VIANDE BOVINE
Le Sénat propose de rééquilibrer le marché

Christophe Soulard
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VIANDE BOVINE / Le sénateur Jean Bizet (LR, Manche) a présenté le 24 septembre un rapport au nom de la commission des affaires européennes du Sénat intitulé « Agriculture et droit de la concurrence : redonner aux agriculteurs français un pouvoir de marché ». Souhaitant « créer un électrochoc », il demande notamment aux producteurs de s’adapter aux attentes des consommateurs.

Le Sénat propose de rééquilibrer le marché
Article
Jean Bizet, sénateur de la Manche, président de la commission des affaires européennes.

Jean Bizet en veut toujours à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne qui a dévoyé à la fois l’esprit et la loi du traité de Rome de 1957 et renversé, en 1962, le rapport de supériorité entre la Pac et la concurrence, donnant la primauté à la seconde face à la première. C’est d’ailleurs là le fil rouge de son rapport qui tacle « la vision dogmatique de Bruxelles » sur ce dossier. Pour lui, ce « coup de force » exercé il y a bientôt 60 ans est l’une des causes principales de l’état de la filière viande bovine en France. Le sénateur le reconnaît lui même : « Il sera compliqué de convaincre les autorités européennes de revenir au statu quo ante », même si Bruxelles a fait une exception en 2016 au moment de la crise du lait. En fait, l’idéal serait de s’inspirer d’une loi américaine : le Capper-Volstead Act (voir ci-contre) qui autorise la fixation de prix communs de cession, ce qui n’est pas possible actuellement, au nom des règles de libre concurrence au sein de l’Union européenne. En remettant la primauté sur l’agriculture et en s’inspirant du Capper- Volstead Act, « on n’aurait pas besoin de se battre, cadre financier pluriannuel après cadre financier pluriannuel, pour une ligne budgétaire Pac, d’autant que les fonds publics vont aller en diminuant », a rappelé le sénateur.

Animaux moins lourds

Invitant les éleveurs « à sortir par le haut », il leur demande de réduire « le décalage persistant entre l’offre et la demande de boeuf sur le marché français ». Autrement dit, la France produit des « animaux trop lourds et insuffisamment valorisables, tandis que les consommateurs privilégient massivement des produits aussi simples que le steak haché ». Le sénateur de la Manche souhaite que les pouvoirs publics amènent « nos producteurs de viande bovine à privilégier des animaux moins lourds et plus jeunes, pour proposer une viande plus tendre et goûteuse ». C’est pourquoi il propose que le versement de l’aide aux bovins allaitants (ABA) « ne soit pas intégral si l’âge des animaux abattus dépasse 16-18 mois ». La baisse du poids de carcasse aurait également l’avantage de réduire l’empreinte carbone des élevages et donc de respecter le Green Deal ainsi que de répondre aux attentes sociétales.

« Psychodrame joué par la filière »

Avec un rare franc-parler, Jean Bizet qui s’interrogeait ouvertement sur la nécessité de « revisiter la machine à classer », dénonce aussi « l’attentisme de l’interprofession », « le statu quo du modèle économique des principaux industriels et distributeurs », égratignant au passage le groupe Bigard « qui se complaît dans son modèle économique au détriment des éleveurs ». Fustigeant « l’absence de stratégie de développement pérenne à l’exportation », il s’inquiète du « psychodrame joué par la filière » ainsi que de « la tendance naturelle à l’individualisme de nombreux éleveurs ».

À travers ce rapport, Jean Bizet, dont le mandat prendra fin en 2023, « veut créer un électrochoc ». Quitte à se mettre une partie de la profession agricole à dos.

Christophe Soulard

Le Capper-Volstead Act

Le Capper-Volstead Act est la loi sur les associations coopératives de commercialisation. Adoptée par le Congrès américain le 18 février 1922, elle accordait aux associations de personnes produisant des produits agricoles certaines exemptions aux lois antitrust. Le sénateur Arthur Capper (1865-1951) et le député Andrew Volstead (1860-1947), tous deux du Kansas, en sont à l’origine. Après la Première Guerre mondiale et une forte chute des prix agricoles, les organisations agricoles américaines ont réussi à obtenir la création d’un bloc agricole au Congrès américain qui puisse leur permettre de s’associer et de définir eux-mêmes un prix «minimum». Et ce alors même que la loi antitrust l’interdisait, au nom de la liberté de commerce.