OLÉICULTURE
Une récolte étonnante

Une robe où se décline la couleur du soleil et qui s’étend jusqu’à un vert scintillant, promesse d’une huile fraîche et piquante... L’huile d’olive ardéchoise est multiple. En cette fin novembre où la récolte bat son plein et s’annonce positive, une odeur douce et fruitée embaume les moulins oléicoles d’Ardèche.

Une récolte étonnante
Dans les vergers d'Éric Martin, environ 10 000 arbres se partagent deux types de terroir : argiles rouges et calcaires blanc à fossiles. ©AAA_MMartin

Sur le plan mondial, la production européenne d'huile d'olive représente 75 %. « Dans les années normales, l’Europe fournit 2,3 millions de tonnes d’huile d’olive. L’Espagne, est l’acteur majoritaire avec 1,5 million de tonnes. Mais cette année, tout comme l’année dernière, l’Espagne a récolté environ 700 000 kg d’huiles », explique Yves Guillaumin, directeur de France Olive. Résultat, les prix s’envolent sur le marché mondial. L’huile d’olive devient rare et chère. La production française, qui représente 4 % du marché, n’est cependant pas impactée. Pour Yves Guillaumin, « cette année, nous avons eu une récolte nationale étonnante, supérieure à la moyenne, car dans une même zone, il y a une disparité de quantité, même si la maturité aromatique est précoce, nous avons une belle qualité gustative », constate-t-il. Cette tendance nationale, se vérifie sur le territoire ardéchois.

Du côté de Lou Mouli d’Oli, moulin situé à Bourg-Saint-Andéol, la gérante Ingrid Pradal peut d’ores et déjà affirmer que « la récolte cette année, a été étonnante. En 2018, nous avons atteint un record de 400 tonnes au moulin, cette année, au 20 novembre, alors que nous fermons juste avant Noël, nous sommes à 300 t. jusqu’à cet été, nous pensions avoir une année moyenne. Mais la pluie est arrivée au bon moment, à la fabrication de l’huile dans les fruits et nous avons eu moins de sécheresse », explique la gérante. « Toutes les conditions étaient réunies pour une belle récolte », se réjouit-elle.

Même son de cloche du côté de Jean-Noël Berneau, président du syndicat des oléiculteurs de l’Ardèche méridionale et cultivateur au Domaine oléicole et Moulin de Pontet Fronzèle à Lagorce. « Nous avons eu une jolie floraison, mais à la sortie de l’été, le rétrécissement des olives dû au manque d’eau nous a fait craindre la chute des fruits. L’impact est différent selon les secteurs, avec des pluies très localisées », nuance-t-il. « La pluie, arrivée début octobre, a permis le grossissement des olives ce qui a évité leur chute, Contrairement à 2019 où nous avions eu les mêmes conditions mais sans pluie fin septembre, donc les olives étaient tombées », ajoute-t-il. « Dans les années précédentes, nous avons eu des pics de chaleurs, ou même l’olivier a eu du mal », se souvient Ingrid Pradal. Pour Éric Martin, oléiculteur au Domaine La Magnanerie à Orgnac-l’Aven, « cette année, en octobre, on avait déjà le rendement de la récolte du mois de novembre », glisse-t-il.

Une bonne qualité en perspective

Avec une récolte au rendez-vous, il n’y a plus qu’à transformer l’essai et garantir la qualité. Les particuliers qui apportent leurs olives aux moulins ont leur rôle à jouer : « On sensibilise les apporteurs sur la façon de bien conserver les olives, sur l’importance de nous les apporter rapidement et ensuite de bien conditionner l’huile, à l’abri de la chaleur et de la lumière dans des bouteilles en Inox par exemple », spécifie Ingrid Pradal. Cependant, d’autres facteurs sont nécessaires pour produire une huile de qualité. « Il faut une température de malaxage inférieure à 27 °C », ajoute la gérante de Lou Mouli D’Oli. Quant à Éric Martin, il pointe l’importance de la fraîcheur de l’olive. « Elle doit être transformée le plus rapidement possible, idéalement, dans les trois heures après récolte. » De son côté, Jean-Noël Berneau, développe : « Depuis le XXe siècle, on se sert des presses hydrauliques pour extraire la majorité de l’huile. Nous extrayons à froid avec une centrifugeuse, qui permet de transformer des fruits frais et qui produit une huile de qualité ».

