CRISE SANITAIRE /
Comment les Français envisagent-ils l'après confinement ?

CRISE SANITAIRE / Du 17 mars au 11 mai 2020, la France a été mise sous cloche. Pour savoir comment les Français ont vécu cette période inédite, l’Observatoire Cetelem a demandé à l’institut HarrisInteractive de suivre un panel en interrogeant les personnes sur leurs actions pour se réorganiser, leurs représentations, leurs inquiétudes et leurs doutes, ainsi que sur l’impact du confinement sur leur vie future. Décryptage.

Comment les Français envisagent-ils l'après confinement ?
Alors qu’un lent déconfinement a été amorcé depuis le 11 mai, 57 % des Français considèrent que beaucoup de choses vont changer dans leur vie. Pour 83 % des consommateurs interrogés, le « Made in France » est un objectif et le consommer moins, mieux et local plus que jamais au cœur des préoccupations.

L’Observatoire Cetelem, une structure d’études et de veille économique du groupe BNP Paribas, a voulu savoir comment les Français s’étaient adaptés au confinement, comment ils l’avaient vécu et comment ils envisageaient le jour d’après. Une première enquête intitulé « Aujourd’hui, le passage au confinement », menée du 20 au 24 mars, lors de la première semaine de confinement, a permis de dresser un portrait des Français en montrant dans quel état d’esprit ils abordaient ce passage. Cinq semaines plus tard, les 20 et 21 avril, une deuxième enquête, « Coronavirus : d’aujourd’hui au premier jour d’après », a permis de mesurer, après un mois de nouvelles habitudes, l’évolution des tendances observées1.

Leurs sujets d’inquiétudes ou de préoccupations sont-ils les mêmes ? Comment ont-ils adapté leurs habitudes de consommation en mode contraint et ralenti ? Et surtout quelles leçons en tirent-ils pour la suite ? Autant de données pour apprécier si ces nouvelles habitudes relèvent plus d’une adaptation forcée aux contraintes imposées qu’une réelle évolution des valeurs, et si cette période va transformer de façon durable leur vie « d’après ».

Au début du confinement

Lors de la première enquête, au tout début du confinement, les personnes interrogées s’inquiètent largement des conséquences de cette épidémie. Plus que leur propre santé (70 %), c’est la santé de leurs proches qui les préoccupe le plus (86 %), a fortiori chez ceux qui vivent avec ou ont des proches considérés comme des personnes à risques. Malgré une confiance unanime (97 %) dans le système médical, ils sont 42 % à redouter d’avoir à consulter un médecin. Si les trois quarts (75 %) estiment réaliser des économies depuis le début du confinement, l’économie française (88 %), leur pouvoir d’achat (68 %), ou encore le maintien de leur emploi (49 %) les inquiètent fortement. Malgré tout, une majorité aborde cette épreuve du confinement avec sérénité. Mais près de 9 sur 10 (87 %) craignent de voir cette période s’éterniser. Ils ne sont pourtant que 39 % à avoir fait des stocks de produits alimentaires. Un chiffre qui grimpe à 55 % chez les plus jeunes. Dans l’ensemble, les Français se sentent bien équipés pour faire face au confinement, mais se méfient de l’isolement social (53 %), la déprime (38 %), l’anxiété (38 %), la perte de sommeil (38 %) ou encore l’ennui (37 %). Que le confinement soit vécu comme une parenthèse (57 %) ou un tournant dans la manière dont ils vivent leur quotidien (43 %), ils peinent encore à trouver leurs marques (56 %).

