ÉLEVAGE
Fourrages : inquiétude dans le Nord Ardèche

Marin du Couëdic
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Alors que l’hiver et le début du printemps ont été marqués par de faibles précipitations, notamment dans le Nord du département, certains éleveurs s’inquiètent pour la campagne des fourrages qui vient de commencer. Retours de terrain.

Fourrages : inquiétude dans le Nord Ardèche
« Les pluies de la fin du mois d'avril ont fait venir un peu d'herbe mais pas de quoi réaliser une grosse coupe », s'alarme un éleveur nord-ardéchois.

« Il manque une grosse partie des fourrages à l’heure actuelle. Sur nos prairies naturelles, le déficit est de l’ordre de 80 % de la récolte », s’alarme Jérôme Duchier, éleveur à Saint-Alban-d’Ay (Gaec des Boirayons). Sur son parcellaire de 170 hectares, composé en majorité de prairies, il a mis ses 75 vaches laitières et autant de génisses à l’herbe fin avril, mais la pousse reste capricieuse… « Il n’a pas assez plu, seulement quelques millimètres depuis le début du mois. L’épisode de gel d’avril semble aussi avoir fait des dégâts sur la végétation, même si les luzernes et les trèfles s’en sortent mieux que l’année dernière », rapporte celui qui a commencé ses ensilages le week-end dernier.

Le constat est similaire pour Jean-Philippe Fourel, éleveur caprin et bovin à Préaux (Gaec Chèvrerie de Chomaise) : « Nous avons eu un hiver et un début de printemps très secs. Les précipitations fin avril ont fait venir un peu d’herbe mais pas de quoi réaliser une grosse coupe pour le moment », indique-t-il. L’année dernière, alors que les pluies avaient démarré tardivement, autour de mi-mai, l’éleveur n’avait pas pu rattraper les pertes sur les terrains avec de faibles profondeurs. « Les landes et prairies de seconde catégorie, qui produisent moins, sont les plus impactées. Nos bêtes pâturent sur les terrains avec plus de fond, ce qui retreint les surfaces à faucher », déplore celui qui élève 168 chèvres et une douzaine de vaches allaitantes.

Appréhensions sur la repousse

À Bozas, près de Saint-Félicien, Hervé Morfin a profité de la pluie pour commencer la fauche fin avril. « Il est tombé environ 20 mm sur notre secteur. La situation n’est pas dramatique pour l’instant mais nous sommes inquiets pour la repousse s’il ne pleut pas significativement d’ici quelques semaines. » Le responsable de la section bovin lait de la FDSEA, qui élève 85 vaches laitières sur une surface d’une centaine d’hectares, s’inquiète également pour ses 20 ha de céréales et 15 ha de maïs ensilage. « La sécheresse se fait sentir de plus en plus tôt. Ce devrait être exceptionnel mais plus les années passent, plus le phénomène se normalise. J’ai dû irriguer les ray-grass pour la troisième année d’affilée début avril », précise-t-il.

Surtout, l’éleveur a une pensée pour ses confrères du nord du département. « Plus on monte, plus c’est sec. Il est tombé à peine plus de 10 mm par mois sur le canton d’Annonay. »

Le Centre Ardèche moins impacté

L’appréhension est moindre sur les secteurs de Vernoux-en-Vivarais, du Coiron et de Chomérac, concernant les fourrages. « Nous avons pris 40 mm de pluie à Vernoux en avril, ce qui a bien arrangé la situation. Les ray-grass ont bien poussé et la quantité d’herbe devrait être là », témoigne Fabrice Chirouze est éleveur bovin lait à Silhac.

« La végétation est drôlement en retard cette année », observe quant à lui Gilles Amblard, éleveur bovin viande à Rochessauve, sur le Coiron. Celui qui commencé à faucher ses luzernes ces dernières semaines à Baix et au Pouzin reste vigilant. « C’est un peu tôt pour tirer des conclusions sur la quantité mais s’il ne pleut pas à nouveau d’ici une dizaine jours, ce serait une catastrophe. Ça se joue à pas grand-chose. »

La qualité serait bien là

Si la quantité fait pour l’instant défaut et que la météo des prochains jours alimente les craintes dans le Nord Ardèche, la qualité semble pour autant bien présente. « Pour l’instant, ce que l'on voit est joli. On espère qu’il va pleuvoir à nouveau rapidement pour que les rendements suivent », livre Stéphane Roche, éleveur bovin allaitant à Lafarre.

