SANTÉ
Les députés à l’offensive sur les déserts médicaux

Cinq députés dont les Ardéchois Hervé Saulignac et Fabrice Brun ont fait étape à Privas, mercredi 29 mars, dans le cadre de leur tour de France contre les déserts médicaux. Le but : promouvoir leur proposition de loi transpartisane qui vise notamment à encadrer l’installation des médecins généralistes sur le territoire.

Cinq députés de tous bords politiques, dont les Ardéchois Hervé Saulignac et Fabrice Brun, ont échangé avec les citoyens à Privas, le 29 mars, sur leur propositions pour lutter contre la désertification médicale.

25 100 Ardéchois n’ont pas de médecin traitant, soit un peu plus de 10 % d’entre eux. Désert médical parmi d’autres, l’Ardèche ne fait pas exception : en Mayenne, plus de 18 % de la population n’a pas de médecin traitant. « Là où les déserts médicaux avancent, c’est la République qui est remise en cause », affiche le député Hervé Saulignac. « Parce qu’il y a urgence », le parlementaire ardéchois et une quarantaine de députés de toutes couleurs politiques, dont celui du Sud-Ardèche Fabrice Brun, ont déposé une proposition de loi visant à réguler l’installation des médecins. 

« Les mesures incitatives ne suffisent pas »

« Cette proposition de loi transpartisane est assez inédite dans l’histoire parlementaire puisqu’elle regroupe 40 parlementaires issus de 9 groupes politiques différents », insiste Hervé Saulignac. Elle est toutefois proposée avec « humilité », prévient-il. Pas de remède miracle, donc : le but est « d’essayer de gérer la pénurie de médecins dès maintenant et pour les années à venir, en régulant l’installation des médecins sur le territoire. » C’est l’objet du chapitre 1 de la proposition de loi, dont le principe est simple : pas d’installation de nouveau médecin dans un territoire sur-doté en praticiens sans accord de l’ARS, et hors de situations précises (remplacement d’un départ à la retraite). La proposition de loi prévoit également un préavis obligatoire de 6 mois pour les praticiens souhaitant quitter un territoire sous-doté, ou encore la création de guichets uniques dans chaque département pour soutenir les médecins dans leur installation.

Face aux détracteurs qui fustigent une loi coercitive, Yannick Favennoc, l’un des rares députés de la majorité à soutenir cette proposition, répond : « Cela fait 15 ans que les gouvernements, de gauche ou de droite, se contentent de mesures incitatives, financées par l’argent public, comme la prime à l'installation de jeunes médecins, la défiscalisation, les maisons de santé, les aides au logement. Et cela ne fonctionne pas ! La seule solution qu’on n’a pas essayée, c’est la régulation. Il est temps d’actionner ce levier. »

Guillaume Garot, député de la Mayenne, poursuit : « Plusieurs pays comme le Québec, le Danemark ou encore l’Allemagne ont mis en œuvre des dispositifs de régulation à l’installation des médecins, et ça fonctionne ! En France, ils s’appliquent déjà pour les pharmaciens ou les sage-femmes. »

Démocratiser les études de médecine

« Notre idée n’est pas de faire des médecins des boucs-émissaires, se défend Fabrice Brun. Nous allons poursuivre les mesures incitatives, notamment sur le volet de la formation. » Le député ardéchois dénonce une filière qui demeure trop sélective, malgré la suppression du numerus clausus. « Je rencontre souvent des jeunes Ardéchois, brillants et motivés, qui faute de pouvoir entrer en fac de médecine en France, partent étudier en Belgique, en Espagne ou en Roumanie. Cela interroge sur les compétences régaliennes de l’État. » Pour contrecarrer la pénurie de jeunes médecins, la proposition de loi transpartisane entend démocratiser les études médicales. Dès le lycée, les élèves des territoires sous-dotés pourraient bénéficier de cours préparatoires aux concours d’entrée en fac de médecine. Un système de bourse est envisagé pour soutenir les étudiants issus de déserts médicaux, dès leur première année d’études de médecine. 

La proposition de loi comprend encore la création d’écoles normales des métiers de la santé dans les déserts médicaux. En contrepartie de ces formations gratuites, les élèves diplômés de ces écoles s’engagent à exercer sur le territoire durant au moins dix ans. 