Pour lui, les olives présentent une qualité sanitaire certaine cette année. « Avec le changement climatique et les fortes chaleurs, il y a moins d’attaques de mouches de l’olive », avance son épouse Geneviève Berneau. « Il n’y a pas eu de gel précoce et des journées douces, ce qui a permis aux olives de se maintenir en bon état », signale Jean-Noël Berneau.

Si le couple a fait le choix de favoriser les variétés locales, comme la Négrette qui promet des « arômes de garrigues » ou la Rougette qui donne « une huile ample, avec des arômes de pommes et de foin frais », cette dernière est sujette aux changements climatiques et à une maladie, la Cercosporiose qui provoque la chute des feuillages (défoliation). « C’est apparu ici, il y a 4 à 5 ans et coïncide avec les gros pics de chaleur et pics d’ozone. Il semble qu’il y ait corrélation », analyse le cultivateur.

Un fragile équilibre

Les extrêmes climatiques de ces dernières années incitent les oléiculteurs à s’adapter. Si dans l’imaginaire collectif, un olivier est réputé pour ne pas avoir besoin d’eau, face à l’intensité des épisodes de sécheresse, la question se pose pour les producteurs. « Concernant la gestion de l’eau, la profession s’oriente vers une irrigation comme c’est le cas en Espagne. On a besoin d’eau à des moments précis », avance Jean-Noël Berneau. Un avis corroboré par Yves Guillaumin, directeur de France Olive. « Il va falloir bien choisir sa période pour irriguer, par exemple au printemps, avant floraison. L’été par contre, l’olivier peut se passer d’eau. » En Ardèche, la ressource en eau est faible. « Les modèles à forte utilisation de l’eau sont peu transposables ici, il nous faut des stratégies adaptées. Pour notre part, les oliviers sont cultivés au sec sur des terrasses enherbées afin de limiter l’érosion et de favoriser la biodiversité » , insiste Jean-Noël Berneau.

Pour Éric Martin, qui se démarque du syndicat des oléiculteurs, l’irrigation n’est pas envisageable. « On est sur un secteur karstique à 330 m d’altitudes avec un sol filtrant. Pour remédier au manque d’eau, j’augmente la séparation entre les arbres, en passant de 5 à 7 m d’intervalles. Avec la phytothérapie et une macération des plantes, il y a différents moyens d’arriver aux mêmes résultats sans irriguer. »

Mais au-delà de la productivité, pour Jean-Noël Berneau, l’olivier a un rôle à jouer : « L’olivier peut s’adapter au changement climatique, même s’il ne donne pas de fruits, il ancre le sol, absorbe le carbone, façonne les paysages et favorise la biodiversité ». Le lien qui unit les arboriculteurs à l’arbre millénaire est unique, à l’image des récoltes qui s’enchaînent au fil des années, mais ne se ressemblent pas.

Marine Martin

Jean-Noël Berneau sur les hauteurs des ses oliviers en terrasse. ©AAA_MMartin
La transformation bat son plein à Lou Mouli d'Oli. ©AAA_MMartin
Les pallox ne désemplissent pas. Cette année, la récolte est belle ! ©AAA_MMartin
Malgré quelques épisodes de grêle qui ont piqués des olives de tables comme ici la variété Bouteillan, la récolte s'annonce bonne. ©AAA_MMartin
SYNDICAT

Le syndicat des oléiculteurs peine à se renouveler

Le syndicat des oléiculteurs de l'Ardèche Méridionale, très actif dans les années 2000, peine à trouver un second souffle.

