DOSSIER
Présidentielle et souveraineté au menu du 76e congrès de la FNSEA

Besançon (Doubs) a accueilli du 28 au 30 mars le 76e congrès de la FNSEA. Ces trois jours ont notamment été marqués par la présentation des programmes agricoles de six candidats à l’élection présidentielle. Retour sur cet évènement.

Présidentielle et souveraineté au menu du 76e congrès de la FNSEA
Devant mille congressistes, six candidats à l’élection présidentielle ont présenté leur programme pour l’agriculture. ©Actuagri

Les candidats ont-ils été « à la hauteur des ambitions de l’agriculture française », dixit l’expression de Christiane Lambert, présidente du CAF ? Si un jugement devait être porté sur le seul niveau sonore des applaudissements et des fous rires, il est certain que le candidat Jean Lassalle (Résistons !) remporterait le premier prix, suivi de près par Fabien Roussel (PCF). L’un et l’autre, pour des raisons différentes, ont su dire tout leur attachement au monde agricole, viscéral et authentique chez le premier et plus politique, culinaire et réfléchi chez le second. « Chers frangins », a clamé les bras en l’air un Jean Lassalle qui, en terrain presque conquis, a fait vibrer le coeur et les cordes vocales des mille congressistes : « Les agriculteurs ne sont pas les ennemis, ce ne sont pas eux qui polluent, et au moins ils ne mentent pas comme nous les politiques », a-t-il lancé. Jean Lassalle a aussi indiqué vouloir prendre trois milliards d’euros sur les vingt-six que la France donne chaque année à l’Union européenne pour les consacrer à la ruralité et à l’agriculture. Fabien Roussel, qui n’a pas manqué de rappeler le bilan de son parti sur l’augmentation des retraites agricoles, s’est lui aussi clairement rangé du côté des agriculteurs. Il veut 500 000 exploitants agricoles sur le territoire, « sinon on ne tiendra pas et nous dépendrons d’autres pays ». Affichant sa volonté de dialoguer avec tous les corps intermédiaires, il a soutenu l’élevage français : « Le steak, c’est de la viande », a-t-il clamé en indiquant vouloir interdir aux végétaliens et végans « d’imposer leur modèle de société ».

Les candidats du centre, de droite...

Plus en retrait et plus convenus ont été les quatre autres candidats. Emmanuel Macron a clairement affiché qu’après la crise de la Covid-19 et la guerre en Ukraine, « l’indépendance alimentaire de la France est non négociable ». Favorable à une révision de Farm to Fork, il entend notamment poursuivre son combat contre les surtranspositions, pérenniser le TODE, instaurer les clauses miroirs, développer les énergies vertes et revitaliser les ruralités. Il a aussi salué le bon travail de son ministre de l’Agriculture mais n’a pas confirmé si, en cas de réélection, il le reconduirait à ce poste. Quant à Valérie Pécresse, candidate Les Républicains, elle s’est positionnée pour des prix justes et rémunérateurs mais aussi moins de charges et moins de normes tant sur le plan français qu’européen. Elle entend pour ce faire instaurer un « comité de la hache », autrement dit une instance de simplification législative et réglementaire. Favorable à la recherche, l’innovation et la « féminisation de l’agriculture », elle reste dubitative sur une loi foncière : « Tout dépend de ce que vous voulez y mettre dedans ».

...et d’extrême droite

Plus vindicatives ont été les interventions de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour qui ont joué sur la corde de la souveraineté et sur la fibre sécuritaire. La candidate du Rassemblement National a fustigé l’attitude d’un gouvernement qui n’a « pas réagi face aux crises » et s’est érigée en défenseure du « patriotisme économique ». Brocardant les « billevesées des écolos », elle a taxé ces derniers de « talibans de la verdure ». La candidate souhaite en « finir avec cette délinquance inadmissible » et faire cesser ce laxisme judiciaire. Son alter ego, Éric Zemmour, ne l’a pas démentie. Il souhaite introduire dans la loi française le principe de « défense excusable », un procédé hérité de nos voisins suisses pour en « finir avec les voyous et cette délinquance qui infeste nos campagnes ». À différents degrés, tous les candidats veulent conserver la vocation exportatrice de la France et concilier, selon les mots d’Emmanuel Macron, « production et protection ». À charge maintenant pour chaque agriculteur de faire son choix avant de glisser ou non le bulletin dans l’urne.

