DÉVIATION ROUTIÈRE
Contournement de Langogne : « Ce projet coupe mon exploitation en deux »

Marin du Couëdic
-

Le projet de contournement de Langogne, en Lozère, revient à l’ordre du jour début 2022. Une concertation inter-services est en cours, préalable à une enquête publique, sur un tracé qui présente un impact agricole fort, notamment en Ardèche. Retour de terrain auprès de plusieurs agriculteurs concernés. 

Contournement de Langogne : « Ce projet coupe mon exploitation en deux »
Sébastien Rouvier, éleveur à Lesperon, devant une parcelle menacée par le projet de contournement routier de Langogne.

Depuis les hauteurs de sa ferme, Sébastien Rouvier voit la rivière Allier et la commune de Langogne toute proche. « Ici, nous sommes à Lesperon en Ardèche mais de l’autre côté du pré, c’est la Lozère et la région Occitanie », pointe l’éleveur âgé de 43 ans. Installé depuis 2012 en bovins viande (cheptel de 58 mères et 20 génisses), il exploite 112 hectares d’un côté et de l’autre de la frontière administrative de deux départements, dont 8 ha de céréales, 50 ha de prés de fauche et le reste en pâturage.

Ce parcellaire est aujourd’hui menacé, avec 20 hectares qui pourraient être engloutis par le contournement routier de Langogne, un projet de nouveau sur la table en ce début d’année 2022. Situées principalement en Ardèche et dédiée au pâturage, ces terres sont à proximité immédiate du siège de l’exploitation, qui a fait l'objet d’investissements récents.

« Ce projet coupe mon exploitation en deux. Je n’ai pas investi dans un bâtiment neuf pour qu’on me casse mon outil de travail », s’alarme Sébastien Rouvier. Son bâtiment de stabulation a seulement quatre ans et un agrandissement, dont il a obtenu le permis de construire, est prévu au printemps pour le stockage du foin et du grain dédiés à l’engraissement des génisses. Cette grange neuve se situerait au ras du tracé.

« Nous travaillons depuis trois générations sur cette ferme. Nous faisons travailler l’abattoir de Langogne, les artisans locaux. Nous sommes restés au pays et on vient tout mettre par terre avec ce genre de projet », poursuit l’éleveur, qui promet d’arrêter son métier d’agriculteur si on lui enlève ces terres.

Que pense-t-il des aménagements évoqués dans la concertation qui prévoient la construction d’un tunnel de type boviduc sous la route pour faire passer ses machines et ses animaux ainsi que des points d’abreuvement et des clôtures ? « Ce ne sont pas des garanties suffisantes. Je ne suis pas contre le contournement mais ce tracé est trop impactant. On peut me prendre dix hectares mais pas devant ma porte. »

« Personne ne nous a prévenus »

Surtout, l’éleveur ne digère pas ne pas avoir été informé du tronçon privilégié par les services de l’État. « Personne n’est venu me voir, personne ne m’a appelé hormis le maire de Lesperon et la Chambre d’agriculture de l’Ardèche. Je trouve inadmissible de monter des projets et de ne pas prévenir les personnes concernées. »

Même son de cloche au Gaec des Genêts, quelques centaines de mètres plus loin, du côté du hameau de Malesveilles, également impacté par le projet. « Nous n’avons reçu aucune information. La moindre des choses serait d’organiser une réunion en Ardèche avec les paysans concernés », tranche Mickaël Talon, 37 ans. L’agriculteur est installé avec son père en bovins lait et viande (75 vaches laitières, une vingtaine d’allaitantes), sur une surface de 190 hectares.

Le tracé privilégié pour la déviation de Langogne impacte leur exploitation agricole sur 6 ha. « Il y aura des nuisances, mêmes indirectes, sur notre travail au quotidien et nos animaux. Notre terrain risque de perdre de la valeur, fulmine Michel Talon, 69 ans. On se crève la paillasse à avoir des exploitations qui tiennent la baraque, à tomber des talus, et on nous impose des projets comme celui-là. On ne va pas se laisser marcher dessus. »

« Artificialisation »

S’ils ne se disent pas forcément contre la déviation routière, ce tracé est une épée de Damoclès qui menace leurs exploitations dans un contexte économique déjà difficile, rappellent les agriculteurs concernés. « Nous faisons face à une forte hausse du coût des matières premières, notamment l’essence et l’alimentation animale. Les coûts de production ont flambé mais pas les prix des animaux », rappelle Sébastien Rouvier.

« Le marché du foncier est tendu ici. Nous perdons petit à petit du terrain agricole depuis une dizaine d’années. À Lesperon, il reste cinq agriculteurs dont c’est l’activité principale, dont un qui va prendre sa retraite », reprend Mickaël Talon. 