À l’apogée du syndicat, le Plan de Relance de Rénovation Oléicole avait permis d’insuffler un vent de dynamisme. « Aujourd’hui, dans les domaines qui ont bénéficié du Plan, les oliviers arrivent à maturité, et on assiste à l’émergence de domaines avec leurs moulins », témoigne Jean-Noël Berneau, président du syndicat. Une bonne nouvelle qui a contribué à l’apparition de nouveaux producteurs. Mais au fil des ans, le vieillissement des exploitants et la diversification des modèles de productions n’ont pas permis pour l’instant, de transformer l’essai. « Nous avions un projet d’AOP, dans les années 2000, autour des variétés Négrette et Rougette, qui n’a pas été validée par la profession. Pourtant, les AOP et IGP permettent aux huiles de France de se singulariser face à la production à haute densité et à l’importation d’huile à bas coût », précise le président. Quand on le questionne sur la pertinence du syndicat, il affirme : « Le syndicat est un canal de diffusion pour relayer les informations de France Olive, mais également pour transmettre des connaissances techniques et économiques afin de faire progresser la filière. Il n’y a, par exemple,  plus de référent local au niveau de la chambre d’agriculture pour l’Ardèche. Même pour les producteurs qui souhaitent se diriger vers la haute densité, il faut que leurs démarches soient encadrées. » De son côté, Ingrid Pradal ajoute : « Il y a un gros travail à faire au niveau des mouliniers, pour la mise aux normes, homogénéiser la qualité et la concertation entre moulins. C’est un secteur qui a le vent en poupe, mais chacun fait à sa sauce ». Malgré une activité en berne, le syndicat, en collaboration avec la chambre d’agriculture, a permis cette année, la création d’une aide régionale pour la rénovation d’oliveraie et l’achat de matériel en faveur des oléiculteurs. «Malheureusement, notre demande d’aide à la plantation a été rejetée», déplore Jean-Noël Berneau. 

Domaine de La Magnanerie : des huiles « haute couture »
Éric martin a remporté le prix Flos Olei 2022 et 2023, meilleure huile biologique du monde, pour sa cuvée cosmos. ©AAA_MMartin
PORTRAIT

Domaine de La Magnanerie : des huiles « haute couture »

L’oléiculteur qui se voit comme un « pirate » sur le marché de l’huile d’olive ardéchoise tient à son indépendance. « J’ai fait le choix de faire de l’huile Fruité Vert, à contre-courant du marché », déclare-t-il. Rencontre.

Une cave voûtée, ambiance tamisée, où attendent, alignées sur une table, les huiles de La Magnanerie, prêtes à être dégustées, n’ont rien à envier au traitement réservé aux grands vins, dont on devine l’analogie. Doté d’une intuition et d’un sens du commerce indéniable, Éric Martin a fait de son huile un produit « haute couture ». En plus de la vente directe et sur Internet, depuis deux ans, le domaine organise des visites toute l’année autour des dégustations.

Cinquième génération à faire vivre le domaine, sur lequel deux terroirs se disputent les 27 ha d’oliviers, Éric Martin pointe l’importance des terroirs, au-delà des variétés. « Le type de sol va influencer l’amertume. Ici, on retrouve de l’argile rouge, plus riche, plus intéressante pour les arbres, qui donne de la force, pour une huile amère, verte et piquante. A contrario, le deuxième type de sol calcaire apporte de la finesse, des notes citronnées et une belle expression aromatique, mais c’est un secteur plus délicat et moins productif », s’anime avec passion l’oléiculteur. Les terroirs qu’il n’a pas chez lui, Éric Martin les importe, au gré de ses pérégrinations européennes. « C’est une fierté de faire connaître des petits terroirs de Sicile ou d’Andalousie, avec des oliviers millénaires et d’aller chercher des huiles dans des terroirs volcaniques, en altitude. » En production bio, l’oléiculteur met un point d’honneur à construire avec le vivant, pour une production pérenne : « Nous entretenons la fertilité des sols par des couverts végétaux comme du thé de compost, des semis directs, par une taille-douce en respectant la forme naturelle des arbres, en réduisant la charpente. Nous multiplions les techniques pour aboutir à un système plus résilient ».