Après un mois de confinement

Après un mois de confinement, les personnes interrogées sont nettement plus nombreuses à considérer que beaucoup de choses vont changer dans leur mode de vie après le confinement (57 %, + 14 points) qu’à envisager cette période comme une simple parenthèse (43 %). Si les trois quarts (75 %) d’entre eux se jugent épargnés d’un point de vue économique, ils sont tout de même 25 % à déplorer des pertes importantes dans leurs revenus, et 80 % (+ 40 points en 1 mois) à estimer que les prix ont augmenté en parallèle, ce qui pèse sur leur budget. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à s’inquiéter pour leur pouvoir d’achat et leur épargne (72 %, + 4 points), plus que pour leur propre santé (66 %), mais aussi pour leur emploi (51 % des actifs, + 2 points). En cette période de frugalité contrainte, 55% s’estiment toutefois frustrés dans leur consommation : 47 % espèrent retrouver rapidement le plaisir de consommer, et 53 % manifestent au contraire une intention de ralentir à ce niveau. Pour soutenir l’économie (87 %) mais aussi les producteurs en difficulté (89 %), le « Made in France » est un objectif pour 83 % des Français : consommer moins, mieux et local est plus que jamais au cœur de leurs préoccupations.

C.D.

1. D’après Les zooms de l’Observatoire Cetelem Enquêtes réalisées en ligne du 20 au 24 mars 2020 sur un échantillon de 1 536 personnes et les 21 et 22 avril 2020 sur un échantillon de 1 005 personnes représentatif des Français âgés de 18 ans et plus.
Jean Viard : « Le lien numérique sera le lien premier ».
Jean Viard

Jean Viard : « Le lien numérique sera le lien premier ».

INTERVIEW / Questions à Jean Viard, sociologue.

Quels premiers enseignements tirez-vous de la crise que nous traversons ?

Jean Viard : « Il y a trois choses fondamentales. La première, la coopération de l’humanité lui a permis de se sauver, ceci grâce aussi à des frontières et à des distanciations physiques, ce qui est paradoxal. On se rend compte que l’on a besoin des deux. Je pense ensuite que la période politique actuelle se termine. Le triomphe absolu du consommateur sur le citoyen, où le marché apparaissait comme le seul régulateur légitime, va être compensé par des logiques de souveraineté. Troisième chose : on est définitivement entrés dans l’ère numérique. Le lien numérique sera le lien premier, dans le travail, l’éducation, la culture, même dans le voyage. Il y a une rupture majeure, pour moi aussi importante que les guerres mondiales, même si, heureusement, le nombre de victimes est moindre. »

Qu’avez-vous vu se développer ?

J.V. : « Des signaux faibles ont pris plus d’importance, c’est toujours le cas dans les crises. On avait déjà une critique sur l’avion, ça va se renforcer. On avait un désir de local, ça va se renforcer. Il y avait aussi une attente d’une société plus écologique qui montait, et une critique du mode d’agriculture. On était sur un mouvement d’écologie, appuyée sur une science mais surtout issue du monde urbain, qui se déversait à l’extérieur des villes. Le monde agricole n’arrivait pas à se saisir de la question écologique pour avoir sa propre logique de production. En ce moment, on est dans l’urgence, mais d’ici peu, ça va remonter très fort. On va entrer dans une séquence où les risques liés à la nature vont être très mal supportés. Il va y avoir une pression vis-à-vis du monde agricole, et soit c’est lui qui prend la main, soit ça va être très compliqué. »


Le risque de paupérisation de la population ne va-t-il pas influer nos comportements ?

J.V. : « Je ne crois pas à la paupérisation à l’issue des 18 prochains mois. La crise a mis en scène trois secteurs économiques dans notre société, qui n’ont pas la même logique. Les gens en télétravail, 30 à 35 % : ce sont, en gros, ceux qui sont aux commandes de la société. Ils n’ont pas perdu d’argent et ont même économisé. Leur question va être de se déplacer dans l’espace : s’ils se rendent compte qu’ils peuvent télétravailler plus, ils vont peut-être habiter à 2 h de Paris ou de Lyon. Il peut donc arriver dans les zones rurales, une population à fort revenu, mais à forte exigence écologique, qui va demander que l’on installe dans chaque village, des lieux de co-working, et que le numérique devienne l’un des commerces du local. 30 % des gens font partie du secteur de la production des biens physiques ou culturels, et ont été en chômage partiel : ce sont eux qui vont le plus souffrir dans les prochains mois. Le dernier groupe, ce sont tous les secteurs qui ont continué de travailler normalement. Ce sont les personnes les plus mal rémunérées, mais qui vont augmenter en pouvoir d’achat. »


Qu’est-ce qui vous a le plus frappé ces dernières semaines ?