Un constat partagé par Jean Linossier, maire de la commune de 327 habitants pour 2 500 ha de superficie : « Ce tracé impacte fortement la commune avec une vingtaine d’hectares de terres fertiles menacés par l’artificialisation sur un secteur dynamique, avec des projets d’agrandissement, de construction de bâtiments. Il met sérieusement en péril l’exploitation d’un éleveur et en fragilise au moins une autre ».

« D’un côté, on nous demande d’installer des jeunes et de maintenir l’agriculture sur nos territoires ruraux et de l’autre, on nous impose des projets comme celui-là, s’irrite l’élu local. D’autant que depuis 20 ans que je suis maire, nous n’avons reçu aucune aide pour se constituer une réserve foncière. »

 « Nous allons tout faire pour garder nos terres agricoles, conclut-il. Nous avons la chance d’avoir la Chambre d’agriculture de l’Ardèche à nos côtés dans ce combat ».

AVIS / Sollicitée par la Dreal Occitanie dans le cadre d’une concertation inter-services en amont de l’enquête publique, la Chambre d’agriculture de l’Ardèche a rendu un avis « très défavorable » au tracé proposé pour le contournement de Langogne par la RN88, le 26 janvier.

« Le tracé proposé ici est identique à celui qui avait été présenté lors de la concertation de 2015 comme étant la variante à privilégier par les services de l’État. Or, il s’avère que le tracé qui concerne le département de l’Ardèche présente le plus fort impact agricole des trois variantes proposées. Les parcelles impactées sont des prairies et des céréales, primordiales pour le bon fonctionnement des exploitations. Elles constituent les stocks d’alimentation indispensables pour les troupeaux et sont à proximité des sièges d’exploitation », peut-on lire dans l’avis signé par Benoit Claret, président de la Chambre d’agriculture de l’Ardèche.

« La nécessité du contournement de Langogne est réelle et partagée par le Chambre d’agriculture de l’Ardèche. Cependant, il n’est pas acceptable que la variante retenue supprime du territoire une exploitation agricole. La lutte contre la baisse du nombre d’agriculteurs et les difficultés de transmission d’exploitations est un enjeu majeur », poursuit l'établissement public dans son avis.

« Les impacts du tracé sont tels qu’ils condamnent la viabilité » de la ferme. « L’enjeu agricole est d’autant plus fort au regard de la perte d’exploitations agricoles depuis plusieurs décennies (-47 % d’exploitations en Ardèche en vingt ans).

En matière d’impact agricole, la Chambre d’agriculture émet enfin « une crainte quant au devenir des terres agricoles de part et d’autre du tracé et plus particulièrement aux points de connexion entre des routes communales ou départementales et la RN88. Ces secteurs pourraient faire l’objet de rétention foncière qui viendrait compliquer un marché foncier déjà sous tension ».

Également sollicitée, la Chambre d’agriculture de la Lozère a rendu un avis « très favorable », le 17 janvier.

PROJET / Zoom sur le tronçon privilégié par les services de l’État

Évoqué pour la première fois en 1993 et objet de multiples débats au carrefour de la Lozère, de l’Ardèche et de la Haute-Loire, le projet de contournement routier de Langogne et de la route nationale 88 est à nouveau à l’ordre du jour avec une concertation inter-services initiée par la Dreal Occitanie avant une enquête publique, qui pourrait être menée courant 2022.

D’une longueur de 7,2 km, le tracé privilégié contourne Langogne par l’Est. Il passe au-dessus de Saint-Flour-de-Mercoire, traverse l’Allier et les frontières administratives de l’Ardèche avant de rejoindre la RN88 au niveau du Pont-d'Allier.

Selon l’étude d’impact, ce tracé touche 14 exploitations agricoles, dont 4 en Ardèche, réparties sur 3 communes (Saint-Flour-de-Mercoire, Langogne et Lesperon) pour 298 ha impactés, dont 57 ha qui disparaitraient totalement.

Début février, le conseil communautaire de la communauté de communes du Haut Allier et le conseil municipal de la ville de Langogne ont rendu un avis consultatif favorable sur le projet. De l’autre côté, le conseil communautaire de la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche a émis avis défavorable, suivant l’avis de la commune de Lesperon.

Une déclaration d’utilité publique, qui permet notamment l’expropriation pour cause d'utilité publique, pourrait être prononcée début 2023. Les travaux pourraient alors commencer en 2025, à l’issue des études environnementales et techniques.

Mickaël et Michel Talon, éleveurs à Lesperon, risquent de perdre six hectares de terres agricoles.
Le siège d'exploitation de Sébastien Rouvier, éleveur à Lesperon, est impacté par le tracé retenu par les services de l’État. Vingt hectares de son parcellaire sont également menacés.