ELEVAGE
Viser l’autonomie protéique en produisant ses méteils grains

EXPERIMENTATION / En 2016, les adhérents de Biolait (société spécialisée dans la collecte du lait bio partout en France) ont décidé que leur lait devrait être produit avec des animaux nourris avec une alimentation 100 % française. Dans ce contexte, un groupe d’éleveurs du Rhône et de la Loire s’est mobilisé afin de mener une réflexion plus globale sur l’autonomie protéique. Retour d’expérience.

Viser l’autonomie protéique en produisant ses méteils grains
Le groupe d’éleveurs « protéine et toastage ». Crédit : E.Butin-Ardab

Lancé par un groupe d’éleveurs du Rhône et de la Loire, la réflexion des adhérents de Biolait sur l’alimentation de leurs animaux a été accompagnée par l’ADDEAR de la Loire, l’Ardab, Rhône et Loire Conseil élevage ainsi que par le Sima Coise. Quatre années de travail collectif ont permis d’expérimenter des solutions sur le système fourrager, les cultures et les semences, le tri, le toastage des protéagineux, leur intégration dans la ration et le résultat sur les animaux d’élevage. L’objectif : nourrir leurs animaux avec une alimentation 100 % française. Eleveur laitier bio dans les monts du Lyonnais et membre du groupe de
réflexion, Claude Villemagne revient sur la dynamique du groupe, les échanges intenses et conviviaux qui l’ont animé, et sur les évolutions entraînées pour
chaque ferme, notamment face au changement climatique.

Quelle a été la démarche du groupe d’éleveurs du Rhône et de la Loire pour travailler sur l’amélioration de l’autonomie protéique dans leur élevage ?

Claude Villemagne : « C’est à la suite de l’assemblée générale de Biolait en 2016 qu’il a été décidé que tous les producteurs devaient nourrir leurs animaux avec de l’aliment 100 % français. Dans les monts du Lyonnais, nous nous sommes regroupés avec d’autres éleveurs pour réfléchir à comment s’adapter à cette demande. Nous achetions à l’époque du tourteau de soja et nous ne nous sentions pas en adéquation avec ça. Le fait qu’on ne se pose pas la question tout seul nous a aidés à franchir le pas. L’objectif du groupe est de produire de la protéine végétale valorisée sur les fermes. Pour nous, c’est également l’objectif d’atteindre l’autonomie protéique et alimentaire à plus long terme. »

Quelles cultures ont été mises en place ? Quels essais avez-vous réalisés ? Avec quels objectifs ?

C. V. : « Après un voyage d’étude en Vendée où nous avons vu plusieurs fermes et différentes cultures, et forts de nos discussions avec les producteurs du groupe, nous avons réalisé nos premiers essais. La première année, nous avons testé une association triticale-féverole. Ce n’était pas judicieux car nous n’avons récolté que très peu de féveroles et les maturités des deux espèces coïncidaient mal. Nous avons abandonné ce mélange. En revanche, l’association orge-pois protéagineux a eu de meilleurs résultats. Les deux premières années, nous avons produit notre semence de pois et en 2019 nous en avons eu assez pour le toaster et le donner aux animaux. Il a fallu deux ans pour arriver à cet objectif. Bien entendu, au fur et à mesure des essais, des évolutions ont été réalisées notamment pour adapter les doses de semis de pois. Nous sommes passés de 50 kg/ha d’orge associé avec 150 kg/ha de pois à des mélanges plus équilibrés : moitié/moitié. Nous nous sommes rendu compte que par rapport aux collègues, nous mettions plus de pois pour pas forcément plus de rendement (voir graphique dans l’encadré). Nous avons donc diminué les doses. La priorité pour nous n’est pas du tout la céréale mais bien de produire de la protéine. Nous gardons cependant l’orge, et après broyage, nous l’incorporons à la ration. »

Quel a été le travail du groupe autour du tri ?

C. V. : « Nous avons suivi plusieurs formations sur les questions d’itinéraires culturaux d’abord, puis nous avons abordé la question de la récolte et nous en sommes venus au nettoyage et à la séparation des céréales et protéagineux. Cette phase n’est pas à négliger car elle permet de conserver la récolte dans de
bonnes conditions. Nous n’avions pas de trieur adapté sur les fermes, c’est-à-dire qui séparait bien et qui avait un débit de chantier suffisant. Les trieurs à grilles
étaient trop coûteux. Dans le groupe, il y a des gens ingénieux qui se sont dit : « Pourquoi ne pas le fabriquer ? » Ils ont fait les plans avec l’appui de l’Atelier
Paysan pour construire un trieur-séparateur adapté à nos attentes. C’est comme ça qu’un trieur fonctionnel a été testé et mis en marche à l’été 2018. L’idée
était de le répliquer dans les fermes. Entre-temps, le groupe a pu tester un trieur aérodynamique. Il était intéressant car à peine plus coûteux il donnait des résultats similaires. Quatre trieurs ont été achetés neufs en collectif. »

Quels sont vos objectifs en termes d’alimentation de l’élevage ?

