FILIÈRE
Le porc noir du Dauphiné, de Bresse et le roux du Massif central de retour

Réintroduire des races de porcs locales disparues au fil des années, c’est la mission de l’association Div’Porcs. Membre fondatrice de Div’agri Auvergne-Rhône-Alpes, elle travaille depuis 2013 à la promotion de la diversité porcine dans la région. Découverte de l’avancée de ses travaux.

Le porc noir du Dauphiné, de Bresse et le roux du Massif central de retour
Simon Pascault, repreneur de la Ferme Perraud, accueille des porcs de Bourdeaux au sein de la dernière ferme de Lyon. ©AP

Le pas rythmé, entouré d’un immense parc de 6 ha, Simon Pascault accélère la cadence lorsqu’il aperçoit au loin ses cochons. Arrivés il y a quelques mois à la Ferme Perraud, dernière ferme lyonnaise basée dans le 9e arrondissement, ces jeunes reproducteurs font partie des premières lignées mises en place par l’association Diversité porcine (Div’Porcs). Ils symbolisent la réintroduction de l’ancienne race locale du Dauphiné appelée aussi porc de Bourdeaux, une race rhônalpine disparue vers le milieu du siècle dernier qui doit son nom à cette petite ville drômoise. Des porcs noirs de souche celtique, de belle taille, très rustiques et aptes à la vie en plein air.

La Ferme Perraud, une belle vitrine

« Je les ai accueillis à l’âge d’environ deux mois. Ils se déplacent là où ils veulent sur des terres plus ou moins pentues. Nous faisons du maraîchage, de l’arboriculture et un peu de vigne », explique Simon Pascault, 25 ans, en cours d’installation à la ferme de Louis-Pierre Perraud, à la retraite en fin d’année. « Mon projet d’ici l’année prochaine, c’est d’avoir, en plus des productions végétales, un élevage de soixante cochons. La démarche de l’association répond tout à fait à mes objectifs : amener un complément d’activité sur la ferme, et créer une plus-value agronomique et sociétale », ajoute le repreneur. Si pour l’heure, la Ferme Perraud se veut expérimentale, elle répond parfaitement au cahier des charges que l’association s’est fixé pour relancer le porc du Dauphiné (voir par ailleurs). « Il est impératif que les animaux vivent en pleine nature tout au long de l’année. Ici, ils pourront profiter des déchets de maraîchage et des arbres fruitiers. Par lots de vingt, ils circuleront en rotation dans les différentes parcelles. Ils travailleront le sol et fertiliseront la terre avec leurs déjections. Nous allons aussi pouvoir expérimenter quelques pratiques en plantant des tubercules qui pourraient s’avérer nutritionnellement intéressantes pour les porcs », précise Pierre Arcan, vice-président et responsable des élevages de Div’Porcs.

Le nouveau porc du Dauphiné

Lancée il y a presque dix ans, l’association s’est rapprochée de trois naisseurs professionnels basés en Isère et dans le Cher. Un élevage à Lamure-sur-Azergues (Rhône) et un autre à Saint-Geoire-en-Valdaine (Isère) ont aussi pris part à la démarche de façon expérimentale. « Nous avons eu une quinzaine d’inséminations qui n’ont rien donné. À ce jour, une douzaine de truies rentrent dans le schéma. Le processus est long, d’autant plus que nous souhaitons un engraissement de minimum douze mois. Si vous rajoutez à cela vingt-quatre mois de séchage minimum, trois à quatre ans s’écoulent du début à la fin du processus », ajoute Antoine Marzio, président de Div’Porcs. Présent le long de la vallée du Rhône, de la Durance et du Bugey, le porc du Dauphiné a vu ses huit dernières truies partir dans le Sud-Ouest de la France à la fin des années 1960 pour donner un nouvel élan au porc gascon, en perte de vitesse. Essentiellement constituée de porcs de souche ibérique, de constitution plutôt fine, la filière gasconne cherchait des porcs de souche celtique, plus rustiques. « Aujourd’hui nous voulons relancer le porc de Bourdeaux. Pour cela nous sommes repartis du porc gascon, réputé pour la qualité de sa viande, en venant y inséminer des semences anglaises, notamment le Large Black, une souche qui a pris le monopole ces dernières décennies », ajoute-t-il. Ce croisement semble prometteur, un salaisonnier de la région se disant intéressé pour transformer et commercialiser cette nouvelle viande.

