ARBORICULTURE
Construire l’arboriculture du changement climatique

Face au changement climatique, l’arboriculture cherche des voies d’adaptation. Du Maroc aux Pyrénées-Orientales en passant par Israël, des témoignages sont venus éclairer les participants des Rendez-vous de l’arbo.

Construire l’arboriculture du changement climatique
À moyen et long termes, ouvrir le champ des possibles pour mieux gérer l’eau dans les vergers est désormais une évidence. C’est ce qu’a rappelé Baptiste Labeyrie, ingénieur au CTIFL. ©Archives-AD26

Produire des fruits d’été avec moins d’eau disponible alors que les températures s’élèvent et que les sécheresses s’accentuent, l’équation n’est pas simple à résoudre pour les arboriculteurs. Afin d’alimenter le champ des possibles, l’association Fruits Plus a organisé une table ronde lors des Rendez-vous de l’arbo, le 12 décembre à Valence (Drôme). Celle-ci a notamment réuni Jean-François Berthoumieu, expert eau et climat, Adnane Aouad, fondateur et directeur général de O’Terroir au Maroc, Itzhak Ben David, consultant agro-économique et ancien directeur général adjoint du ministère de l’Agriculture en Israël, ainsi que deux producteurs de fruits des Pyrénées-Orientales, département fortement impacté par la sécheresse ces deux dernières années. Autour de la table également, trois ingénieurs : Baptiste Labeyrie (CTIFL) et Benoît Chauvin-Buthaud (chambre d’agriculture de la Drôme), ainsi que Muriel Millan, responsable technique à l’AOP pêches et abricots de France.

Au Maroc, produire malgré des seuils critiques

« Le Maroc est l’une des zones les plus impactées par le changement climatique », a expliqué Adnane Aouad, qui gère 400 hectares de vergers (pommes, pêches, nectarines, prunes, poires…) dans le Moyen Atlas. En dix ans, les précipitations annuelles sont passées de 700 à 350 mm. « Désormais, il arrive que nous ayons 24 jours sur 30 avec des taux d’humidité inférieurs aux seuils critiques, ce qui impacte drastiquement les cultures », a-t-il ajouté. Dans ce pays du Maghreb où la tension sur l’eau est extrêmement vive, s’adapter est un impératif. « On a commencé en 2015 mais on n’a pas bougé assez vite, a-t-il reconnu. Le changement climatique, il faut le préparer à vingt ou trente ans. » Adnane Aouad conseille de combiner plusieurs facteurs. Tout d’abord le pilotage physiologique du végétal (par la dendrométrie par exemple) pour connaître les besoins hydriques de l’arbre à un instant précis. « C’est le plus facile à mettre en place mais ça ne fonctionne qu’en dessous d’un certain niveau du changement climatique car au-delà de certaines valeurs on ne peut plus rien gérer. » Adnane Aouad évoque ensuite le « pilotage atmosphérique » du verger, en particulier la distance entre les rangs « pour que la lumière arrive non pas directement sur le végétal mais par porosité ». Enfin, il cite l’expérimentation et la génétique en vue d’obtenir des variétés - et des couples porte-greffe + variété - aptes à résister à des stress hydriques maximums. « Avec des variétés à cycle long et floraison très précoce, nous pouvons produire de la pomme avec 380 mm d’apport d’eau et aucune précipitation, a assuré Adnane Aouad. En fruits à noyaux, le cycle de croissance n’est pas linéaire, ce qui facilite la stratégie culturale et la préservation des rendements avec 40 % d’eau en moins. »