C. V. : « Nourrir tous nos animaux avec notre pois. Grâce aux essais faits dans le groupe, on sait que le pois protéagineux toasté fonctionne bien avec une ration
à base d’ensilage herbe et maïs. Nous n’avons pas spécialement choisi l’entrée économique pour mener ce travail car on se dit que si on atteint l’autonomie, forcément ça suivra au niveau économique. »

Sous quelle forme le méteil est-il distribué aux vaches ?

C. V. : « Il n’est pas donné sous forme de méteil. Nous séparons la céréale du pois protéagineux et ensuite nous toastons le pois. Après broyage, le pois est mélangé à la ration qui est composée d’ensilage d’herbe et de maïs. Produire des fourrages de qualité, notamment en récoltant aux meilleurs stades, nous permet de donner le moins possible de pois toastés aux animaux. C’est la formule la plus économique. »

Est-ce qu’aujourd’hui les objectifs sont atteints ?

C. V. : « Je dirais que le premier objectif a été atteint grâce au groupe : nous produisons de la protéine végétale sur nos fermes. Les objectifs d’autonomie
protéique, et si on voit encore plus large, d’autonomie alimentaire à l’échelle de notre exploitation, nécessitent encore du travail et du temps. Ce qui est sûr
c’est que nous n’aurions jamais été aussi loin dans nos réflexions et changements sur la ferme sans le groupe. En plus d’avoir des temps avec des techniciens,
nous profitons beaucoup des temps d’échanges et des expériences de chacun. Aujourd’hui, c’est la fin du groupe protéine après quatre ans de travail, mais le collectif ne s’arrête pas là : on s’est réunis autour d’autres réflexions, notamment la composition de nos mélanges prairiaux en lien avec nos sols et nos conditions pédoclimatiques, afin d’augmenter leur résistance à la sécheresse. »

Quelles sont vos perspectives en matière d’autonomie alimentaire protéique aujourd’hui sur la ferme ?

C. V. : « Nous cherchons toujours à atteindre un rythme de croisière. L’adéquation entre nos 96 hectares, les besoins de nos animaux et la production de lait est
essentielle. Si nous maintenons ce cap, cela nous conduira nécessairement vers l’autonomie protéique et alimentaire. Le plus tôt sera le mieux : nous nous
donnons cinq ans. Cela nous permettra de profiter des fruits de notre travail et de transmettre une ferme durable et en bonne santé lorsque le moment sera venu. »

Article rédigé et propos recueillis par Gaëlle Caron,
animatrice technique polyculture à l’Ardab (Association des producteurs bio de Rhône et Loire).

FOCUS SUR / Les méteils

Les méteils ou les associations céréales-protéagineux pour une récolte en grain sont des cultures intéressantes dans une démarche d’autonomie alimentaire et de réduction des intrants.

Pour conduire ces cultures, le groupe d’éleveurs a testé plusieurs itinéraires techniques sur trois campagnes successives pour les associations culturales blé-féverole et orge-pois protéagineux, avant de retenir l’itinéraire technique le plus économe en intrants.

Association orge - pois protéagineux

Association orge - pois protéagineux
Crédit : G.Garon-Ardab

Association blé - féverole

Association blé - féverole
Crédit : G.Garon-Ardab
Le Gaec de la Brumagne
Claude Villemagne.

Le Gaec de la Brumagne

Claude Villemagne est l’un des deux associés du Gaec de la Brumagne à Chazelles-sur-Lyon (Loire). Sur ses 96 ha de superficie totale, la ferme dispose de 52 ha de prairies temporaires, 23 ha de prairies permanentes, 5 ha de maïs population, 16 ha de céréales dont 6 ha d’orgepois protéagineux, de l’orge pur, du blé population et différentes variétés de triticale. Le troupeau laitier compte 65 vaches dont 15
jersiaises et 50 croisées holstein-montbéliardes-rouges scandinaves, pour une production de 400 000 litres par an.