AGRO-ENVIRONNEMENTAL
PAEC Mézenc-Vivarais : les mesures « zones humides » et « protection des espèces » en actions

Marine Martin
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Pas facile de s’y retrouver, parfois, quand on a souscrit des parcelles engagées dans les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) ! C’est pourquoi, les principaux interlocuteurs se déplacent à la rencontre des agriculteurs afin de discuter autour du plan de gestion et de l’encadrement des bonnes pratiques.

PAEC Mézenc-Vivarais : les mesures « zones humides » et « protection des espèces » en actions
En bout de parcelle, un Busard cendré mâle tournoie, avant de disparaître à l’horizon. ©AAA_MMartin

En ce matin brumeux de début juillet, sur la montagne ardéchoise du côté d’Issanlas, Lucile Aubry, jeune éleveuse de chèvres ayant repris la ferme familiale il y a un an, attend patiemment ses interlocuteurs du jour : Thomas Barthet, chargé de mission au Conservatoire d’Espaces Naturels (CEN) Rhône Alpes, Eléna Garcia et Thomas Chateignier de la LPO Drôme Ardèche. La jeune éleveuse a engagé pour la première fois 12 de ces parcelles dans les mesures agro-environnementales du dispositif PAEC Mézenc-Vivarais 2023-2027, porté par le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche. Huit sont en mesure « zones humides », tandis que quatre sont en mesures « protection des espèces ».

« Le but n’est pas d’imposer, mais d’améliorer les pratiques si nécessaire »

Les mesures subventionnées sont assorties d’obligations et de préconisations pour les agriculteurs afin de préserver les milieux naturels et de favoriser la biodiversité. « Nous nous rendons chez l’agriculteur pour échanger et encadrer les pratiques. Le but n’est pas d’imposer, mais d’améliorer les pratiques si nécessaire. Par exemple, nous encadrons le chargement des bêtes, la période de pâturage et de fauche, ainsi que le nombre de passages des animaux pour préserver les zones humides », explique Thomas Barthet, référent du CEN RA, pour les mesures Zones Humides, sur l’exploitation de Lucile Aubry. « Chaque parcelle a une obligation spécifique (niveau de raclage, nombre de jours de pâturage caprin, etc.). À la fin du plan de gestion, je formule des recommandations. Par exemple, si une source se trouve dans une zone humide, on peut envisager de mettre en place un abreuvoir sur un terrain sec. Il est important de ne pas imposer des obligations trop complexes pour l’agriculteur », détaille Thomas Barthet.

Parmi toutes les recommandations, les préconisations, les obligations, il est parfois difficile d’y voir clair pour les agriculteurs. Pour Lucile Aubry, c’est un véritable soutien de pouvoir se référer à ces interlocuteurs : « Je trouve qu’il est précieux d’avoir des institutions comme la LPO ou le CEN pour échanger avec les techniciens du territoire. On se sent moins seuls et on apprend beaucoup, car de nombreuses connaissances sur les milieux, la faune et la flore ont été perdues », approuve-t-elle. Pour l’éleveuse, les raisons qui l’ont incité à souscrire à ces mesures sont avant tout « idéologiques », avant d’être financières. « Cela fait 40 ans que la ferme existe. Avant, il m’arrivait de voir des nuées de sauterelles et une multitude d’insectes dans les prairies, quand désormais, sur un mètre carré de parcelle, les insectes se comptent sur une main », témoigne Véronique Aubry, exploitante à la retraite depuis que sa fille Lucile Aubry a repris la ferme familiale, la Ferme Cab’riou, en bio depuis 2017. « Nous sommes préoccupés par la biodiversité. C’est important de préserver les ressources et les paysages de notre territoire comme les tourbières », renchérit Lucile Aubry.

En plus de l’exploitation, Lucile Aubry fabrique des fromages à la ferme, principalement du Picodon, qu’elle vend en direct, à partir de son troupeau d’une trentaine de chèvres productives. Elle gère aussi un gîte pour « le tourisme lent », à « la belle saison ». Installée sur la montagne ardéchoise, l’éleveuse est bien consciente que son « avenir passera aussi par le tourisme durable ». Et pour cela, il est donc impératif de préserver les tourbières, la faune et la flore des montagnes ardéchoise.

