SAINT-JULIEN-EN-SAINT-ALBAN
Le Domaine de Blacher fait (re)vivre le vinaigre de vin artisanal

Anaïs Lévêque
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Installée au Domaine de Blacher, Myriam Oddon produit des vinaigres de vin et des balsamiques à base de moût de raisin cultivé en conversion bio, cuit, élevé et maturé en batterie de fût pendant 1 à 4 ans.

Le Domaine de Blacher fait (re)vivre le vinaigre de vin artisanal
Myriam Oddon redonne ses lettres de noblesse à une production artisanale française.

Au fil du temps, la production de vinaigre s’est industrialisée et standardisée, perdant de sa qualité, mais quelques passionnés cherchent aujourd’hui à redonner ses lettres de noblesse à une production artisanale française. C’est le cas de Myriam Oddon installée au Domaine de Blacher à Saint-Julien-en-Saint-Alban. Cette jeune femme originaire de Marseille et ancienne institutrice est littéralement « tombée dans le vinaigre » en rachetant en 2007 cette ancienne ferme avec son mari Étienne, son frère et sa belle-sœur. Dans cette ferme transformée en maison de vacances depuis plusieurs décennies et comprenant des plantations de vignes, elle propose des visites pédagogiques à des groupes d’enfants et commence à produire du vinaigre. « Les vignes étaient louées en fermage et je me suis mise à faire mes balsamiques avec le raisin collecté, à tester des recettes et des procédés de fabrication, ça me plaisait beaucoup », retrace Myriam Oddon. « J’avais suivi des études de chimie et connu Jacques Bourgeois, expert dans l’analyse et la dégustation des vinaigres, qui m’a donné de nombreuses clés pour me former. »

Des projets bien fermentés !

De tradition gastronomique, ce condiment ne cesse de la fasciner. En 2015, elle commence à vendre son vinaigre dans un cercle proche (village, famille, amis) et lance un crowdfunding pour fabriquer un chaudron sur mesure pour ses balsamiques et vinaigres. En 2016, elle trouve un bail agricole qui lui permet d’être cotisante solidaire et commence les activités pédagogiques sur la ferme (volailles, vergers, potagers, une brebis, un cheval, un âne). En 2017, lors d’un second crowdfunding , elle obtient le premier prix d’agro-tourisme avec Miimosa et AirBNB au Salon de l’agriculture. Lors de la remise du prix (5 000 €), la jeune femme rencontrera des chefs cuisiniers et des partenaires qui deviendront incontournables pour sa vinaigrerie (participation au Made in France). En 2018, elle démissionne de l’Éducation nationale pour se former en agriculture et se consacrer au développement de la ferme et de la vinaigrerie. Myriam Oddon s’inscrit alors pleinement comme exploitante agricole, après avoir suivi un BPREA et un stage en élevage dans le cadre de son installation. Elle retrouve l’usage de ses vignes en fermage et entame une conversion en agriculture biologique. Elle acquiert également de nouvelles terres situées à proximité de la ferme pour la partie élevage. Aujourd’hui, elle élève des chiens truffiers, des oies et des volailles de chair, produit de la viande d’agneau en bio et  et un peu de bœuf en conversion, cultive des fruits, des céréales… Et bien sûr 2,5 hectares de vignes en AOC Côtes du Rhône destinée à ses balsamiques et vinaigres ! En conversion depuis trois ans, sa production viticole sera certifiée en bio cette année.

Pressoir
Destiné à la vinaigrerie, le raisin est ramassé à la main, trié et pressé mécaniquement avec d’anciennes machines. Credit photo Domaine de Blacher

Étapes de production

Destiné à la vinaigrerie, le raisin est ramassé à la main, trié et pressé mécaniquement avec d’anciennes machines. Une partie de la production est utilisée pour la fabrication de vin nature et l’autre pour celle du balsamique. Pour cette dernière, Myriam Oddon cuit minutieusement le moût de raisin afin de concentrer les sucres sans perdre les parfums. Il est par la suite élevé en batterie de fût de châtaignier, de chêne, de frêne ou d’acacia pendant 1 à 4 années. Les essences de bois utilisées varient selon le balsamique recherché. Lors de ce vieillissement, les étapes de fermentation se succèdent : le vinaigre est produit à partir de la fermentation de l’éthanol en acide acétique, réalisée par des bactéries. Myriam Oddon les sélectionne précieusement. « Je récupère aussi des tonneaux d’occasion chez des vignerons. Il est très important de connaître ce qu’il y a pu avoir dedans, car le parfum du vin reste dans le bois et aura une influence sur le goût du balsamique. » Les fûts sont exposés sous les toits, au climat tantôt froid de l’hiver tantôt chaud en été : « Il faut assurer des températures très élevées et très basses en suivant les saisons, pour agresser le vinaigre et que les différents arômes de bois se fixent sur le sucre, il y a beaucoup d’esters (molécules de parfum) qui se créent », indique-t-elle. De tonneau en tonneau, le vinaigre est vieilli, avant d’être mis en bouteille à la main sur l’exploitation.