Simplifier l'exercice des Padhue

« Aujourd’hui, les praticiens ayant obtenu leur diplôme hors Union européenne (« Padhue ») sont mal rémunérés et vivent dans des situations précaires, alors que certains hôpitaux ne tiennent que par eux, déplore Hervé Saulignac. Notre proposition de loi vise à simplifier les autorisations d’exercice de ces praticiens dans les déserts médicaux. »  

D’autres mesures sont proposées : limiter la pratique du remplacement à 4 années, favoriser le salariat des médecins en centres de santé, rétablir l’obligation de permanence des soins, permettre aux infirmiers en pratique avancée de délivrer des soins jusqu’alors réservés aux médecins…  

Mylène Coste

Accessibilité potentielle localisée (APL) à un médecin généraliste (Dress, 2018)

88 %

des communes ardéchoises ont un accès aux soins inférieur à la moyenne nationale. 10,1 % des Ardéchois n’ont pas de médecin traitant, et 20 % de la population est à plus de 30 min d’un centre d’urgence. Si le département est plutôt bien doté en infirmiers, il manque cruellement d’ophtalmologues (3,4 pour 100 000 habitants), de pédiatres (3,1 pour 100 000) et de gynécologues (0,6 pour 100 000).

Près de 150 personnes étaient présentes à Privas pour cette étape du tour de France contre les déserts médicaux porté par les députés.
Près de 150 personnes étaient présentes à Privas pour cette étape du tour de France contre les déserts médicaux porté par les députés.

Une pétition pour faire pression


Une pétition pour demander l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de la proposition de loi transpartisane contre les déserts médicaux a déjà été signée par plus de 36 000 Français. Elle est disponible en ligne sur le site change.org, sous l’intitulé « Pour en finir avec les déserts médicaux ».

« Si le texte est présenté à l'Assemblée, il a toute les chances d'être voté »

Déposée par une quarantaine de députés de tous bords politiques (hors RN), la proposition de loi transpartisane contre les déserts médicaux a été signée par 202 députés, dont une trentaine issue de la majorité présidentielle. Élaborée il y a plusieurs mois déjà, elle n’est pourtant toujours pas à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale… Et pour cause : « La majorité, qui y est opposée, sait bien que si la loi est soumise au vote, elle sera votée, souligne le député de l’Orne Jérôme Nury. C’est pourquoi nous voulons mobiliser les citoyens et faire pression sur la présidente de l’Assemblée nationale. » Les défenseurs du texte fustigent un lobby médical « très puissant au Parlement » et des « pressions sur les parlementaires de la majorité ».

La députée Laurence Heydel Grillere opposée à la régulation

La députée Laurence Heydel Grillere opposée à la régulation

Parmi les signataires de la proposition de loi transpartisane contre les déserts médicaux, on note une absente : Laurence Heydel Grillere, la députée du Nord Ardèche, n'a pas signé. Elle s'explique.

 « La majorité présidentielle a supprimé le numerus clausus qui limitait le nombre de médecins formés alors que les besoins étaient croissants. Une décision qui, si elle avait été prise par les majorités précédentes, nous aurait empêché de nous trouver dans cette situation où des milliers de médecins manquent aujourd’hui. C’est aussi dans cette perspective que nous avons lancé le conseil national de la refondation (CNR) sur la santé, car nous avons conscience qu’il s’agit d’un problème global, qui pose la question de l’attractivité de l’exercice de la médecine en zone rurale, et nécessite de travailler davantage en synergie avec les autres acteurs médicaux et paramédicaux. Ainsi, un certain nombre de propositions ont émergé dans le sens d’une facilitation d’un exercice coordonné de la médecine lors du CNR Santé à Privas, pour lequel je regrette d’avoir été la seule parlementaire de l’Ardèche présente.  

Il y a donc une pluralité de propositions à formuler autre que la régulation ou l’obligation d’installation en zone sous-dotée, une proposition que le président de l’ordre des médecins a jugé inefficace, compte tenu du fait que les zones considérées comme « mieux dotées » le sont de manière fragile au vu de la démographie médicale, et compte tenu du fait que cette proposition pourrait aussi être appliquée prioritairement aux hôpitaux de proximité, qui ont bien besoin de médecins et de personnel médical sur notre département ! C’est pourquoi, dans un premier temps, nous avons porté une proposition de loi visant à donner la possibilité aux infirmiers de pratiques avancés et aux autres ordres médicaux (pharmaciens, kinésithérapeutes...) de pouvoir délivrer un certain nombre d'ordonnances. Une décision qui a été saluée comme une réelle avancée par ces praticiens. D’autres mesures sont en cours de réflexion avec l’ensemble du corps médical. »