FILIÈRE ÉQUINE
Chevaux de trait, une affaire de passionnés

Les éleveurs de chevaux de traits, en Ardèche, sont peu nombreux mais farouchement passionnés. Rencontre avec deux d’entre eux, qui présenteront des animaux lors de la Fête du Cheval du 7 août à Mirabel.

Chevaux de trait, une affaire de passionnés
Denis Dumas et Alain Vigne élèvent des traits Comtois

Denis Dumas, « Les chevaux sont mon moyen d’évasion »

Denis Dumas, « Les chevaux sont mon moyen d’évasion »

Denis Dumas se souvient encore de cette époque, pas si lointaine, où chaque ferme avait une ou deux juments. Il y a une quarantaine d’années, le tracteur n'avait pas encore tout à fait supplanté la traction animale, et avoir un cheval était une nécessité pour de nombreux paysans. « Il y avait à Berzème une station de monte avec quatre étalons pour la reproduction. Sur le Coiron, tous les agriculteurs avaient une jument. Lorsque j’ai fait mon premier concours départemental, à Berzème, il y avait jusqu’à 120 juments ! » Le boucher, bien connu des Privadois, a adopté sa première jument en 1984, à l’âge de 17 ans. « J’adorais les chevaux. Je n’ai jamais été cavalier : mon truc, ça a toujours été l’élevage. À l’époque, les juments étaient souvent croisées en races Comtoise et Bretonne, pour être plus performantes au travail dans les champs. Aujourd’hui, c’est différent. » Depuis cette époque, le cheval a été remplacé par le tracteur. Dans les années 2000, les cours ont chuté, et petit à petit, les chevaux de trait ont disparu du paysage agricole. La station de reproduction de Berzème a fermé ses portes il y a de nombreuses années déjà. « Les anciens en avaient tellement bataillé qu’ils ne voulaient plus en avoir. Seuls les vrais passionnés ont gardé quelques chevaux. »

Depuis ses 17 ans, Denis Dumas a toujours eu des traits Comtois : « J’ai eu jusqu’à 47 juments ! Aujourd’hui, j’ai environ 30 juments et pouliches, entre le Coiron et le plateau ardéchois. J’ai aussi acheté plusieurs reproducteurs dans le Doubs, qui est le berceau de la race. » Ironie du sort, ce sont aujourd’hui des éleveurs du Doubs qui viennent acheter des étalons et reproductrice auprès de l’éleveur privadois : « Ces dernières années, ils ont énormément vendu, et ils se tournent donc vers des éleveurs-naisseurs hors-berceau. On a la souche qu’ils ont peu à peu perdue. »

Malgré une vie professionnelle bien remplie, Denis Dumas a toujours consacré du temps à ses chevaux : « J’ai toujours aimé le monde, visiter les élevages, voir les clients à la boucherie… Mais m’occuper de mes juments a toujours été mon moment d’évasion, ma manière de m’aérer l’esprit. » Son fils Antoine a lui-aussi la passion des chevaux de traits : « Il fait les concours, et a même participé au concours général agricole Elégance du salon de l’agriculture à Paris. Il avait remporté le 4e prix avec sa jument Heidi de la Palud, qui est née et a été élevée ici. On avait son arrière-grand-mère ! J’ai toujours fait de la sélection. Je suis moins dans les concours que mon fils, mais dès que j’ai l’occasion de monter au concours à Maîche, j’y vais volontiers. C’est une vraie fête ! De 20 à 80 ans, il n’y a que des éleveurs passionnés et une super ambiance ! »

Alain Vigne : « Les Comtois ont beaucoup d’allure et très bon caractère »

Alain Vigne : « Les Comtois ont beaucoup d’allure et très bon caractère »

On le savait éleveur de bovins. Mais Alain Vigne est aussi un amoureux de chevaux de traits. Il en élève depuis de nombreuses années déjà. Sa première jument, il s’en souvient comme si c’était hier. « C’était une Comtoise, que j’ai achetée dans le Doubs, berceau de la race. À l’époque, j’étais éleveur laitier et j’y allais pour ramener des Montbéliardes. Aujourd’hui, je n’ai plus d’atelier lait mais un atelier allaitant, avec des Limousines. »

S’il n’a d’abord eu qu’une seule jument, il a peu à peu augmenté son cheptel et fait de la sélection. « Aujourd’hui, j’ai 9 juments, et je loue un étalon à l’association nationale du cheval de trait Comtois (ANCTC) pour les saillies. Je fais également des saillies à des collègues du coin. » Les bêtes ne manquent pas de soin ni d’espace : « Durant l’hiver, elles sont autour de l’exploitation, entre Villeneuve de Berg et Mirabel. Puis durant toute la belle saison, on les monte sur le plateau entre Sainte-Eulalie et le Gerbier, et également à Mézilhac. On les amène dans les près après y avoir fait pâturer les vaches, et inversement, les bovins mangent les refus que les chevaux ont laissés dans les parcs. »

Elever des chevaux demande toutefois du temps et de l’énergie. « C’est un peu comme les bovins : il faut être là pour les poulinages, faire parer les pieds deux fois par an, et les nourrir durant l’hiver, sachant qu’elles mangent deux fois plus que les vaches, que ce soit le foin ou l’herbe. » Il ajoute: « L’élevage de chevaux de trait ne paye pas, même si les cours ont beaucoup augmenté ces dernières années. Mais on le fait vraiment par passion ! » Et Alain Vigne est un passionné, qui fait régulièrement des concours départementaux et régionaux. « J’ai aussi été deux fois au national Comtois à Maîche, chaque fois avec la même jument, Daisy. » Il sera présent au Pradel ce dimanche 7 août pour le concours départemental modèles et allures : « je présenterai deux juments suitées, une jument non suitée, une pouliche de 3 ans, deux pouliches de 2 ans et deux de un an, ainsi que l’étalon. »

Ces dernières années, avec de moins en moins d’éleveurs et une demande internationale en hausse (Italie, Asie), les cours des chevaux de traits ont augmenté du simple au double : « le kilo se vendait à 1 € il y a peu de temps encore, et se situe aujourd’hui entre 2,80 et 3,30 €, souligne Alain Vigne. Même les juments de réforme se vendent bien. »

Alain Vigne n’est pas cavalier, et ne fait pas de traction animale. « Mais si j’avais un peu de temps, j’aimerais bien faire de l’attelage ! » Si la race Comtoise a sa préférence, ce n’est pas pour rien : « Les Comtois ont beaucoup d’allure, ce sont vraiment de beaux animaux, qui ont très bon caractère et sont très affectueux. Je vais les voir presque tous les jours, c’est mon moment de détente. »

Mylène Coste

Le saviez-vous ?

Il y a quelques siècles, le Comtois était aussi connu comme un cheval guerrier. Louis XIV puis Napoléon Ier en adoptèrent aussi bien pour leur cavalerie que pour tirer artillerie et carrosses.