Christophe Soulard

Les règles du grand oral

l’élection présidentielle, le Conseil de l’agriculture française (CAF) réunit les principaux candidats. Le 30 mars 2017, ils en avaient accueilli sept à Brest : François Asselineau, Emmanuel Macron, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Jacques Cheminade et François Fillon. Cette année, six d’entre eux ont répondu à l’appel. Trois n’ont pas été qualifiés car ils ne franchissaient pas la barre des 2 % dans les sondages : Philippe Poutou (NPA), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) et Nathalie Arthaud (LCR). Trois autres ont décliné l’offre des agriculteurs : Yannick Jadot (EELV), Anne Hidalgo (PS) et Jean-Luc Mélenchon (LFI). Cinq autres candidats ont fait le déplacement en chair et en os et ont été astreints au protocole suivant : proposer un exposé de dix minutes et répondre pendant vingt-cinq minutes aux questions des membres du CAF et de la salle. Une exception a toutefois été tolérée pour le candidat Emmanuel Macron, pris par ses obligations de chef d’État. Il a cependant été filmé dans les conditions du direct dans son QG de campagne.

La reconquête de la souveraineté au coeur des débats
En visioconférence depuis l’Ukraine, Mariia Didukh, secrétaire générale du Forum national agricole ukrainien. ©Actuagri

La reconquête de la souveraineté au coeur des débats

ENJEUX / Après la traditionnelle séance à huis clos, les instances de la FNSEA ont ouvert une séquence publique au cours de laquelle les principaux dossiers agricoles du moment ont été passés en revue. La souveraineté alimentaire a quasiment monopolisé les interventions lors de ce 76e congrès de la FNSEA à Besançon (Doubs).

Après l’intervention émouvante et forte de Mariia Didukh secrétaire générale du Forum national agricole ukrainien (lire encadré), la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, a insisté sur la nécessité de retrouver une souveraineté alimentaire et énergétique qui se détache de « la vision décroissante » que l’Union européenne tente d’imposer à travers le Green Deal (Pacte Vert) et Farm to Fork (De la ferme à la table). Non pas que la FNSEA ne souscrive pas à cette ambition, mais elle ne souhaite pas que ces stratégies soient pilotées par des « lobbies verts qui deviennent les lobbies de la faim dans le monde » ni par « les Garcimore de la Commission européenne », a lâché Christiane Lambert. Elle souhaite au contraire « redonner une ambition » à ces politiques en s’appuyant notamment sur le rapport d’orientation de la FNSEA dévoilé en septembre 20201, sur les actions concrètes que sont Epiterre ou France Carbon Agri. Le syndicat agricole souhaite aussi que le gouvernement finance, d’ici la fin 2025, les diagnostics carbone complets de l’ensemble des exploitations françaises. « Nous sommes au rendez-vous et l’agriculture doit être, d’ici 2030, le premier fournisseur de biogaz et d’énergies vertes », a-t-elle précisé. Agacée par l’accumulation de contraintes qui pèsent sur les exploitations et qui font penser « au syndrome de Diogène », Christiane Lambert entend, comme Samuel Vandaele, président de Jeunes agriculteurs (JA), en finir avec les lourdeurs administratives. « J’ai le remède : la simplification », a-t-elle martelé, fustigeant au passage les surtranspositions qui mettent à mal des filières comme celle de la cerise. Récupérer cette souveraineté tant convoitée, c’est aussi « être intransigeant sur l’application totale d’Egalim 2 et s’attaquer au droit de la concurrence, en particulier aux grandes enseignes qui contournent le droit français en s’installant à l’étranger », a-t-elle expliqué.

Concilier production et protection

Pourtant astreint au devoir de réserve en cette période électorale, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, très habile, a répondu sur le mode de la prétérition : « Je ne peux pas vous parler du Varenne de l’eau, des néonicotinoïdes, du plan stratégique national, de l’ouverture du comptage des loups, de la loi Sempastous, du plan porcin… », a-t-il indiqué. Partageant la vision de Christiane Lambert sur les conséquences du conflit russo-ukrainien, il a lui aussi évoqué la nécessaire reconquête de la souveraineté alimentaire et énergétique. Il compte pour ce faire s’appuyer sur les récentes mesures gouvernementales : France 2030, le plan de résilience, la réouverture des négociations commerciales, mais aussi le plan protéines, la reconquête des parts de marché fruits et légumes, et la consolidation des énergies vertes. Il a aussi suggéré de contrebalancer la vision politique de Farm to Fork par la « vocation nourricière de l’agriculture ». Selon lui, en intégrant et en « gravant » cette dimension alimentaire dans cette stratégie européenne, on parvient à « concilier production et protection de l’environnement ». Favorable à la vaccination des volailles pour lutter contre la grippe aviaire, il a assuré la FNSEA que le gouvernement « partage son exaspération » sur les exactions commises le 26 mars dans les Deux-Sèvres. « Il ne peut pas y avoir d’agriculture sans eau. N’en déplaise à certains », a-t-il glissé, dénonçant au passage une « instrumentalisation politique » et s’attirant les applaudissements des mille congressistes présents.