Sauver les arbres, ouvrir le champ des possibles

Cela peut-il redonner un peu d’espoir à des arboriculteurs déjà fortement impactés par les sécheresses à répétition ? « Depuis deux ans, il n’a quasiment pas plu chez nous, a indiqué David Massot, producteur de pêches et nectarines dans les Pyrénées-Orientales. On a failli perdre la totalité du verger. » Des propos confirmés par Baptiste Cribeillet, également arboriculteur dans ce département : « En 2022, avec un premier comité sécheresse en février, on ne parlait plus de produire des fruits mais de maintenir les arbres en vie ». Leurs deux témoignages ont mis en lumière les tensions sur les usages de l’eau dans le bassin versant du Tech, lequel alimente en eau potable la zone touristique d’Argelès-sur-Mer. « Cette année, du 7 au 29 août, les prélèvements en eau sur les onze canaux à usage agricole ont été réduits de 65 %, ont-ils indiqué. Le plus important, est d’arriver à se concerter entre usagers de l’eau pour trouver une situation d’équilibre. »

À moyen et long termes, ouvrir le champ des possibles pour mieux gérer l’eau dans les vergers est désormais une évidence. C’est ce qu’a rappelé Baptiste Labeyrie, ingénieur au CTIFL, en donnant quelques exemples de recherches en cours, comme la dendrométrie. Des capteurs posés sur les arbres mesurent en temps réel les micro-variations du diamètre des branches, « ce qui permet d’adapter le pilotage de l’irrigation en fonction du stress hydrique. 20 à 30 % d’économie d’eau seraient possibles sans altérer les rendements. Cependant, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions mais cette technique semble prometteuse », a-t-il estimé. Idem avec l’agrivoltaïsme où l’ombrage des panneaux atténue les variations de température et assure un meilleur maintien de l’eau dans les parcelles. D’autres voies sont étudiées comme « l’approche variétale » et l’agroforesterie. « La télédétection, outil principal de l’agriculture de précision, est aussi un moyen d’améliorer l’efficience de l’eau », a assuré Benoît Chauvin-Buthaud, ingénieur à la chambre d’agriculture de la Drôme. Citant quelques applications (Crop monitoring, Farm 21, Wago), « il est possible d’observer des variables hydrologiques comme le flux d’évapotranspiration, de suivre des indices de stress hydrique... » « 80 % du verger français est couvert par des systèmes d’irrigation économes en eau, a conclu Muriel Millan, responsable technique à l’AOP pêches et abricots de France. Demain, les solutions numériques de pilotage à distance se généraliseront. Des progrès sont possibles à l’échelle des producteurs (pilotage des vergers), des éditeurs (nouvelles variétés), des territoires (accès à l’eau) et du collectif pour rechercher des solutions. »

Christophe Ledoux

La table ronde des Rendez-vous de l’arbo a réuni Muriel Millan (AOP pêches et abricots de France), David Massot et Baptiste Cribeillet (arboriculteurs dans les Pyrénées-Orientales), Jean-François Berthoumieu (expert eau et climat), Itzhak Ben David (consultant agro-économique en Israël), Baptiste Labeyrie (CTIFL), Benoît Chauvin-Buthaud (chambre d’agriculture de la Drôme). Participait également, en visioconférence, Adnane Aouad, directeur général de O’Terroir au Maroc. ©CL-AD26

Israël : accroître l’efficience de l’eau

Doté d’une gestion de l’eau centralisée, l’État d’Israël a su s’adapter au climat aride, à des ressources en eau limitées et à l’incertitude climatique. 94 % des eaux usées sont ainsi collectées et traitées et « 90 % sont réutilisées par l’agriculture », a expliqué Itzhak Ben David, consultant agro-économique et ancien directeur général adjoint du ministère de l’Agriculture en Israël. Cela a permis d’accroître fortement la production agricole (220 000 ha de surface irriguée pour 14 000 exploitations) tout en diminuant de 64 à 35 % les prélèvements d’eau douce dans les aquifères naturels. Leader mondial des technologies associées à l’agriculture en conditions arides, Israël a également développé des techniques d’irrigation (comme le goutte à goutte enterré) pour accroître l’efficience de l’eau. Cependant, au vu de ses besoins à venir et des impacts du changement climatique, l’État d’Israël va accroître ses volumes d’eau disponibles en construisant de nouvelles usines de dessalement d’ici 2030.

C. L.

Une partie des deux cents arboriculteurs venus de toute la région pour participer aux Rendez-vous de l’arbo, le 12 décembre à Valence. ©CL-AD26