SÉCHERESSE
Sécheresse : pluie d’inquiétudes dans le monde agricole

Si les pluies de ces derniers jours ont offert un peu de répit aux agriculteurs, la sécheresse a déjà causé des pertes irrémédiables sur les productions végétales. Jusqu’au 22 août, 80 % de l’Ardèche était placée en état de crise et soumise à des restrictions drastiques à l’irrigation. Le point.

Sécheresse : pluie d’inquiétudes dans le monde agricole
Chez Alain Mounier, une partie des potimarrons a littéralement brûlé sous l'effet du soleil et du chaud, avant d'être ramassée.

Les maraîchers crient « eau secours »

Sous le coup d’une interdiction d’arroser, parfois depuis des semaines pour certains secteurs, les maraichers ont parfois dû se résoudre à voir périr leur récolte sans pouvoir réagir. Certains exploitants ont pu sauver les meubles grâce à des dérogations, accordées au cas par cas et pour des volumes d’eau limités. Mais l’irrigation ne fait pas tout, et n’a parfois pas suffi à sauver les cultures en proie à des chaleurs extrêmes. C’est le cas chez Alain Mounier, maraîcher et arboriculteur à Charmes-sur-Rhône, qui peut pourtant arroser ses cultures grâce au réseau agricole du Rhône. « Malgré l’irrigation, je n’ai eu que 55 % de ma récolte de courgettes (pour l’industrie), pourtant résistantes au sec. Les feuilles se sont desséchées et les courgettes ont jauni et brûlé, sous l’exposition au soleil », explique-t-il. Autre effet des fortes chaleurs : la précocité des cultures. « J’ai un mois d’avance sur les potimarrons, dont on a fini la récolte au 8 août ! Là encore, on a à peine une demi-récolte : les potimarrons qui avaient mûri ont carrément brûlé sous l’effet du soleil ! De manière générale, pour les courges et cucurbitacées, on ne ramassera rien. La levée avait pourtant été bonne, mais avec des journées à plus de 35°C et des températures élevées la nuit, les plantes se sont bloquées. Là où ça a poussé, on a seulement des fleurs mâles et aucune femelle. Quant aux aubergines, ce n’est pas trop mal dans les terres légères ; mais pour ce qui est des terres argileuses, les aubergines ont du mal à s’implanter malgré l’irrigation ! C’est démoralisant. C’est surtout très difficile de se projeter pour les prochaines saisons : qu’est ce qu’on va pouvoir faire ? Implanter les légumes plus tôt encore, tout en risquant les coups de gel d’avril ? Ou carrément abandonner certaines cultures ? »

Fruits : calibres et maturité s’affolent

Les fruits d’été ont gravement pâti de la sécheresse, y compris dans les vergers irrigués. « En cerise, on a eu de petits calibres et des volumes hétérogènes selon les secteurs, résume Aurélien Soubeyrand, président de la fédération départementale des producteurs de fruits (FDPF). Avec ces petits calibres, la commercialisation a été chaotique pour 60 à 70 % de la récolte, avec des prix très peu rémunérateurs. La drozophila suzukii a été présente du début à la fin de la récolte, et on a subi un retour en force de la mouche méditerranéenne. »

L’abricot n’est guère mieux loti. Même en secteurs irrigués, il a parfois souffert des températures élevées. « Le gel qui a frappé le nord de l’Ardèche a donné lieu à une petite récolte, mais avec de meilleurs calibres que dans le reste du département, explique Aurélien Soubeyrand. Dans la vallée du Rhône, on a des problèmes de calibres, en particulier sur certaines variétés comme le bergeron. On a également des inquiétudes pour la saison prochaine avec des arbres qui ont souffert de la chaleur et qui commencent déjà à défeuiller. On est sur du matériel végétal pérenne, pas annuel : est-ce que le verger va être capable de s’en remettre ? »  La récolte de pêches a toutefois donné satisfaction, avec de jolis calibres. Le marché a bénéficié de la chute de production espagnole, du fait de mauvaises conditions climatiques.

60 à 80 % de pertes en olives

« On table sur 60 à 80 % de pertes en olives », déplore Jean-Noël Berneau, président du syndicat des oléiculteurs de l’Ardèche méridionale. On avait une floraison abondante et prometteuse début mai, mais dès la fin du mois de mai, les températures à plus de 35 °C ont provoqué des dégâts. Les arbres ont sacrifié leurs fruits, les olives sont tombées, et celles qui sont restées ont noirci sous l’effet de la chaleur. On observe peu de différence entre les variétés : toutes ont souffert, que ce soient les variétés endémiques de l’Ardèche comme les Italiennes ou espagnoles. Toutefois, on a une bien meilleure résistance dans les terrains riches, avec des arbres bien enracinés. On observe aussi un impact positif de l’agroforesterie (ombrages) et de certaines pratiques comme la vaporisation. »

Les Ppam en souffrance

Les plantes à parfum, aromatiques et médicinales (Ppam) sont elles aussi en difficulté. « Celles qui ont été repiquées après le 20 mai n’ont jamais pu démarrer ; les températures extrêmes ont bloqué leur développement, provoquant des pertes entre 50 et 80 %, indique Didier Blache, co-gérant de Pam Ardèche. C’est particulièrement le cas en reine des près, camomille, pensée des champs, piloselle, matricaire camomille. Les restrictions à l’irrigation n’ont pas joué en notre faveur, d’autant plus que beaucoup de cultures de Ppam se situent sur des petites parcelles de zones de pentes et ne sont pas raccordées aux réseaux collectifs d’irrigation agricole. La chaleur a aussi rendu le désherbage très compliqué en bio : le pourpier pullule, et on doit biner beaucoup plus souvent que d’ordinaire. Pam Ardèche compte 70 apporteurs, pour la plupart desquels les Ppam représentent jusqu’à la moitié du chiffre d’affaires. Avec ces pertes, on ne peut pas honorer nos clients auprès desquels on s’était pourtant engagés, et cela nous met en difficulté. Il faut vraiment que l’Etat nous permette de stocker l’eau l’hiver avec de petites retenues ; sinon, on ne fera plus de Ppam en Ardèche. »

Du côté du lavandin, on comptabilise déjà des pertes. À la Cuma de distillation de Gras, qui compte une cinquantaine de producteurs, environ 30 t ont été récoltées pour l’huile essentielle, contre 40 t l’an dernier.

Châtaigne : espoirs d’une bonne récolte

La précocité semble valoir également pour la châtaigne. Dans le Sud de l’Ardèche toutefois, certaines variétés comme la sardonne ou la comballe ont souffert de la sécheresse en basse altitude, avec des chutes de bogues dans certains secteurs. Mais globalement, les pluies de la semaine dernière ont redonné le sourire aux producteurs qui espèrent une jolie saison. Dans la majorité des vergers, les arbres sont chargés de fruits, mais il est encore tôt pour faire des prévisions. La filière espère d’autres pluies début septembre.

M.C.

Maraîcher à Charmes sur Rhône, Alain Mounier a récolté des fruits brûlés et abimés par la chaleur, malgré l'irrigation.