« Mes vaches sont uniquement au pâturage et le lait est là. La qualité de l’herbe est belle et bien au rendez-vous », estime quant à lui Jérôme Duchier.

Face à la sécheresse, les éleveurs ardéchois restent pour autant vigilants et réfléchissent à l’adaptation de leurs pratiques, à l’image de Jean-Philippe Fourel : « Il faudra trouver des solutions. Avec les épisodes successifs depuis 7-8 ans, nous avons perdu environ un tiers de notre potentiel fourrager. »

CONSEIL / « Récolter à des stades plus précoces »

CONSEIL / « Récolter à des stades plus précoces »

« Les premières coupes ont débuté m-avril en Ardèche. Globalement, la situation est assez hétérogène dans le département avec de faibles rendements et un déficit hydrique dans le Nord. Il y a eu des précipitations importantes sur les zones d’Alboussière et de Vernoux-en-Vivarais en avril et début mai, mais moins autour d’Annonay, où des éleveurs se retrouvent en difficulté », explique Adrien Raballand, conseiller d’élevage à Adice.  

« Sur la qualité de l’herbe, nous avons envoyé des analyses de fourrage sur les fauches précoces de luzerne à Vernoux et les résultats sont bons, poursuit le responsable activité conseil. Ce que nous conseillons aux éleveurs qui ont un peu de stock, c’est de miser sur ces fourrages de qualité en récoltant à des stades un peu plus précoces. Après une bonne année en 2021 en termes de quantité mais de qualité moyenne, l’idée est de viser moins mais mieux. »

« Un déficit pluviométrique important »
Emmanuel Forel.
TROIS QUESTIONS À

« Un déficit pluviométrique important »

Emmanuel Forel, conseiller agronomie fourrages à la Chambre d’agriculture de l’Ardèche.

Comment se présente la campagne des fourrages dans le département ?

Emmanuel Forel : « Nous en sommes encore au stade des premières récoltes. Le début de campagne est hétérogène sur le territoire mais la situation est particulièrement tendue dans le Nord Ardèche, avec de faibles quantités disponibles en prairies naturelles. Sur le secteur d’Annonay, il a plu au maximum 20 mm par mois depuis janvier, avec un déficit pluviométrique qui atteint 65 % à Peaugres. C’est inquiétant pour l’ensilage et la suite de la récolte, d’autant que le temps annoncé est plutôt beau et chaud. Sur le reste du territoire, nous constatons un léger déficit hydrique partout sauf sur les Cévennes ardéchoises, où il a plu l’équivalent de 200 mm au mois de mars et 50 mm en avril, ce qui a bien rempli les sols. Sur le Coiron et jusqu’à Vernoux, les pluies d’avril ont été bénéfiques pour l’herbe. En montagne, nous partons sur un bon début de saison grâce aux 50 à 70 mm qui sont tombés de mi-avril à début mai. »

Qu’en est-il de la qualité de l’herbe ?

E.F : « Elle dépend du stade d’avancement de la végétation et du moment de la fauche et de la récolte. À 600 mètres d’altitude, nous avons déjà dépassé les repères optimaux pour ensiler sur prairies naturelles. Mais les années de faible quantité, l’herbe reste de bonne qualité et digestible pour les animaux. Ce que j’ai vu sur le terrain, ce sont des luzernes et des ray-grass de belle qualité. Il y aura probablement une jolie coupe pour ceux qui ont pu arroser. »

Comment les éleveurs peuvent-ils anticiper et agir face à un tel épisode de sécheresse ?

E.F : « C’est compliqué car il y a peu de marges de manœuvre, surtout pour ceux qui ont uniquement des prairies naturelles. Il y a la solution de l’irrigation mais peu d’éleveurs y ont accès. Certains ont aussi du stock de l’année dernière, qui a été une année faste. Les autres devront passer par les achats, ce qui n’est pas évident vu la conjoncture et le prix des concentrés. Pour autant, la saison n’est pas terminée, y compris dans le Nord Ardèche. La situation peut encore se retourner et faire repartir les prairies temporaires. Nous avons vu ça en 2007 et en 2021. »

Propos recueillis par M.D.C

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