Tonneaux
Balsamique et vinaigre sont élevés en batterie de fût de châtaignier, de chêne, de frêne ou d’acacia pendant 1 à 4 années. Credit photo Domaine de Blacher

« Un esprit de recherche » et de goût

Myriam Oddon produit trois types de balsamiques. Utilisé pour relever le goût, le « Classique » est vieilli pendant une année, donnant un balsamique acide et peu sucré (30% de baume balsamique et 70% de vinaigre de vin nature). L’« Equilibre » est quant à lui vieilli pendant 2 ans, un peu moins acide qu’un vinaigre, composé à part égale de baume balsamique et de vinaigre de vin nature, idéal pour déglacer les sucs et donner un goût aigre-doux aux salades. Produit phare du domaine, l’« Intense » est vieilli durant 2 à 4 années minimum dans deux essences de bois différentes et des tonneaux de 20 à 50 litres, offrant un concentré de parfum et un produit davantage orienté sur de la dégustation et de la décoration de plats (90% de baume balsamique et 10% de vinaigre de vin nature).

La jeune femme produit également quelques vinaigres de vin aromatisés aux fruits (safran, figue, framboise et mûre) et du balsamique aux fèves de cacao du chocolatier et torréfacteur Patrice Chapon basé à Paris. « C’est l’un des 25 meilleurs chocolatiers du monde et l’un des rares à torréfier lui-même ses fèves de cacao. L’amertume du cacao se marie parfaitement avec le sucre du balsamique », ajoute Myriam Oddon. « Je garde un esprit de recherche dans l’élaboration de mes balsamiques. Je regarde comment ils évoluent, les analyse, teste beaucoup de choses… Ces expérimentations me permettent de rester éveillée dans tout ce que je fais ! »

Pour contrôler sa production et préciser ses assemblages, elle fait déguster ses produits à des œnologues et des cuisiniers : « Le balsamique se contrôle au goût, il faut garder un équilibre. J’ai un bon nez mais cela ne suffit pas. J’ai besoin de leur regard critique, de leurs avis en matière de dégustation, mais aussi de leurs conseils et de leurs attentes pour la restauration ». Parmi ces professionnels figurent de grands noms de la restauration française et ardéchoise, tels que le Toqué d’Ardèche Florian Descours, le restaurant La Mère Brazier à Lyon ou encore le chef étoilé et directeur de l’Université du goût de Paris, Pierre Marchesseau. Avis aux amateurs, ses produits sont vendus en épiceries fines mais aussi en direct à la ferme !

A.L.

Domaine de Blacher : ouvert toute l’année les vendredis de 17 h à 19 h (téléphoner avant de venir). Plus d’infos sur le site Internet : www.domainedeblacher.com
Produits
Myriam Oddon produit trois types de balsamiques de manière artisanale, ainsi que des vinaigres de vin aromatisés aux fruits (safran, figue, framboise et mûre) et du balsamique aux fèves de cacao. Credit photo Domaine de Blacher
Récolte
Myriam Oddon, avec son mari Etienne, cultive 2,5 ha de vignes en AOC Côtes du Rhône. En conversion depuis trois ans, sa production viticole sera certifiée en bio cette année. Credit photo Domaine de Blacher
ZOOM / « Des animaux, des végétaux et des humains ! »
Myriam anime aussi des visites pédagogiques de la ferme et a aménagé un sentier botanique autour de la faille géologique des Cévennes.

ZOOM / « Des animaux, des végétaux et des humains ! »

Parallèlement à son activité de vinaigrière, Myriam Oddon anime des visites pédagogiques, notamment aux scolaires, publics de centres aérés, d’associations et des personnes âgées. Ces visites sont orientées sur la découverte des activités agricoles de l’exploitation. « Je m’applique à ce qu’il y ait des animaux, des végétaux et des humains partout sur la ferme, assurer un équilibre entre tout ça », explique-t-elle. Un sentier botanique a été aménagé aussi autour de la faille géologique des Cévennes, une étape du sentier européen « Sur les pas des Huguenots ». Les randonneurs y traversent des truffières, vignes, vergers, châtaigneraie, la garrigue ainsi que des forêts de pins et de cèdres. Diverses informations sont apportées sur les caractéristiques de ces paysages le long du sentier.