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Laboratoires de l’adaptation climatique en agriculture

À la suite du Varenne de l’eau, la chambre régionale d’agriculture et le conseil régional d’Occitanie ont accéléré leurs réflexions sur l’adaptation, en vue d’aboutir à une feuillede route détaillée et d’aligner l’ensemble des politiques avec le futur climat occitan. Des travaux d’adaptation sont également conduits en Auvergne Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté. Décryptage.

Laboratoires de l’adaptation climatique en agriculture
Les épisodes estivaux de sécheresse ont montré qu’il était nécessaire d’accélérer sur l’adaptation au changement climatique. © DR

Tous en conviennent : s’adapter aux conditions climatiques futures est essentiel pour préserver la production agricole. Mais comment traduire cet objectif dans l’accompagnement technique ou les politiques ? « Il faut d’abord comprendre le climat d’aujourd’hui, ensuite comprendre les effets du climat de demain sur les fermes. Et une fois que tout cela est compris, on peut passer à l’élaboration d’un plan d’adaptation », déroule Sylvain Doublet, responsable Agronomie et climat chez Solagro et créateur d’outils de diagnostic climatique. En théorie au moins, le Varenne de l’eau et de l’adaptation au changement climatique lancé par Julien Denormandie, alors ministre de l’Agriculture, a semblé adopter cette méthode, en demandant aux filières et aux Régions des diagnostics, que tous doivent désormais décliner en plans d’actions détaillés. « Les régions les plus touchées par les sécheresses sont les plus réactives », observe Olivier Dauger, qui a suivi le dossier pour Chambres d’agriculture France. Ainsi, l’Occitanie ferait partie de ces territoires aux avant-postes. Le changement s’y fait déjà sentir, avec notamment des hausses observées de la température de près de 2°C dans certains départements et une surface touchée par la sécheresse multipliée par quatre depuis les années 1960. Les agriculteurs se sont déjà partiellement adaptés, mais d’autres effets, comme la stagnation des rendements de blé tendre ou le risque de mortalité des bovins, exigent cependant des efforts plus poussés. Du côté des chambres et de la Région, l’irrigation est considérée comme la principale solution.

+ 25 % d’eau pour l’irrigation

« Le Varenne a mis un coup d’accélérateur, mais nous ne l’avons pas attendu pour travailler », prévient Pierre Goulard, chef du service Climat au sein de la chambre régionale d’Occitanie. Comme il le rappelle, les premiers travaux sur l’adaptation ont commencé au début des années 2010 à l’échelle de l’ex-région Midi-Pyrénées, avant d’être précisés en 2015, puis en 2019, grâce à une étude prospective financée par l’Ademe. Basée sur Climagri, cette étude détaille le climat actuel, envisage les changements à l’horizon 2050 et propose quatre scénarios prospectifs. Complétée par des réflexions par filière, elle devrait servir de fondation à un plan régional d’adaptation que les chambres espèrent publier fin 2023.

