INTERVIEW
Loïc Obled : « Nous avons une population dynamique de loups »

En sortie d'hiver 2022, près de 921 loups seraient présents en France selon l'Office français de la biodiversité (OFB). Loïc Obled, directeur délégué à la connaissance et à l'expertise, détaille les méthodes de comptage de l'OFB et analyse ces nouveaux chiffres.

Vous avez rehaussé l'estimation du nombre de loups de 624 à 783 pour 2021. Qu'est-ce qui justifie cette révision ?

Loïc Obled : « Chaque année, nous récoltons environ 4 500 indices, photos, poils et crottes. Ils alimentent un modèle mathématique qui nous permet d'estimer la probabilité de non-détection d'un animal, et d'obtenir l'effectif minimal retenu. L'année dernière, nous avons fait tourner ce modèle dès la sortie d'hiver pour avoir un chiffre provisoire. Mais pendant toute l'année qui a suivi, nous avons analysé minutieusement les indices, sur le plan génétique notamment, et nous avons pu ajuster la probabilité de non-détection. C'est pour cela que nous avons corrigé le chiffre de l'année dernière, en le faisant passer de 624 à 783. Il n'y a pas d’erreur : c'est une correction mathématique, qui se situe dans la fourchette haute de l'intervalle que nous avions annoncé. De même, le nouveau chiffre provisoire que nous annonçons pour 2022, 921 loups, devra être confirmé à la hausse ou à la baisse. »

La révision est-elle liée à de nouvelles méthodes de comptage qui ont été évoquées depuis plusieurs mois ?

L.O : « La méthode n'a pas changé et pour cause : les autorités scientifiques nationales et internationales nous disent qu'elle reste l'une des meilleures du monde. Là où nous avons beaucoup travaillé, ce sont sur les indices à partir desquels le modèle tourne. Nous avons notamment beaucoup échangé avec les éleveurs, les louvetiers, les chasseurs ou les associations. Avec l'aide du préfet coordinateur, et des autres préfets, nous avons mené une stratégie de prospection concertée dans la plupart des départements, pour améliorer la quantité d'indices, en prospectant des zones dans lesquelles nos services n'allaient pas encore, mais aussi en qualité. Pour qu'un indice soit recevable, il doit être daté, géolocalisé et que l'on puisse identifier le loup à partir d'une photo ou de matériel de type poil ou crottes. Nous avons même établi un document qui a circulé dans les organisations professionnelles agricoles pour consolider le réseau loup avec ces apports extérieurs, afin de restaurer la confiance et garantir la transparence. Aujourd'hui, la très grande majorité des indices viennent toujours de l'OFB ou des parcs nationaux. Mais nous avons de plus en plus d'éleveurs et de chasseurs qui nous appellent ou nous envoient des fiches sans être membres du réseau. »

Comment interprétez-vous les nouveaux chiffres ?

L.O : « Au-delà des effectifs, il faut regarder la progression année par année. On voit que la progression est régulière, entre 10 et 20 % par an, et qu'elle est bien corrélée avec l'augmentation du nombre de meutes. Il n'y a donc pas d'anomalie statistique, et nous avons une population dynamique, avec une croissance assez forte. Il y a deux éléments que l'on peut attester scientifiquement : les zones de présence permanentes (ZPP), où le loup est aperçu au moins deux années de suite, et les meutes. Et nous avons deux tendances : une dispersion des animaux avec des ZPP de plus en plus étendues, mais aussi une densification du nombre de meutes dans l'arc alpin. Nous n'avons d'ailleurs jamais observé de reproduction en dehors de cette zone, qui court de la région Paca au Jura. »

Le relèvement de l'effectif entraîne une hausse des autorisations de tirs. Pourraient-elles mettre en danger la population de loups ?

L.O : « Les effets des tirs à long terme sur la population ne sont pas encore clairs. Mais à ce stade, on observe que le plafond fixé comme un pourcentage de la population n'a pas stoppé la progression démographique. Et l'ensemble des signaux, sur la démographie mais aussi sur l'extension géographique ou la mortalité, montrent pour l'heure un état de conservation plutôt favorable de l'espèce. D'ailleurs, si les tribunaux n'ont jusqu'ici jamais suspendu les tirs dérogatoires, c'est que la justice a l'assurance qu'ils ne portent pas atteinte à la préservation de l'espèce. Et il ne faudrait pas crier victoire trop tôt, mais la baisse des dégâts semble effectivement être le signe que les efforts mis en place par l'État avec les partenaires réussissent à déconnecter les dégâts de la progression démographique. Cela ne veut pas dire que le dispositif est parfait, mais cela montre que la politique menée avec l'ensemble des acteurs, au niveau national comme local, a porté ses fruits. »

Propos recueillis par Ivan Logvenoff

Les demandes des OPA

Face à la hausse de la population de loups sur un an, syndicats agricoles et chambres demandent au ministère de l'Agriculture de faciliter la lutte contre la prédation. « À chaque attaque, tous les éleveurs doivent pouvoir accéder aux tirs de défense simples, voire renforcés, sans entrave », défend Claude Font, référent loup pour la FNO (éleveurs ovins, FNSEA). Alors que 112 loups auraient été prélevés sur les 118 autorisés en 2021, FNSEA, chambres, chasseurs et associations spécialisées animales exigent « que soient prélevés 300 loups en 2022 ». Au niveau européen, la FNO estime pour sa part que « la révision du statut de protection du loup s'impose », afin de « donner davantage de souplesse aux États membres ».