Une filière haut de gamme

Ce salaisonnier, c’est Henri Raffin, basé à La Croix-de-la-Rochette (Savoie). Il commercialise sa viande en gros et souhaite monter en gamme. « Nous l’avons contacté et il est prêt à nous suivre. Nous sommes aussi en lien avec l’association Noir de Provence qui s’est, elle, rapprochée du groupe Loste Tradi-France, premier fournisseur des bouchers charcutiers indépendants français et rayonnant aussi à l’international. Nous sommes dans la même démarche et nous souhaitons mutualiser nos forces », précise Antoine Marzio. Le but est de concevoir un outil de développement économique performant dans un contexte où « les Espagnols comptent doubler leur production de porc haut de gamme dans les prochaines années pour consolider leur position de leader mondial », souligne-t-il. « Des entreprises sont déjà en train d’y travailler, y compris en Italie. Mis à part le jambon gascon et le basque, qui restent des productions confidentielles, en France il n’y a quasiment pas de jambon haut de gamme. Pourtant c’est connu, le haut de gamme tire les autres productions vers le haut ». Pierre Arcan apporte quelques précisions : « Pour que cette filière soit rentable, il faut partir sur un prix de 6 € la carcasse afin que l’éleveur puisse gagner au moins 30 000 € nets par an, hors amortissements, soit 10 € par cochon et par mois. On ne va pas créer une filière pour que l’éleveur gagne 1 200 € par mois… Nous sommes sur des prix élevés mais il faut qu’à la sortie, le consommateur puisse se dire : quelle viande remarquable ! ».

Alison Pelotier

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De gauche à droite : Pierre Arcan et Antoine Marzio de l’association Div’Porcs. ©AP
À la recherche d’engraisseurs

À la recherche d’engraisseurs

Si cette filière naissante a déjà trouvé deux débouchés professionnels sérieux, elle est à la recherche d’engraisseurs sans lesquels le projet ne pourra pas aboutir. « Nous sommes à la recherche d’éleveurs qui cherchent à se diversifier ou qui s’installent, ayant environ 25 ha à disposition (forêts, landes, friches, cultures…) pour y accueillir 250 cochons. Le seul vrai investissement, ce sont les clôtures, soit environ 100 000 € pour cette surface », indique Antoine Marzio. À ce jour, un seul éleveur de montbéliardes, Éric Girard, basé à Domsure (Ain), bénéficie de la capacité d’engraisser et souhaite se tourner vers l’élevage de porcs. Rémi Roediger, en cours d’installation à Vauxrenard dans le Rhône rejoindra prochainement l’aventure. « Dès que les salaisonniers vont commencer à communiquer, il va falloir répondre présent. Pour cela, les candidatures sont ouvertes ! »

A.P.

Une croissance lente

L’association Div’Porcs souhaite réintroduire des races locales de porcs en respectant trois critères indispensables. Premier critère : une durée d’élevage de minimum douze mois. « L’expérience montre que pour une même race ou croisement, la durée d’élevage est le premier déterminant des qualités organoleptiques des viandes, car l’aspect, le goût, l’odeur, la couleur et la consistance sont affectés directement par l’âge de l’animal. Selon les races, l’âge d’abattage pourra atteindre vingt-quatre mois », explique Pierre Arcan. Deuxième critère : le plein air intégral. L’espace engendre la multiplication des déplacements et favorise une meilleure circulation des aliments dans le système digestif et l’oxydation des graisses et des glucides destinés à produire l’énergie nécessaire aux muscles. Troisième critère : l’alimentation. Adaptée à une période de croissance de huit mois puis une phase d’engraissement de quatre mois minimum, l’alimentation comprend les ressources naturelles du terrain et les aliments apportés (céréales, féculents, fourrages…). Le bon équilibre des rations doit permettre de produire des carcasses où la qualité du gras et du persillage sont essentiels. « Avec une fibre musculaire de qualité, un gras plus riche en oméga 3 et 6 et mieux reparti, nous sommes à la recherche d’une croissance lente et bonifiée avec le temps », explique Pierre Arcan.

A.P.

Réintroduire le porc bressan et le roux du Massif central
Des travaux sont en cours pour relancer deux grandes races typées françaises : le porc bressan (en photo) et le roux du Massif central. ©Div’Porcs

Réintroduire le porc bressan et le roux du Massif central

Div’Porcs travaille aussi à la réintroduction du porc bressan, présent jusqu’à la moitié du siècle dernier dans le Revermont (Ain). « C’était notre première réflexion lorsque nous avons créé l’association. Après un rapprochement avec la British pig association, les premières tentatives de croisement ont échoué. Dix ans plus tard, une semence de British saddle black sur un porc Duroc semble donner des résultats concluants », raconte le président de Div’Porcs. Une dizaine de porcs sont élevés au sein d’Ÿnsect, entreprise productrice de protéines alternatives pour l’alimentation animale basée à Dole (Jura). « La volonté serait même de tester les insectes dans l’alimentation des porcs pour mieux cerner l’apport protéique dont ils pourraient bénéficier », ajoute Antoine Marzio. L’association travaille aussi à la réintroduction du porc roux du Massif central présent autrefois dans la Loire, les Cévennes et l’Aveyron. « Tout comme pour le porc bressan, nous en sommes aux prémices. Notre désir, c’est que toutes ces races typées retrouvent un jour leur territoire d’origine ».