec une hausse de 3,9 %. « La vente directe ne bouge pas trop en volume », constate Vincent Perrier qui vend environ un tiers de sa production en circuit court (lait, fromages, faisselles, etc.).

À quelques kilomètres de la ferme Perrier, à Talencieux, Franck Stinmestre produit des fruits bio. Dans son secteur aussi, c'est grâce à la vente sans intermédiaire qu'il peut résister. « On travaille avec des Amap partout en France, explique-t-il. En bio, c'est compliqué de vendre en gros, car les fruits sont fragiles. » 4 ha d'abricots, 2 ha de pêches, 5000 m² de pommes et de cerises... Des productions particulièrement techniques, de surcroît en agriculture biologique. « Aujourd'hui, on est capable de faire des choses intéressantes, avec des traitements naturels, en nettoyant à la main, etc. Mais ça demande beaucoup de travail, de réflexion et ça nous coûte cher à produire. » Résume l'arboriculteur. Face à cette réalité, le marché n'est pas toujours au rendez-vous et quand il l'est, ce sont les prix qui pèchent. « On est peu aidé en bio alors qu'on fait beaucoup d'efforts », déplore Franck Stinmestre.

La certification HVE, nouveau défi du bio

Si cette baisse de la consommation est souvent attribuée à l'inflation, plusieurs agriculteurs du territoire ont aussi le sentiment que l'image du bio se dégrade. « Il y a un matraquage médiatique contre le bio qui tend à montrer ses mauvais côtés notamment au niveau des prix pratiqués », regrette Maël Royé, maraîcher bio installé depuis 2011 à Rosières.

Selon lui, l’apparition de la certification HVE (Haute valeur environnementale) contribue également à la baisse de consommation des produits bio. Un avis partagé par la chèvrerie du Bouchet Ravaux, installée depuis 2021 à Jaunac et produisant du Picodon AOP Bio, principalement en vente directe : « Sur les marchés, on constate qu’il y a de plus en plus de producteurs avec la certification HVE ». Et dans les magasins aussi, « les consommateurs qui étaient entre le conventionnel et le bio, se tournent désormais vers le label HVE », analyse Franck Stinmestre. 

Outre l'aspect environnemental, l'agriculture biologique répond aussi à un enjeu économique. « Le bio fait vivre énormément de personnes », insiste Maël Royé. Au Domaine de Mercoire, il emploie notamment 12 salariés. « Acheter du bio, c’est soutenir l’emploi local », conclut-il.

Marine Martin et Pauline De Deus

Maël Royé, maraîcher à Rosières au Domaine de Mercoire : "le bio fait vivre énormément de personnes". ©MMartin_AAA
Sylvain Joly, produit des agneaux certifiés bio à Saint-Andéol-de-Vals. Pour ses cochons, en revanche, il est repassé en conventionnel.
La parole à Rémy Fabre, représentant de la filière Bio AURA à la Chambre régionale d'agriculture
POLITIQUE

La parole à Rémy Fabre, représentant de la filière Bio AURA à la Chambre régionale d'agriculture

Pour Rémy Fabre, maraîcher aux Vans, représentant de la filière Bio AURA à la FNSEA et référent bio à la Chambre Régionale d’agriculture, la décroissance du marché du bio suit une tendance plus générale liée à une baisse en gamme des consommations alimentaires.

« Au niveau des GMS, ceux qui achètent du bio sont passés aux grandes marques et ceux qui achetaient les marques de distributeurs sont passés au premier prix. De plus, les consommateurs font des achats globaux, ils mixent produits bio et non bio ». Selon lui, les épiceries spécialisées en pâtissent. « On se rend compte aussi que la flambée des prix est moins importante sur les marchés donc il y a un réel intérêt pour les consommateurs de faire leurs achats en direct », ajoute-t-il.

Pour une démocratisation des produits bio.

Face au marché du bio en recul, Rémy Fabre est catégorique, le changement passera via la communication au plus grand nombre : « Il faut une campagne de communication qui oriente les consommateurs à faire de vrais choix politiques à travers leur alimentation, sans opposer les modes de commercialisation, le bio doit rester présent partout. Aujourd’hui le bio est un marché important. On sentait il y a deux ans que ça allait se tendre, car il y a eu une vague de conversion, logiquement suivie par une hausse de l'offre sur plusieurs filières. L’État a pourtant continué à mettre en avant les conversions, mais n’a pas mis assez d’argent sur la table pour maintenir ceux qui sont déjà en bio. Sur des filières auparavant en tension comme la viande, cela peut engendrer de gros problèmes », poursuit le responsable AB de la Chambre régionale d'agriculture.