Agriculture productive et territorialisée

Pour les prairies, par exemple, la saisonnalité devrait augmenter, avec une baisse de la production annuelle de 10 % au total sur l’année, malgré une hausse de 30 % de la pousse au printemps. « En été, les animaux devront être nourris avec des stocks », préviennent les auteurs. Face au raccourcissement des cycles, le maïs irrigué perdrait aussi entre 10 et 16 q/ha sur les meilleurs sols. La seule solution pour éviter ces effets, selon le rapport, est d’augmenter l’irrigation de 40 à 60 mm. Idem sur les céréales à paille : « L’irrigation pour sécuriser la fin de cycle pourrait être nécessaire ». Des chiffres d’autant plus préoccupants que la région devrait parallèlement gagner 1,1 million d’habitants pour atteindre une population totale de près de 7 millions. « La question de l’eau est vraiment l’enjeu majeur, avec toutes les tensions qu’elle entraîne sur les territoires », insiste Julie Bodeau, chargée de mission Énergie biomasse climat au sein de la chambre régionale et coauteur du rapport.Pour anticiper cette situation, la chambre retient donc un scénario en particulier, dit « agriculture productive et territorialisée ». Principales hypothèses de cette trajectoire : à partir de 2040, « les échanges internationaux ralentissent », alors que « les pouvoirs locaux sont renforcés par un profond mouvement de décentralisation », rendant notamment la compétence entière aux Régions sur l’agriculture. Plus autonome, l’Occitanie pourrait alors développer des filières locales de qualité, avec 30 % de surfaces en bio et 50 % des surfaces de grandes cultures en agriculture de conservation. Côté assolement, les surfaces en grandes cultures augmenteraient de 9 % « en raison de la hausse de la surface de protéagineux ». Au contraire, les surfaces en vin de table diminueraient de moitié, « avec un repli de la production vers des vins d’appellation ». Côté élevage, le cheptel laitier serait réduit d’un tiers face à « la perte de rentabilité », mais une hausse de productivité permettrait de maintenir la production totale. Au total, l’autonomie des fermes serait renforcée, avec des baisses d’achats de fioul, d’engrais et d’aliments pour une réduction nette d’émissions de gaz à effet de serre de 41 %. Seule ombre à ce tableau plébiscité par la chambre : le volume d’eau destinée à l’irrigation augmenterait de 25 % en trente ans pour atteindre près de 600 millions de m3. « Cela ne veut pas dire que les prélèvements augmenteraient nécessairement d’un quart. L’innovation peut apporter des réponses, tout comme le recours aux réutilisations », tempère Pierre Goulard. Pour autant, l’eau n’est peut-être pas le seul levier pour faire face au changement climatique. « L’irrigation, la technologie ou des adaptations à la marge ne suffiront pas à sauver les fermes, assène Sylvain Doublet. Car l’enjeu de l’adaptation est, au fond, plus économique que technique. On le voit déjà en céréales, mais ce sera le cas aussi dans certaines productions animales, le climat futur réduira les rendements et la productivité », prévient l’expert.

I. L.

Contourner les effets de la sécheresse et du gel
Le projet Resyf vise à améliorer la performance et la résistance des systèmes fourragers en élevage face au changement climatique. ©Ceraq
FILIERES

Contourner les effets de la sécheresse et du gel

Afin d’aider les producteurs à s’adapter aux aléas climatiques, les filières de l’élevage et de la viticulture prennent part à divers projets d’expérimentations et de recherches.

Depuis 1980, le grand Sud de la France et la région Auvergne-Rhône-Alpes connaissent un changement climatique significatif. En trente ans, les températures ont bondi de 2 °C sur la période de juin, juillet et août. L’air est également plus sec et l’augmentation de l’évaporation affecte les cultures. Mais ces changements s’accompagnent d’un autre phénomène : le territoire rhônalpin est marqué par un réchauffement général plus important en montagne qu’en plaine (+ 0,35 °C par décennie en plaine, + 0,37 °C en moyenne montagne et + 0,45 °C en montagne).

Un déséquilibre entre les ressources fourragères produites sur les exploitations et les besoins des bovins est de plus en plus souvent constaté. Améliorer et optimiser l’accès à l’eau sont également indispensables. « Surtout lorsque la transformation se fait à la ferme, comme dans les alpages de Haute-Savoie, où les exploitations sont connectées à des sources d’eau qui se tarissent », explique Christophe Berthelot, coordinateur au centre de ressources pour l’agriculture de qualité et de montagne, pour les filières laitières AOP-IGP des Savoie.

Améliorer la résilience des systèmes

En 2022, le projet Resyf a démarré afin d’améliorer la résilience des systèmes fourragers des exploitations d’Auvergne-Rhône-Alpes. Dans un premier temps, les techniciens ont repéré les pratiques innovantes développées par une quarantaine d’éleveurs régionaux. Une dizaine d’entre elles a été retenue. L’année 2023 est dorénavant dédiée à la phase de test sur les exploitations. Parmi les expérimentations en cours, figurent notamment la rénovation des prairies et l’intégration de dérobées, tel que le sorgho, entre deux cultures principales à la fin du printemps et durant l’automne. « L’objectif est bien de sécuriser la production fourragère », rappelle le professionnel. La gestion du troupeau constitue un second levier à actionner. « Pour réduire les besoins, des éleveurs décalent les vêlages ou révisent les effectifs du troupeau, ajoute le coordinateur. Certains mettent un lot de génisses en pension sur d’autres exploitations. La clé, c’est d’associer plusieurs stratégies de diversification des ressources. Si la taille du cheptel diminue, il faut alors coupler avec la recherche de valeur ajoutée. »

