Un riz 100 % ardéchois gorgé de passion
Vins aromatisés, épeautre, gruau de blé, orge, sarrasin, huile d'olive, farines de blés anciens... La multitude de cultures qu'ils ont déjà expérimentées n'ont pas tari leur soif de découverte. Une curiosité qui a conduit Patrick, Élisabeth et leur fils Nicolas Roustan à se lancer dans la riziculture.

Diversifié, innovant, imaginatif et audacieux : le Domaine des Mûres est à l'image de l'agriculture ardéchoise! Créée en 1985 par Patrick et Élisabeth Roustan à Bourg-Saint-Andéol, en agriculture biologique depuis 20 ans, l'exploitation n'a cessé d'expérimenter les cultures et les productions au gré des envies de ses deux pilotes, rejoints en 2010 par leur fils Nicolas. Avec 120 ha de terres, cultivées en céréales, oléagineux, vignes et oliviers, ils transforment leurs produits afin de produire farines1, huiles et vins vendus dans des magasins de producteurs de la région ou dans leur point de vente à la ferme.
Innovation et diversification semblent être deux maîtres-mots dans la famille Roustan, qui n'a de cesse d'expérimenter de nouvelles cultures. Dernières en date : le sésame, le quinoa, et le riz.
« Donner raison à l'histoire »
« Mon père m'a toujours raconté qu'au sortir de la guerre, il y avait quelques parcelles de riz cultivées à Bourg-Saint-Andéol, par des agriculteurs pionniers. Fort de cet héritage, j'ai toujours nourri l'envie de tenter l'expérience à mon tour, pour donner raison à l'histoire. D'autant plus que nous bénéficions aujourd'hui de variétés mieux adaptées à nos conditions d'ensoleillement », raconte Patrick Roustan.
« Nous cherchons toujours de nouvelles cultures pour diversifier l'exploitation et créer de la valeur. Le riz nous est apparu comme une possible opportunité », complète Nicolas Roustan. De plus, les exploitants possédaient déjà du matériel adapté à la production de riz, et notamment une décortiqueuse et polisseuse dont ils se servaient jusqu'à présent pour l'orge perlé et l'épeautre.
« Nous avons tenté un première expérience l'an dernier sur de petites surfaces pour observer l'acclimatation des grains dans nos terres. Cela n'a pas été concluant : nous n'avions ni le matériel ni les méthodes adaptées, relate Nicolas Roustan. Toutefois, malgré le manque d'eau et la sécheresse extrême, le riz s'est montré très résistant et coriace. C'est pourquoi nous nous sommes lancés cette année. »
Pour la récolte du riz, Nicolas et Patrick Roustan utilisent leur moissonneuse.