Le Busard cendré protégé, très sensible aux modifications des pratiques agricoles

Car non loin d’une des parcelles de Lucile Aubry, un couple de Busard cendré (espèce protégée) a élu domicile pour y établir sa nichée cette année. Cette espèce d’oiseaux des milieux agricoles, qui s’établit souvent en zone humide, façonne son nid de façon « rudimentaire, au sol », explique Thomas Chateignier, apprenti chargé de mission à la LPO Drôme Ardèche. « Tandis que le Tarier des près (autre oiseau protégé) va s’établir également sur une zone humide, mais va rechercher une touffe, ou un tapis un peu plus élaboré ».

Ces deux oiseaux des milieux agricoles nichant au sol sont particulièrement sensibles aux changements de pratiques agricoles : des fauches précoces, des fertilisations excessives ou encore des chargements à l’hectare trop importants perturbent leur habitat et empêchent la reproduction d’avoir lieu. C’est pourquoi la LPO travaille avec les agriculteurs dans le cadre des MAEC. « Dans la mesure protection des espèces, nous nous intéressons aux oiseaux des milieux agricoles car ce sont les espèces les plus en déclin mais également aux papillons dont les plantes hôtes se retrouvent dans les prairies naturelles », développe Eléna Garcia.

Alors, sur les 4 hectares engagés dans les mesures de la protection des espèces, Lucile Aubry, avec l’accompagnement de la LPO, a mis en défens 10 % de ses parcelles, soit 4 000 m2 en tourbière, ou il n’y a ni pâturage, ni fauche avant le 15 août et aucune fertilisation, ni azotée, ni organique, « afin que la période de reproduction se passe sans impact », précise Thomas Chateignier.

La visite se poursuit au cœur de la parcelle en défens. Tandis que les pieds sont bien ancrés dans la tourbière ou l’eau remonte à la surface, les regards, eux, sont portés haut vers le ciel, où tournoie un Busard cendré, le mâle, qui nous observe avant de disparaître à l’horizon.

Marine Martin

Mesure expérimentale « ESP1» du PAEC Mézenc-Vivarais

Cette mesure concerne tous types de milieux ou habitats naturels. La mesure protection des espèces s’engage entre l’agriculteur et un partenaire environnemental tel que la LPO Aura, afin d’établir un plan de gestion spécifique. D’une durée de 5 ans, les aides sont de 82 euros par hectare et par an et ce contrat est mis en œuvre par la mise en défens temporaire d’au moins 10 % des surfaces engagées dans les mesures, dont la localisation est cartographiée sur le plan de gestion. Sur les zones de mise en défens temporaire, il est interdit de fertiliser (minéral et organique) hors apports par pâturage.

Mesure « MHU1» du PAEC Mézenc-Vivarais

Concernant les zones humides, le plan de gestion spécifique aux milieux humides se construit en partenariat avec la FRAPNA Ardèche, le CEN RA ou la LPO Aura. Contractualisé sur une durée de 5 ans à hauteur de 150 euros par hectare et par an, les principaux engagements de la mesure incluent un taux de chargement maximal moyen à la parcelle de 1,4 UGB/ha/an et un taux minimal de chargement moyen de 0,05 UGB/ha/an sur les surfaces de prairies et pâturages permanents à l’échelle de l’exploitation. En période hivernale, dont les dates sont corrélées en fonction de l’altitude, il n’y a pas de pâturage sur les zones humides engagées. Hors apports par pâturage, aucuns fertilisants azotés minéraux et organiques ne doivent être ajoutés.

De la même manière, la ESP1 protège les espèces de papillons. En arpentant la parcelle de Lucile Aubry, Eléna Garcia, entourée de l'éleveuse et de Thomas Barthet, marque le pas et remarque la présence d’une plante appelée Sanguisorba officinalis (ou Grande pimprenelle). C’est une plante hôte d’un papillon protégé et en forte régression en France : l’Azuré de la Sanguisorbe. La femelle pond ses œufs spécifiquement dans l’inflorescence de la Grande pimprenelle et le papillon a également besoin d’une fourmilière spécifique pour y passer l’hiver. Toutefois, en Ardèche, très peu de données ont été recueillies sur la présence de ce papillon. ©AAA_MMartin