BIODIVERSITÉ
Le Lézard ocellé sous protection

Anaïs Lévêque
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BIODIVERSITÉ / À la Voulte-sur-Rhône, des suivis naturalistes ont permis de découvrir la présence d’un jeune Lézard ocellé Timon lepidus (Daudin 1802) dans le périmètre de l’espace naturel sensible (ENS) de La Boissine et du site Natura 2000 « Rompon, Ouvèze, Payre ». Des abris ont été construits par les élèves du CEFA de Montélimar afin de préserver l’espèce et favoriser sa reproduction.

Le Lézard ocellé sous protection
Une femelle de Lézard ocellé Timon lepidus (Daudin 1802) sur la montagne du Vieux-Rompon. Ce lézard ocellé est reconnaissable par de petits cercles bleus (ocelles) situés sur ses flans. © Manon Eudes (Natura 2000)

De couleurs jaune et verte parsemées de motifs noirs et de petits cercles (ocelles) bleus situés sur les flans, le Lézard ocellé Timon lepidus (Daudin 1802) n’a rien à voir avec le Lézard vert occidental Lacerta bilineata, beaucoup plus commun en Ardèche et reconnaissable par sa gorge bleue. Bien qu’il ne passe pas inaperçu, ce reptile se fait de plus en plus rare à observer. Il est inscrit sur la liste rouge des Reptiles d’Auvergne Rhône-Alpes, évalué « en danger ». On le retrouve également en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Midi-Pyrénées, jusqu’en Aquitaine et en Poitou-Charentes. Il est aussi présent sur la péninsule ibérique, au Portugal et en Espagne. Depuis avril dernier, on sait désormais qu’un jeune spécimen habite La Voulte-sur-Rhône, là où se superposent l’espace naturel sensible (ENS) de La Boissine et le site Natura 2000 « Rompon, Ouvèze, Payre ». Ce Lézard ocellé a été repéré avec son habitat par Grégory Deso, herpéthologue à l’AHPAM1, grâce à des suivis naturalistes entrepris dans le cadre du plan de gestion de l’ENS.

Un habitat jugé trop précaire

Face à une telle découverte, des préconisations ont été prises pour améliorer les conditions nécessaires à la survie de ce jeune spécimen. Le gîte où il a trouvé refuge a été jugé trop petit et ne lui permettra pas de passer l’hiver d’après Grégory Deso. Il serait âgé d’une petite année selon ce spécialiste qui estime que 7 à 8 autres reptiles issus de la même ponte pourraient être présents dans ce secteur. « Jusqu’à la fin de sa deuxième année, il reste particulièrement en danger », précise Manon Eudes, chargée de mission Natura 2000 à la mairie du Pouzin pour le site « Rompon, Ouvèze, Payre ». Seule solution : créer rapidement des gîtes mieux adaptés. « Nous avons bon espoir que d’autres reptiles de la même ponte aient réussi à survivre. L’idée est de suivre cette population dans le temps et de voir s’ils colonisent ces habitats », ajoute-t-elle.

Ce travail expérimental a été mené en juin en collaboration avec les élèves de seconde du Centre d’études forestières et agricoles (CEFA) de Montélimar dans le cadre d’une convention triennale avec le conseil départemental. Encadrés par trois de leurs professeurs, ils interviennent régulièrement sur ce site pour des travaux d’entretien de la végétation et d’aménagement visant à favoriser la biodiversité et la faune locale (lutte contre les espèces invasives tels que les jeunes pousses d’acacia et d’ailante, mise en valeur d’anciens pommiers, etc).

Améliorer les conditions de vie de l’espèce

Pour construire les gîtes, il a fallu rouvrir le milieu où le reptile a été observé, débroussailler certaines zones, couper les chênes pubescents, enlever les branches et laisser les rémanents en faisant de petits tas d’un mètre de long sur 50 cm de largeur et de hauteur. Objectif : favoriser la présence d’insectes qui est sa principale source d’alimentation. Plutôt terrestre mais très agile, le Lézard ocellé peut être aussi ponctuellement attiré par les fruits (baies des genévriers, mures, etc). Les élèves ont donc pris soin de laisser les arbres fruitiers (cerisier Sainte-Lucie, genévrier, amandier, aubépine, rosier sauvage et poirier à feuilles d’amandier) qui se trouvaient à proximité des nouveaux habitats.

Sur une zone pentue, dégagée et ensoleillée, trois refuges ont été constitués à proximité les uns des autres. Construits à l’aide de pierres, ils se composent chacun d’une chambre de 30 cm de diamètre dont le couloir d’entrée s’ouvre sur une petite dizaine de centimètres, plein Est. Les sols des habitats ont été décaissés pour apporter une meilleure régulation thermique et éviter le gel d’hiver. Une pierre plate et large fait office de toit, que les élèves ont recouvert de terre pour isoler l’intérieur pendant l’hiver.