Un riz moins gourmand en eau que le maïs !
Loin des images familières de rizières inondées, le Domaine des Mûres pratique la riziculture pluviale, comme elle est couramment observée en Afrique. « À l'inverse de la culture traditionnelle asiatique, nous ne pratiquons pas la riziculture inondée, mais simplement irriguée au moyen d'un système d'arrosage par aspersion. Nous avons cultivé le riz sur une parcelle déjà irriguée par l'eau de la nappe, indique Patrick Roustan. Le riz a besoin d'être bien irrigué, mais pas autant que ce que l'on peut penser. C'est une culture moins gourmande en eau que le maïs, et plus résistance à la sécheresse. » Preuve en est : après les pluies de septembre, même les parcelles peu arrosées durant l'été ont donné du riz. Cette culture reste toutefois vulnérable en périodes de sécheresse.
Avant même l'irrigation, c'est la maîtrise de l'enherbement des parcelles qui constitue l'enjeu principal pour Patrick et Nicolas Roustan. « Avant d'épier, les germes végètent entre 5 et 10 cm de hauteur. Il faut donc être vigilant sur l'herbe afin qu'elle ne cache pas la lumière et n'empêche pas la maturation du riz. Nous l'avons coupée au moyen d'une écimeuse, mais ce n'est pas évident, explique Patrick Roustan. Toutefois, c'est une culture coriace : même le xantium, qui d'habitude peut étouffer bien des céréales, n'a pas empêché le riz d'épier correctement. »
Du semis à la récolte...
Les exploitants bourguesans ont opté pour le riz « manobi », une variété rustique au cycle relativement court, et réputé pour sa polyvalence : « c'est un riz rond, que l'on peut cuisiner de toutes les manières. C'est aussi une variété brassicole, utilisée pour faire de la bière ou du saké », souligne Nicolas Roustan.
Le riz est semé début mai, et les grains germent jusqu'à 5 à 10 cm avant d'entrer en dormance pendant une dizaine de semaines. « Après le 15 août, les épis montent rapidement et les grains arrivent à maturité, précise l'agriculteur. On les récolte ensuite à la moissonneuse, en allant un peu plus doucement qu'avec le blé. » Une fois récolté, le riz passe à la machine à décortiquer, qui ôte la balle avant de polir les grains. Ceux-ci sont ensuite triés à l'aide d'une colonne à air puis d'un toboggan qui termine le calibrage. « Nous avons ramassé le riz relativement sec, à l'inverse des producteurs camarguais qui récoltent la céréale entre 18 et 20 % d'humidité. Nous craignions que le riz, trop sec, ne casse facilement, mais cela n'a pas été le cas. » Les quelques grains brisés ne sont cependant pas jetés, mais transformés en farine.
Nicolas Roustan, du Domaine des Mûres à Bourg-Saint-Andéol, a produit pour la première fois du riz bio 100 % ardéchois.

Un produit Goûtez l'Ardèche
Sur 5 ha cultivés, le Domaine des Mûres a récolté environ 4 tonnes de riz. « Ce n'est pas énorme, mais satisfaisant : tout l'intérêt de cette culture est d'être bien valorisable », insiste Nicolas Roustan. Forts de cette première expérience, la famille Roustan entend poursuivre l'essai l'an prochain tout en améliorant certains aspects : « Nous essaierons de biner davantage pour aérer davantage les sols et permettre à davantage de lumière de pénétrer. Cela implique aussi de semer un peu différemment, de manière plus espacée. Il nous faudra bricoler quelque chose », s'amuse Patrick Roustan.
En attendant, le riz du Domaine des Mûres est à découvrir dans plusieurs points de vente collectifs2 du département. Et, cerise sur le gâteau, il vient d'être estampillé « Goûtez l'Ardèche ».
Mylène Coste
1. Le Domaine des Mûres produit environ deux tonnes de farines par mois dans un moulin ancien à meule de pierre.
2. La Voulte, Les Vans, Vallon-Pont-d'Arc, Aubenas, Rocles...
Une production essentiellement camarguaise

La France est un petit producteur, mais la culture du riz y est ancienne. Elle remonterait au XVIe siècle, sous le règne du roi Henri IV. La production française croît doucement au fil des siècles, mais de manière relativement modérée. En 1945, on compte 250 ha de riz dans l'Hexagone, mais la Seconde Guerre Mondiale viendra paradoxalement booster la production. Au sortir de la guerre, la production de riz prend de l'ampleur en bordure de Rhône et dans la Camargue, atteignant les 32 500 ha en production. Un élan bien vite retombé, puisqu'on ne recense plus que 5 000 ha dans les années 1980.
Un plan de relance rizicole, destiné à adapter la production à la demande, est mis en place en 1981. La filière camarguaise se redynamise petit à petit, jusqu'à atteindre les 20 000 ha en de surfaces rizicoles aujourd'hui, pour une production annuelle de 80 000 tonnes de riz paddy (non décortiqué). En 2016, près de 200 exploitations cultivaient du riz en France, la grande majorité en Camargue. Les riz camarguais représentent un chiffre d’affaires annuel de 80 millions d’euros et 2 000 emplois directs.