VITICULTURE
Une situation « trop urgente »

Anaïs Lévêque
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VITICULTURE / L'arrêt de la consommation de vin hors domicile et les restrictions de circulation perturbent la filière viti-vinicole. Les vignerons indépendants qui réalisent 50 % de leur chiffre d'affaires sur ces marchés sont particulièrement touchés. Entretien avec Ludovic Walbaum, président de la fédération des Vignerons Indépendants de l'Ardèche.

Une situation « trop urgente »
Ludovic Walbaum, vigneron à Vallon-Pont-d'Arc et président de la fédération des Vignerons Indépendants de l'Ardèche.

Dans quelles situation se trouvent les marchés du vin des vignerons indépendants en Ardèche ?

Ludovic Walbaum : « Nous sommes tous pratiquement à l'arrêt. Quelques vignerons indépendants habitués à vendre en direct à la grande distribution ou en vrac à des négoces ont réussi à maintenir à peu près les flux jusqu'à maintenant. L'export était déjà en difficulté depuis fin 2019, les marchés au ralenti avec Airbus et les taxes américaines, le Brexit, la Chine... Aujourd'hui, c'est la grande distribution qui fonctionne. Quelques points de vente de cavistes en ville, quelques Drive fonctionnent bien, mais cela ne représente pas plus de 50 % des ventes que nous réalisons habituellement. Le reste concerne tout ce qui est fermé et interdit depuis le 15 mars : salons de printemps, caveaux, œnotourisme, CHR1, cavistes, revendeurs... Pour ceux qui travaillent majoritairement avec des CHR, la perte est de 50 à 80% de chiffre d'affaires aujourd'hui. Les comportements d'achats ont changé aussi, il se boit moins de vin en étant confiné. La plupart des caveaux ont rouvert et font de la vente directe en respectant les mesures de protection sanitaire, sous forme de Drive, de rendez-vous, etc. La clientèle locale joue le jeu mais cela ne peut pas combler le manque. »

Les mesures exceptionnelles mises en place par l'État (chômage partiel, PGE2, report des charges sociales) vous permettent-elles de tenir jusqu'à la reprise d'activité ?

L.W : « Ces aides ”providentielles” de l'État sont des prêts de trésorerie pour l'instant, certes avec des taux bas et différés mais les ventes n'arrêtent pas de baisser. Les déclarations de demande d'aides et de PGE qui sont effectuées selon la baisse du chiffre d'affaires montrent qu'il y a eu un effondrement global de plus de 20 à 30 % sur le mois de mars. Le report des charges fiscales et sociales a été annoncé aussi, on parle d'abandon depuis la semaine dernière, mais ils ne sont pas encore matérialisés. Si ces charges sont reportées, il faudra les payer. Il faudra aussi de la trésorerie et que les ventes reprennent pour rembourser les prêts. Le chômage partiel ne durera pas toute une année non plus. Le secteur viti-vinicole est quasiment le seul en agriculture à continuer de travailler et en assurer les charges sans pouvoir commercer. 80 % de nos débouchés sont à l'arrêt et pour encore plusieurs mois. »

Comment envisagez-vous les mois à venir ?

L.W. : « Quand l'activité reprendra, nous ne vendrons pas trois plus de vins. Les hôtels et restaurants ne devraient pas rouvrir avant mi juillet. Ils ne pourront pas assurer le maximum de leurs couverts et devront respecter les distanciations sociales. Ce sera la même chose dans l'évènementiel et l'œnotourisme. En grande distribution, je ne vois pas non plus la consommation des particuliers absorber tous ces manques. Je pense que le pire va arriver dans les deux à trois prochains mois. Nous sommes très inquiets quant à savoir si nous réussirons à vendre et écouler nos stocks avant les prochaines vendanges. Nous pourrons mettre en bouteille tout ce qui peut être valorisé au moment des vendanges, les bons vins et les crus, mais que ferons-nous des gros volumes ? Notamment des rosés qui ne seront pas vendus d'ici fin juillet... »

Des mesures d'accompagnement spécifiques ont été demandées par l'AGPV3 (voir en page 5) dont des aides au stockage (défiscalisation) et des mesures de distillation volontaire si necessaires. En quoi consistent-elles ? Quels sont leurs atouts ?

L. W. : « La demande d'aide au stockage concerne tous les produits qualitatif. Nous avons aussi demandé la défiscalisation des vins afin de donner de la souplesse à la gestion de l'OCM4 vin et de prévoir des adaptations réglementaires spécifiques. En cas d'aléas climatiques à venir, il y a la solution de la mesure du 70/30 pour les rosés qui nous permettrait de garder et d'utiliser nos stocks avec les prochaines vendanges. Il pourrait y avoir des mesures de soutien à la promotion afin de reprendre ses places de marché. Dernière mesure envisageable : la distillation volontaire comme nous l'avons évoqué avec l'AGPV dans ce courrier envoyé au ministre de l'Agriculture. Il a été demandé une distillation volontaire forte de 3 millions d'hectolitres de vin, sur un prix garanti de 80 € / hl pour les IG5. Nous pensons qu'elle pourrait s'étendre jusqu'à 4 à 5 millions d'hectolitres si necessaire. Cela permettrait aux producteurs d'avoir des revenus, refaire leur trésorerie, vider leur cave, payer les chantiers et avancer ! C'est une mesure qui envoie de mauvais signaux commerciaux et qui n'est pas encourageante mais c'est une mesure de crise, un outil ultime que nous prévoyons d'activer selon les besoins de chaque région. La situation est trop urgente, il faut sauvegarder nos outils. Si les vignerons font faillite, nous aurons des problèmes sanitaires aussi avec des vignes à l'abandon. Nous en aurons dès cet été si elles ne sont pas traitées et entretenues. Ce serait une seconde pandémie pour nous. »

Propos recueillis par Anaïs Lévêque

1. Cafés, hôtels, restaurants.
2. Prêt garanti par l'État.
3. Association générale de la production viticole.
4. Organisation commune du marché vitivinicole.
5. Indication géographique.

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