Soutien et communication

Néanmoins, une première enveloppe de 10 millions a été versée au début de l’été aux producteurs bio. Un budget jugé insuffisant, pour le maraîcher des Vans : « La totalité a servi pour aider les filières d’élevages, car ce sont eux qui souffrent le plus ». Une deuxième enveloppe sera versée à la fin de l’été, de 60 millions. « Les dossiers peuvent encore être déposés à la FranceAgriMer1», rappelle le responsable agriculture biologique de la Chambre régionale d'agriculture.
Cependant, le représentant de la filière bio AURA pour la FNSEA se veut optimiste pour la suite : « Nous sommes soutenus par la Région, à travers le Plan Bio qui nous aide à investir afin d'acquérir du matériel techniquement performant spécifique à la bio et qui permet aux agriculteurs de bénéficier de conseils techniques de la Chambre d'agriculture à un tarif très intéressant  ». Conjuguée à une réelle campagne de communication mettant en avant la consommation de produits de l’agriculture biologique, Rémy Fabre en est persuadé, « la crise sera passagère. Le nombre d’agriculteurs baisse, mais ils sont plus nombreux à se convertir ».

M.M

1 En justifiant notamment d’une baisse d'EBE.
Au Mas de Bagnols, le vin bio tire son épingle du jeu
Pierre Mollier et Louis de Moerloose dans la cave de Vinezac. "En termes d'image, il y a un travail d'explication à mettre en place", est convaincu Louis de Moerloose, au sujet des pulvérisations en bio. ©MMartin_AAA
VITICULTURE

Au Mas de Bagnols, le vin bio tire son épingle du jeu

Au domaine du Mas de Bagnols, à Vinezac, Louis de Moerloose, a commencé avec six hectares de vignes qu'il a converti en bio. Il a aujourd'hui doublé sa surface.

Lorsqu’il reprend l’exploitation de son prédécesseur, Pierre Mollier, en 2018, Louis de Moerloose ne tarde pas à convertir sa production en bio pour la récolte de 2019. « J’ai commencé par l’enherbement : 6 hectares. C’est beaucoup de travail quand on est en bio, mais ça se fait », avance le vigneron d’origine belge, installé dans le département depuis 2015. Aujourd’hui, ils sont deux sur l’exploitation et le vigneron a doublé ses hectares « Mon prédécesseur, était en exploitation « raisonnée », j’ai repris une terre et des vignes « propres » ce qui m’a aidé lors de mon passage en bio en 2019, car sinon cela aurait été plus difficile. Je n’ai donc pas eu de ralentissement de la production », constate le vigneron.

L’achat du bio, un acte politique

De son côté Pierre Mollier, pointe du doigt la charge de travail supplémentaire : « Passer en bio en viticulture, c’est davantage de travail : en bio une personne peut s’occuper de 6,7 hectares, alors qu’en conventionnel, cela peut être entre 30 et 40 hectares. De plus, le rendement reste limité : entre 25 et 45 hectolitres », précise-t-il. « On vend entre 3 000 à 6 000 bouteilles par hectare. Un voisin en conventionnel, c’est minimum le double », renchérit Louis de Moerloose, qui a tout de même réussi à valoriser sa production à la transition, en augmentant le prix des bouteilles de vin.

Une commercialisation disparate

Si les produits bio en vente directe sont toujours à la hausse (+3.9 %), pour le vigneron de Vinezac, « il y a peu d’impact, les gens ne viennent pas forcément pour le vin bio, mais la covid a modifié les comportements, les gens viennent au caveau pour savoir comment est fait le vin, car cela représente un monde à part ». En revanche pour le vigneron, c’est lors de l’export hors département que le vin bio est devenu une condition sine qua non au marché. « À Paris, il faut que le vin soit bio pour pouvoir le vendre ».

Le vigneron qui a l’objectif de se diversifier en plantant une oliveraie, souhaiterait même aller plus loin si le marché économique le permet : « Je ne pourrais pas être en conventionnel, tout d’abord pour le risque qu’engendrent les phytosanitaires pour ma santé. J’aimerais réduire l'empreinte carbone et faire de l'agroforesterie, mais pour l'instant le risque économique est trop grand ».

M.M

1.3 %

C'est la part de vignoble certifié bio perdu en Ardèche entre 2021 et 2022. Un recul paradoxal alors que le vin bio est le seul marché bio qui a poursuivi sa croissance en 2022 à l’échelle nationale.

Un accompagnement personnalisé

Grâce au soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, la chambre d’agriculture de l’Ardèche propose aux agriculteurs en bio, en conversion ou projet de conversion bio, un accompagnement individuel et personnalisé sur toutes les productions, à tarif préférentiel. Conseil à la plantation, choix cépage/variétés et porte greffe, itinéraire technique (amendement, conduite, taille, protection sanitaire conventionnelle et bio, irrigation), choix du matériel pour le travail de la vigne et en arboriculture, aide à la construction d'un plan de culture en maraîchage, optimisation de l’alimentation et des fourrages en élevage… Autant de conseils fournis par la chambre d’agriculture qui peut aussi accompagner des démarches de transformation à la ferme ou encore agritouristiques. La structure peut également réaliser des études de faisabilité et conseiller quant à l’intérêt d’une conversion. Depuis 2020, plus d’une centaine d’agriculteurs ardéchois ont bénéficié de cet accompagnement.

Tarif de la prestation : à partir de 52,50 € HT. Contact : Renaud Pradon, responsable en productions végétales et agriculture biologique, au 04 75 20 28 00, 06 85 08 03 57 et à [email protected]

Chambre d’agriculture de l’Ardèche