CHÂTAIGNE
Les producteurs autour de la table pour discuter changement climatique

CHATAIGNE / Durant le mois de février, les castanéiculteurs du département ont été invités par le SDCA à échanger leurs observations et à discuter de l’avenir de leur production dans un contexte de changement climatique.

Les producteurs autour de la table pour discuter changement climatique
La localisation des châtaigneraies a une influence majeure sur la résistance aux sécheresses.

Trois ans. Trois ans consécutifs que la production de châtaignes d’Ardèche pâtit de conditions climatiques désastreuses entre sécheresse, chaleur, neige et parfois grêle. « Nous avons le potentiel pour produire jusqu’à 5 000 t de châtaignes, mais depuis 2014, (hors 2016 qui était une année exceptionnelle), nous n’avons produit que 2 000 à 3 000 t/an », regrette Michel Grange, producteur à Lamastre et membre du syndicat de défense de la châtaigne d’Ardèche (SDCA).

Le réchauffement climatique est aujourd’hui une réalité dont les castanéiculteurs sont les premiers témoins. En février, le SDCA et la Chambre d’agriculture ont proposé deux réunions aux producteurs pour échanger leurs observations.  « Il s’agit de voir quels sont les axes prioritaires à travailler pour les années à venir, en Ardèche mais aussi au niveau national », commente Hélina Déplaude, technicienne châtaigne à la Chambre.

Monter en altitude, vraie ou fausse bonne idée ?

La localisation des châtaigneraies a une influence majeure sur la résistance aux sécheresses. Les adrets autrefois convoités sont aujourd’hui problématiques. « Il convient de privilégier les expositions Nord et Est et d’éviter les expositions sud-ouest où les changements de température entre jour et nuit sont les plus importants », estime Hélina Déplaude.

Côté altitude, le constat est unanime : les vergers en-deçà de 600 m souffrent davantage de la sécheresse estivale tandis que certaines parcelles au-delà de 700-800 m s’avèrent propices à la châtaigne alors qu’elles ne l’étaient pas il y a une vingtaine d’années. « Attention toutefois au risque de gel lors du débourrement, car les températures estivales augmentent plus rapidement que les températures en sortie d’hiver », note Sébastien Debellut.

Fertilisation : apporter quoi, apporter quand ?

Le cynips est passé par là, et désormais le brûlage semble banni des pratiques d’entretien des sols. La question de la fertilisation est cependant centrale. Certains producteurs mettent ainsi en place de petites fascines au pied des châtaigniers pour y apporter du bois d’élagage, parfois un peu de fumure et des déchets organiques. « Les anciens déjà bâtissaient des murets en bas des troncs pour nourrir les arbres », observe David Loupiac, administrateur du SDCA et producteur à Désaignes. « Le broyat (branches, feuilles, bogues) a des vertus indéniables. À cet effet, le broyeur à bois est vraiment un bon investissement. »

D’autres conseillent également de laisser les bogues sur le sol pour ré-apporter de la matière organique au sol, mais également favoriser la pénétration et la rétention de l’eau. L’apport de fumier peut également avoir un effet positif, toutefois la question du pâturage est posée : « Les brebis mangent les plantes et y puisent du phosphore qu’elles fixent sur leurs os et ne rendent pas au sol, remarque un producteur. Il y a donc un risque de carence en phosphore ».

Plusieurs producteurs apportent également des fertilisants déshydratés, qu’il convient de bien positionner, « idéalement en février-mars, avant le débourrement », estime Michel Grange. Et d’ajouter : « Les amendements organiques peuvent aussi avoir leur intérêt, attention toutefois aux vendeurs de sommeil ! »

Taille douce ou élagage sévère ?

Avec des températures bien au-delà de la normale, les arbres souffrent transpirent excessivement. « Cela engendre le dessèchement des branches et en particulier des cimes, observe David Loupiac. Pour ma part, j’opère une taille sévère pour délester l'arbre qui peut ainsi mieux répartir et concentrer ses forces. » La taille sévère est d’ailleurs la pratique la plus répandue dans les Cévennes. « Attention à ne pas passer certaines limites de tolérance, et à laisser au jeune bois de quoi s’épanouir », souligne un producteur des Boutières.

Mais la taille des arbres fait débat : vaut-il mieux tailler les arbres en « boule » pour éviter la casse en cas de vent ? Laisser les hauteurs se développer pour créer un effet d’ombrage et donc procurer humidité et fraîcheur au bas de l’arbre ?

Autre thème de réflexion : la densité des parcelles. Quel écartement entre les rangs pour permettre au système racinaire de chaque arbre de trouver son espace vital, tout en favorisant des ombrages naturels ?

Irriguer : quand, pourquoi, comment ?

En Sud Ardèche, certains producteurs irriguent ponctuellement leurs vergers pour faire face à la sécheresse. Mais comment optimiser l’irrigation dans un contexte de ressource limitée ? Quel volume d’eau apporter, à quelle fréquence et à quelle période ? Quel système d’irrigation privilégier ? « Nous n’avons pas la réponse à ces questions, qui dépend aussi du type de sol et des objectifs de l’exploitation, affiche Hélina Déplaude. Ce sont quoi qu’il en soit des interrogations sur lesquelles il nous faudra nous pencher »

Les producteurs en sont toutefois conscients : l’irrigation n’est pas une solution miracle ! Ceux ayant arrosé leurs châtaigniers durant l’été peuvent en témoigner : même en contexte d’irrigation, les trop fortes chaleurs perturbent le processus de photosynthèse, bloquant le développement des fruits. L’humidité peut par ailleurs favoriser le développement de l’encre, sans parler des sangliers !

Où produira-t-on demain la châtaigne d’Ardèche ?
Deux réunions d’échanges sur le changement climatique ont été proposées par le SDCA à Joyeuse et à Saint-Sauveur-de-Montagut (ici sur la photo).

Où produira-t-on demain la châtaigne d’Ardèche ?

Ce n’est pas le scénario le plus pessimiste, et pourtant. La hausse des températures, qui s’observe clairement depuis 60 ans et s’intensifie depuis les années 1990, se poursuivra bien dans les 100 prochaines années. «Durant les mois d’été, une hausse de 2,6 à 2,7 °C, est attendue en Ardèche à l’horizon 2100 », commente Hélina Déplaude, technicienne châtaigne à la Chambre d’agriculture. Considérant que la température baisse en moyenne de 0,6 % chaque 100 mètres d’altitude, il est aisé de mesurer l’ampleur du changement en termes de géographie d’épanouissement du châtaignier dans les années à venir. « Ces résultats sont à mettre en balance avec les besoins physiologiques du châtaignier, à savoir une température minimale supérieure à -3 °C en mars ; un maximum idéal de 26 °C de juin à août ; 25 °C pour la période de floraison. La température annuelle optimale est estimée entre 9 et 12 °C1. » Quand bien même le châtaignier présente une grande capacité d’adaptation, il peut souffrir de dépassements longs et importants de ces températures optimales.

Côté pluviométrie toutefois, peu d’évolutions sont à prévoir. « On devrait rester dans un régime cévenol avec une forte variabilité interannuelle, indique la technicienne. Ce qui change, c’est le bilan hydrique, qui désigne la différence entre les précipitation et la consommation d’eau des végétaux (pluies – évapotranspiration) : il devrait baisser significativement à mesure que les températures augmentent. » Les châtaigniers devraient donc connaître des situations de stress hydrique de plus en plus fréquentes.

1. Données de l’Institut de développement forestier (IDF).