Adapter les cépages

Depuis plusieurs années, le vignoble jurassien intensifie ses recherches afin de lutter contre le gel et la sécheresse. En 2021, le département a été l’un des plus touchés par le gel et les pluies intenses au printemps, abaissant le rendement à 17 hl/ha. En 2022, ce sont surtout les jeunes plantations qui ont le plus souffert de la sécheresse. « À la suite de l’épisode de gel survenu en 2021, nous avons travaillé sur un plan de résilience et établi une cartographie des zones sensibles au gel, relate Laetitia Buffet, responsable d’équipe à la Société de viticulture du Jura. Cette année, nous lançons notre plan de transition dans lequel tout un volet est dédié à la stratégie sécheresse. » Ce plan de transition a également permis un rapprochement avec les projets Vitaf (Viticulture agroforesterie) et Oasis. Ce dernier permet d’utiliser une chambre à pression pour mesurer l’état hydrique et la température du végétal. « Ces tests vont démarrer durant la prochaine campagne et vont se concentrer sur le chardonnay, qui servira de témoin, et le savagnin, qui est le cépage qui donne le vin jaune, mais qui souffre du manque d’eau. » La société suit également de près les tests de porte-greffes, menés par la chambre d’agriculture de la Côte d’Or. Autre mesure phare : l’introduction de variétés d’intérêt à fin d’adaptation (Vifa). L’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) a ouvert cette possibilité pour les AOC côtes-du-jura et arbois. « Les Vifa peuvent rentrer à hauteur de 5 % de l’encépagement de l’exploitation, et à hauteur de 10 % de l’assemblage final, détaille la professionnelle. Le cépage enfariné, présent dans notre conservatoire, sera formidable pour apporter de l’acidité et contrebalancer la sécheresse. » 

Léa Rochon

Mesures de crise en Pyrénées-Orientales
La plus grande partie des Pyrénées-Orientales est classée en situation de crise. Il a plu un peu moins de 180 mm depuis septembre, alors qu’il aurait dû pleuvoir plus de de 450 mm. ©FDSEA66

Mesures de crise en Pyrénées-Orientales

SÉCHERESSE / Depuis le 10 mai, une grande partie du département des Pyrénées-Orientales est placée en situation de crise en raison de la sécheresse historique qui le frappe. De nombreuses interdictions de prélèvements, y compris agricoles, courent jusqu’au 13 juin. 

La préfecture des Pyrénées-Orientales a annoncé, le 9 mai, le passage de la plus grande partie du département en situation de « crise », le plus haut niveau d’alerte, en raison de la sécheresse historique frappant ce territoire qui s’étend des Pyrénées à la côte méditerranéenne. Selon Hichem Tachrift, hydrogéologue au syndicat mixte des nappes de la plaine du Roussillon, la situation y est tout à fait inédite. « Il a plu un peu moins de 180 mm depuis septembre, alors qu’il aurait dû pleuvoir plus de de 450 mm. Ça se traduit par des niveaux historiquement bas pour les eaux souterraines et des débits extrêmement faibles pour les cours d’eau ». À l’issue de la réunion d’une cellule de crise rassemblant les services de l’État, les élus locaux, les pompiers et les forces de l’ordre, le préfet a annoncé des contrôles et des sanctions pour les particuliers et les entreprises qui dérogeront aux mesures d’économie d’eau « Des amendes pouvant aller jusqu’à 1 500 € pour les particuliers, 7 500 € pour les entreprises, sanctionneront les fraudeurs », a précisé le procureur de la République.

Une décision inéluctable 

Dans un communiqué de presse, la préfecture des Pyrénées-Orientales met l’accent sur un « juste partage de l’effort entre tous les usages : agriculture, autres activités économiques, vie quotidienne, débits dans les rivières » et « un effort collectif ». Les prélèvements non prioritaires, y compris à des fins agricoles, sont interdits. La préfecture souligne que la décision était « inéluctable ». Ordonnées pour l’heure jusqu’au 13 juin, les restrictions concernent les bassins versants de l’Agly et de la Têt, les deux principaux fleuves du Roussillon, où se concentre l’activité agricole, ainsi que les nappes des Aspres, une zone montagneuse, et la côte méditerranéenne, où se situent les stations balnéaires d’Argelès-sur-mer, Collioure ou Canet-en-Roussillon. Le département des Pyrénées-Orientales est le premier de France à passer presque entièrement en niveau « crise ». Avant cela, des territoires situés dans les Bouches-du-Rhône, le Gard et le Var avaient été placés en alerte maximale ces dernières semaines. En tout, neuf départements sont concernés par une « alerte renforcée ». En visite le 6 mai dans les Pyrénées-Orientales, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a promis aux agriculteurs qu’ils seraient indemnisés dans un délai plus rapide qu’habituellement des pertes subies à cause de la sécheresse exceptionnelle qui frappe le département. « On couvrira la perte de récoltes ou la perte de fonds », a déclaré le ministre. « Il faut qu’on accélère le dispositif pour que les indemnisations puissent être touchées plus rapidement que d’habitude, a-t-il ajouté. On ne peut pas payer les agriculteurs en avril 2024. C’est une situation de crise comme la Covid. »