Mariia Didukh : « Ne donnez pas de semences aux Russes »

En visioconférence depuis l’Ukraine, Mariia Didukh, secrétaire générale de l‘Ukrainian national agrarian forum (Forum national agricole ukrainien), a livré un témoignage bouleversant sur la situation de ses compatriotes agriculteurs en temps de guerre. Remerciant les agriculteurs français et européens pour leurs opérations de solidarité, elle a confirmé que ses collègues ne pourraient sans doute pas cultiver plus de 50 % de la SAU du pays. « Les paysans sortent la nuit pour semer mais sans garantie ». En réalité, les agriculteurs ukrainiens manquent de carburant et d’alimentation animale, en particulier dans les élevages laitiers. Mariia Didukh a exhorté les Français à « arrêter le business avec les Russes, notamment sur les semences, car ce sont autant de soutiens financiers pour que Poutine poursuive la guerre ».

Christophe Soulard

1 Faire du défi climatique une opportunité pour l’agriculture

Le renouveau syndical de la FNSEA
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. ©Actuagri
RÉSEAU

Le renouveau syndical de la FNSEA

« Nous sommes un réseau qui avance malgré les soubresauts et nous voulons parler à tous les porteurs de projets », a résumé Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, qui entend revitaliser le réseau de ses fédérations départementales. « Nous avons perdu vingt points de participation aux élections des Chambres d’agriculture en dix ans », a remarqué Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA, qui s’inquiète « d’une érosion des adhésions alors que nous disposons d’un grand réservoir de sympathisants ». C’est cette population que la FNSEA entend cibler. Joël Jecker, secrétaire général de la FDSEA du Haut-Rhin, a acquiescé et témoigné avoir contacté tous les agriculteurs du département par courrier et téléphone. « Certains ont adhéré spontanément et nous en avons relancé d’autres. » Résultat de cette campagne de reconquête des adhésions : + 12 % d’adhérents actifs et + 10 % d’exploitants retraités. « Nous avons bénéficié de l’appui technique et méthodique de la FNSEA. Nous avions un calendrier précis avec des objectifs à réaliser tout au long de l’année », a-t-il souligné.

Cultiver l’émulation

Pilote du projet, le premier vice-président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a confirmé « vouloir élargir la base des adhérents à travers quatre leviers de transformation : rénover notre stratégie d’adhésion ; clarifier notre organisation ; muscler la stratégie d’influence et faire évoluer nos partenariats ». Pour lui, la stratégie de l’adhésion est « l’alpha et l’oméga du projet » et il revient à chaque fédération départementale de porter son projet de reconquête, de « construire son propre plan ». La FNSEA, comme cela s’est fait dans le Haut-Rhin et d’autres départements, viendra en appui. La FNSEA a d’ailleurs renforcé son département syndical « et nous avons une grande et belle équipe au service du réseau », a assuré Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint qui veut « cultiver l’émulation ». « Il faut que les élus et les collaborateurs s’impliquent », a soutenu Arnaud Rousseau. La FNSEA, qui inscrit cette action dans la durée, va visiter d’ici le prochain congrès en 2023 « tous les départements pour mettre en oeuvre cette stratégie d’adhésion », a précisé Jérôme Despey. « Il faut rappeler non seulement nos valeurs syndicales mais aussi tous nos acquis syndicaux », a renchéri Hervé Lapie, secrétaire général adjoint. Convaincre les agriculteurs d’adhérer n’effraie pas François Lesparre, secrétaire général adjoint de la FRSEA Nouvelle-Aquitaine : « Il faut démystifier la relance syndicale. Il faut bien définir la cible et les adhérents le sentent quand ils savent où on va ». Autrement dit, il faut « accélérer la dynamique de la réussite », a conclu le premier vice-président de la FNSEA.

Christophe Soulard

Les présidents des FRSEA ont fait entendre leurs voix

RÉGIONS / Retour sur les interventions de Michel Joux et Christophe Chambon, présidents des FRSEA Auvergne Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté.