J.V. : « Ce qui est le plus frappant, c’est que les gens sont prêts à modifier leurs habitudes radicalement. D’abord il y a la peur, qui peut être bonne conseillère. Mais ça montre aussi une capacité à s’adapter qui est considérable, qui va donner l’habitude de la contrainte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’était avant. Si on prend un certain nombre de règles, même si elles font perdre un certain sentiment de liberté, elles seront acceptées. On ressort aussi sans doute avec une idée plus positive de la famille. »


Propos recueillis par Sébastien Duperay

Jean Viard est auteur de plusieurs ouvrages. Le dernier, Le Sacre de la Terre est paru aux éditions de l’Aube.

Olivier Dauvers : « Le lien numérique sera le lien premier »
Olivier Dauvers

Olivier Dauvers : « Le lien numérique sera le lien premier »

POINT DE VUE / L'analyse d'Olivier Dauvers, journaliste.

Spécialiste des questions de consommation, Olivier Dauvers suit la distribution depuis près de 30 ans. Alors qu’habituellement, les tendances en la matière évoluent lentement, « avec le confinement, les évolutions ont été infiniment plus profondes et plus fortes qu’elles n’ont jamais été en termes de circuits et de produits », constate-t-il. Le e-commerce, avec le drive, a vu sa part dans les achats alimentaires presque doubler, « sauf que ça s’applique à une petite assiette », nuance le journaliste. En masse, le supermarché est, sans conteste, le vainqueur du confinement : « il a été au croisement d’injonctions publiques et de comportements que l’on souhaitait : il ne fallait pas aller loin, ni sortir longtemps. […] On est allés deux fois moins souvent en magasin et on a eu tendance à aller dans un seul magasin. On a concentré nos achats dans un circuit qui propose à peu près tout ce que je veux », analyse Olivier Dauvers. Côté produits, les rayons « snacking », les produits à la coupe ou à plus forte valeur ajoutée ont vu leurs ventes baisser, alors que celles des produits ingrédients se sont envolées. Le rayon fruits et légumes a profité de la fermeture des marchés de plein vent. « On assiste au grand retour du libre-service et du plastique », observe le spécialiste. Etonnant, quand on sait que le plastique était condamné il y a quelques mois encore. Mauvaise nouvelle, la période a révélé un phénomène de « paupérisation de la consommation », constate Olivier Dauvers. « Le transfert de consommation hors domicile vers la grande distribution n’a été que partiel. Il aurait dû atteindre 13 %, alors qu’il n’a été que de 7 à 8 %. Il manque 5 points. […] La France est en « mode retenue ». Ce phénomène est dû à des situations de précarité partielle et se traduit par une baisse de la consommation et une hausse des marques de distributeurs dans les achats. »

Bonne nouvelle, les produits français semblent avoir été plébiscités pendant le confinement. Selon le journaliste, cela s’explique par l’arrêt des importations, fraise, asperge, agneau en tête, et à une « bascule commune et rapide des enseignes » sur des produits d’origine France. « Ça ne fait pas une tendance pour le Made in France, c’est l’offre qui a changé. Or les phénomènes les plus durables sont des phénomènes de demande. » Pour autant, « le terreau est fertile », confirme celui qui a fondé le Think Tank AgriAgro et lancé il y a quelques mois un débat autour de l’origine des matières avec #Balance TonOrigine. « Encore faut-il que les acteurs soient dans une forme de sincérité dans la revendication de l’origine pour permettre ensuite au client d’exercer son libre arbitre en toute connaissance de cause. […] Spontanément, le consommateur ne va pas changer tout seul. » Olivier Dauvers retient de cette crise « la solidarité intra-filières qui a permis à la filière alimentaire de ne pas casser », mais pronostique « une guerre des prix » pour la suite. 

S.D.

Pour aller plus loin : www.olivierdauvers.fr