Débit agricole minimal 

Concernant la trésorerie des exploitations, les agriculteurs concernés par la sécheresse bénéficieront du « dégrèvement d’office de taxe sur le foncier non bâti » et d’un « report de cotisations sociales », a indiqué le ministère. Par ailleurs, le ministre a précisé que de possibles restrictions d’irrigation ne pénaliseront pas les éventuels bénéficiaires de l’indemnisation dite de solidarité nationale (ISN), issue de la réforme de la gestion des risques. Le ministre a également indiqué « l’importance de prévoir un débit agricole minimal, à savoir le maintien d’un apport en eau qui permette de sauvegarder l’activité agricole sur le territoire et donc d’assurer notre souveraineté alimentaire ». Il souhaite ainsi permettre « la survie de la plante » et éviter « une perte pour l’exploitant sur plusieurs années ». 

J.J avec l’AFP

Le Varenne agricole de l’eau en cours de réalisation
Frédéric Veau, délégué interministériel en charge du suivi des conclusions du Varenne agricole de l’eau. ©Sénat
ADAPTATION

Le Varenne agricole de l’eau en cours de réalisation

Impulsé par Emmanuel Macron en mai 2021, puis officialisé en 2022, le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique a été pensé pour répondre aux enjeux de gestion de l’eau et d’adaptation au changement climatique. Deux défis auxquels sont confrontées les activités agricoles et agroalimentaires. Il y a un an, le préfet Frédéric Veau a été désigné en tant que délégué interministériel en charge du suivi des conclusions du Varenne agricole de l’eau. En février 2023, il est revenu sur l’avancement du dossier. La première thématique, qui vise à protéger l’agriculture, concerne principalement l’assurance récolte, dont le projet de loi est entré en application le 1er janvier 2023. L’étude Explore 2, qui va intégrer les dernières évolutions des modèles de prévision du Giec sur le climat, devrait également rendre ses premiers résultats.

Un accès raisonné à la ressource

Selon le préfet, les épisodes estivaux de sécheresse ont montré qu’il était nécessaire d’accélérer sur l’adaptation au changement climatique. « Cet engagement se matérialise par une stratégie d’adaptation renforcée dans le cadre des plans filières, exprime-t-il. Si l’exercice est abordé différemment selon les filières, il n’empêche que toutes ont entamé la démarche et adopté une feuille de route dont la déclinaison en plan d’action est prévue d’ici 2025. » La troisième thématique concerne l’accès raisonné à la ressource et le stockage de l’eau en période hivernale. « Ainsi, le décret sur les volumes prélevables en période de hautes eaux a été signé en juillet 2022, détaille Frédéric Veau. En parallèle, la rénovation et la modernisation des réseaux d’ouvrages hydrauliques sont rendues possible via la mobilisation de fonds de France relance. » Au total, 100 millions d’euros sont déployés pour financer l’acquisition d’équipements et de matériels innovants. À cette somme, s’ajoute un budget dédié à un appel à projet pour le soutien à l’innovation. Le financement ciblera l’amélioration ou la création des infrastructures hydrauliques, le pilotage intelligent des stockages, l’expérimentation pour récupérer les pluies diluviennes l’hiver et la réutilisation des eaux usées. Enfin, en Auvergne-Rhône-Alpes, le programme « 100 retenues pour la région » a identifié près de 340 projets de retenues collinaires, dont une centaine est réalisée ou planifiée.

Former au changement climatique

« C’est un équilibre d’ensemble à trouver entre l’adaptation de l’agriculture au changement climatique (recherche variétale, évolution des modes et des systèmes de culture, capacité des sols à stocker de l’eau et performance de l’irrigation) et l’accès à la ressource en eau là où c’est possible », a conclu le délégué interministériel. En janvier 2023, c’était au tour du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, d’annoncer que le Varenne de l’eau allait allouer 6 millions d’euros afin de former 30 000 agriculteurs et 700 conseillers au changement climatique.

Léa Rochon

La région Occitanie est aux premières loges du changement climatique. ©Bernard Blanc – Flickr