Crise Covid, guerre en Ukraine… Le climat n’était pas au beau fixe lors du temps d’intervention des régions au 76e congrès de la FNSEA à Besançon (Doubs). Néanmoins, ces évènements dramatiques ont permis à chacun de rappeler combien il est indispensable de continuer à produire. Produire pour nourrir, mais pas à n’importe quel prix, ni dans n’importe quelles conditions… « Après de nombreuses années de propositions, d’explications et de manifestations, nous avons enfin une loi qui inverse la construction du prix à la production en France. Individuellement ou collectivement, les agriculteurs doivent demander un prix qui colle à leurs coûts de production », a indiqué Michel Joux, président de la FRSEA Auvergne Rhône-Alpes. Et de poursuivre, désireux de faire bouger les lignes : « On l’a fait récemment devant les centrales d’achats et les supermarchés. Avec la hausse des charges et les négociations commerciales rouvertes, il faudra peut-être y retourner. Ne lâchons pas une seule miette sur ce sujet ».

Un bouclier énergétique attendu

À domicile, Christophe Chambon, président de la FRSEA Bourgogne-Franche-Comté, semblait sur la même position : « Avec la loi Egalim 2, nous avons franchi un palier. Néanmoins, nous devons nous reprendre en main et continuer de travailler sur la contractualisation. Dans les prochaines années, nous devrons aussi progresser sur le rapprochement avec la restauration collective ». Autre préoccupation du moment : la hausse du prix des matières premières. « Le gouvernement doit aller beaucoup plus loin dans son plan de résilience. Un bouclier énergétique à la hauteur de l’enjeu doit être mis en place sans attendre. Nous demandons que la spéculation inadmissible sur le GNR cesse immédiatement », a martelé Michel Joux de la FRSEA Auvergne Rhône-Alpes.

L’Union européenne dans le viseur

Très offensif, Michel Joux a dénoncé « un manque de courage politique flagrant ». L’agriculteur de l’Ain a regretté que les solutions prises par les gouvernants français soient dictées par une idéologique européenne prônant une forme de décroissance. Avec à la clé pas mal d’incohérences qu’il a tenu à pointer du doigt : « Des produits phytosanitaires sont interdits en France et sont utilisés en Europe. Des productions agricoles alimentaires disparaissent de nos territoires et nous importons sans limite. Les éleveurs sont chassés de leur territoire par des prédateurs comme le loup. Le développement de la ressource en eau reste encore très compliqué… Pas d’interdiction sans solutions ! » Dans les quatre minutes de discours accordées à chaque région, Christophe Chambon a également souligné les « distorsions de concurrence engendrées par la Pac ». Comme son homologue en région Auvergne Rhône-Alpes, le président de la FRSEA Bourgogne-Franche-Comté a appelé à « stopper la surenchère environnementale ».

Sophie Chatenet et Pierre Garcia

ÉDITO

« L’agriculture de production compte »

« L’inquiétude concernant l’explosion des matières premières agricoles conjuguée à la stagnation des ventes bio ou des produits à forte valeur ajoutée, est grande. Le conflit en Ukraine aux portes de la France nous inquiète mais aussi nous interpelle : l’échange en direct par visio avec Marie Dudik, représentante du forum agricole ukrainien, a permis de comprendre que les agriculteurs ukrainiens travaillent la nuit et se battent le jour et qu’une partie de leurs outils de production sont attaqués. Cette situation bien sûr nous afflige. Il aura fallu une pandémie et une guerre pour s’apercevoir que l’agriculture compte et en particulier « l’agriculture de production » pas celle destinée uniquement à l’entretien du paysage. Nos dirigeants semblent avoir pris conscience que l’alimentation et la souveraineté alimentaire sont primordiales et qu’il est possible de conjuguer l’agriculture de production avec le développement durable. D’après moi, les différents gouvernements qui se sont succédé jusqu’à maintenant, sont sûrement allés trop loin dans la normalisation franco-française et dans l’interprétation du verdissement. Le syndicalisme agricole FNSEA, la force du réseau, affirment ainsi tout son sens. Nous souhaitons également mettre en lumière le projet FNSEA@réseau2025, un travail mené en profondeur lancé au dernier congrès FNSEA et qui a pour but de revoir notre organisation pour gagner en efficacité et coller au mieux avec la réalité du terrain. Ce projet a permis de réaffirmer la mission principale de la FNSEA : « S’engager avec les femmes et les hommes qui ont le goût d’entreprendre en agriculture pour des territoires ruraux vivants et dynamiques » et de repréciser les 5 grandes valeurs qui animent le réseau FNSEA qui sont la solidarité, l’humanité, l’initiative, la responsabilité et l’ancrage territorial. Le premier chantier concret sur lequel se penche le réseau FNSEA est la relance syndicale : repartir à la reconquête des adhérents ! La FDSEA de l’Ardèche s’associera pleinement à cette démarche. »

Christel Cesana, présidente de la FDSEA de l’Ardèche