Sensibiliser et favoriser des réflexes

« Ce type d’expérience est importante et très intéressante pour les élèves. Nous avons la technique mais nous sommes encore trop théorique dans l’enseignement agricole et général pour que les jeunes puissent s’approprier leur écosystème. Nous avons aussi besoin de spécialistes comme Manon Eudes et Grégory Deso car il y a une vraie technicité dans ce type de projet. On est dans du génie écologique extrêmement concret », constate Nicolas Parrain, leur professeur référent au CEFA. Entre sensibilisation et pédagogie : « L’intérêt était d’intégrer cette création d’habitat sur l’intervention de gestion courante que les élèves réalisent habituellement avec tous les partenaires associés », rajoute Manon Eudes. « L’idée aujourd’hui est aussi de favoriser des réflexes sur des actions concrètes de lutte contre l’érosion de la biodiversité. »

1. Association herpétologique de Provence-Alpes-Méditerranée.

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Des élèves du CEFA de Montélimar, avec leur professeur référent, Nicolas Parrain, des chargés de mission de l’ENS de La Boissine, André-Claude Crumière, et du site Natura 2000 « Rompon, Ouvèze, Payre », Manon Eudes, et le conseiller départemental du canton de Rhône-Eyrieux Christian Feroussier.
« Approfondir nos connaissances sur ce reptile »
Manon Eudes, chargée de mission Natura 2000 à la mairie du Pouzin pour le site « Rompon, Ouvèze, Payre ».

« Approfondir nos connaissances sur ce reptile »

PORTRAIT / Bien qu’il y soit encore méconnu, ce reptile est aussi présent dans le nord du département et dans la Drôme. Portrait robot d’un lézard pas comme les autres.

Mesurant entre 55 et 80 cm de long à l’âge adulte, le Lézard ocellé n’a rien de l’iguane bien qu’il surprenne par ses vives couleurs. C’est le plus grand lézard que l’on peut apercevoir sur le territoire européen. Il est habituellement présent dans des milieux secs et méditerranéens. Espèce de sauriens de la famille des Lacertidae, ce reptile est diurne et extrêmement fidèle à son abri qu’il apprécie sur les coteaux exposés au soleil, explique Manon Eudes, chargée de mission Natura 2000. Ses déplacements sont étroitement liés à ceux du soleil auquel il s’expose le matin pour stabiliser sa température interne avant d’aller chasser. En cas de fortes chaleurs, il reste tapi dans son gîte et n’en sort qu’en fin de journée. Son refuge est donc particulièrement important pour sa survie. Il utilise habituellement des murs de pierres sèches, les terriers d’autres animaux comme ceux des lapins de garenne, des failles ou des trous naturellement présents dans la roche. Selon sa taille, il change de gîte en grandissant et les aménage à l’aide de ses griffes. Sauf qu’à La Boissine, ce type d’abris se fait de plus en plus rare.

Prédateurs

Les principaux prédateurs du Lézard ocellé adulte sont les gros serpents, particulièrement la Couleuvre de Montpellier qui est présente sur la moitié sud de l’Ardèche. Le reptile est également l’un des mets favoris du rapace Circaète Jean-le-Blanc. Les plus jeunes lézards sont, quant à eux, vulnérables à de nombreux prédateurs : sangliers, fouines, blaireaux...

D’autres populations de Lézard ocellé ont été repérées sur le plateau et la montagne du vieux Rompon, dans la vallée de l’Eyrieux, mais aussi au nord à Tain-l’Hermitage. Dans le département voisin, il est présent en Drôme provençale et dans les Baronnies provençales. « Nous avons vraiment besoin d’approfondir nos connaissances sur ce reptile. Il est fort possible qu’il y en ait dans les contreforts du Vercors mais l’espèce est encore peu connue dans la Drôme », rajoute Manon Eudes. « En suivant l’évolution des cercles bleus qui sont situés sur leurs flancs, on peut identifier chaque individu. C’est vraiment typique. Lors de suivi, on peut observer leur âge, parfois de 15 ans, jusqu’à 35 ans en captivité. C’est une espèce qui peut vivre longtemps. »

Un laboratoire environnementaliste

L’espace naturel sensible (ENS) de La Boissine est le lieu de différentes actions environnementales menées depuis son acquisition par le Département de l’Ardèche en 2015, telle que la création d’un verger conservatoire. Prévu sur une une parcelle de 9 000 m2, ce verger se compose de 300 arbres fruitiers issus de 10 espèces différentes qui sont conduits en agriculture biologique. La conservation et une meilleure connaissance du patrimoine géologique du site sont indispensables pour maintenir et améliorer la diversité des milieux naturels. Ces étapes sont également essentielles pour valoriser le site d’un point de vue pédagogique et touristique.

Dans le cadre du futur plan de gestion pour 2020-2024, une évaluation environnementale scientifique est effectuée en 2019, entre avril et octobre. Divers suivis naturalistes sont réalisés sur les espèces présentes sur l’ENS de La Boissine ou susceptibles de l’être : serpents et lézards, chauve-souris, oiseaux, coléoptères, papillons, criquets et sauterelles, odonates... Objectif : mieux connaître l’évolution des populations afin de mettre en oeuvre des actions les plus pertinentes possibles. Une cartographie de l’évolution des habitats, comme ceux du Lézard ocellé, est aussi en cours de réalisation. « C’est un laboratoire environnementaliste, résume Christian Feroussier, conseiller départemental du canton de Rhône- Eyrieux. Aujourd’hui, nous sommes capables de suivre toutes ces espèces et de les faire découvrir aux visiteurs, notamment les plus jeunes. Il est important de les sensibiliser assez tôt à la protection de la nature dite intelligente. » Dans quelques mois, un programme de sensibilisation sera construit avec les partenaires du territoire spécialisés sur la protection des espèces afin de partager ces connaissances au plus grand nombre.