AGROÉCOLOGIE
L’observation des sols est essentielle

JOURNÉE TECHNIQUE / Pour la deuxième année consécutive, le Centre de développement de l’agroécologie (CDA) organise les rencontres de la performance agronomique en Auvergne Rhône-Alpes. L’objectif est de populariser les techniques et de prouver que la rentabilité peut s’accorder avec le respect de la biodiversité des sols. Le thème de la polyculture élevage a été abordé à Haute Rivoire (Rhône).

L’observation des sols est essentielle
Démonstration sur le terrain de la relation sol plante, via la prospection racinaire.
article partie 1
Konrad Schreiber, agronome des sols vivants.

Konrad Schreiber, agronome des sols vivants, défend l’idée de supprimer le travail du sol pour copier le modèle naturel des prairies et autres forêts : « La biodiversité est le premier outil de production de l’agriculteur. Or, en remuant la terre, on détruit cette biodiversité, ce qui entraine une perte de l’humus et donc de la fertilité ». La chaîne se poursuit avec un impact sur la structure du sol et donc des risques de compaction d’érosion et de perte de l’eau avec des rendements à la baisse pouvant aller jusqu’à la désertification. Une réflexion qui conduit au débat principal, la gestion de l’eau. « Un sol nu est un sol foutu », lance l’agronome avant de préciser : « En 2050, en phase d’été, on estime le déficit d’eau à 40 %. Stocker le carbone qui sert principalement à gérer l’eau est donc un enjeu majeur ». La couverture des sols en semis direct est une solution, avec un couvert végétal entre les cultures qui protège de l’érosion et maintient, entre autres, un taux d’humidité dans le sol. « On pourrait par exemple imaginer semer du maïs dans le couvert végétal. Les besoins d’eau pourraient être réduits de 30 %. »

Toute l’importance de la matière organique

Pour Konrad Schreiber, un sol idéal se compose de 50 % d’eau et d’air, de 45 % de minéral et de 5 % de matière organique. « Cette matière organique influence la fertilité et la gestion de l’eau pour obtenir une stabilité structurale. » Le spécialiste parle de fixer le carbone dans le sol en utilisant les plantes ou des amendements organiques, de préserver la biodiversité en couvrant le sol et en diminuant le travail du sol et d’améliorer le fonctionnement de l’eau en favorisant son infiltration et en augmentant sa rétention.

Lors d’une journée organisée par le Centre de développement de l’agroécologie (CDA) à Haute Rivoire, sur le thème de la polyculture élevage, Mathieu Bessière, spécialiste du pâturage tournant, a développé à son tour les pistes pour améliorer la richesse et le fonctionnement des prairies. Avec une pousse de l’herbe dans les prairies permanentes qui ne cesse de se dégrader en Auvergne Rhône-Alpes (les valeurs de production sont estimées à 75 % de la référence (1989-2018), selon Agreste), le sujet prend tout son sens.

article partie 2
Pierre-Emmanuel Radigue, vétérinaire.

Le pâturage tournant pour des prairies performantes

« Tout d’abord je tiens à rappeler les principes de base qui sont de nourrir le sol, le protéger tout en maintenant sa porosité », a introduit Mathieu Bessière. Ne pas laisser les animaux trop longtemps dans une prairie, en préférant un seul passage, permet une bonne ingestion, mais pas que : « Cela permet une bonne qualité de repousse, au-delà d’un passage, on entame la prairie. Je conseille de pâturer à hauteur de la gaine des plantes ».

Le sujet présenté, le pâturage tournant, a cependant interpellé un agriculteur sur la possibilité du découpage parcellaire des terrains en pente comme dans les monts du Lyonnais. « Vous pouvez séparer le haut du bas de la parcelle. Je suis conscient que le relief peut être une contrainte, mais ce n’est pas un frein pour ce type de pâturage », lui a répondu Mathieu Bessière. L’idéal est alors de ne pas dépasser plus de trois jours sur la parcelle, le spécialiste conseillant plutôt une à deux journées. Derrière ce découpage, l’intérêt est d’avoir un pâturage le plus performant possible tout en préservant le potentiel de production de l’animal. Et comme le dira le vétérinaire Pierre-Emmanuel Radigue dans son exposé, « la santé des animaux est liée à la santé des pâturages ».

Analyser pour mieux comprendre

« Le sol, la plante et les animaux sont dans de meilleures conditions. Le pâturage tournant permet ainsi de maintenir les prairies productives plus longtemps. Pour cela, il faut adapter le temps de chargement au temps de présence et adapter la vitesse de rotation des animaux à la vitesse de pousse de la prairie. » Si des cas de sous-alimentation sont remarqués, entraînant une baisse de production des vaches, ça peut être en raison de paddocks trop petits. Quant aux mélanges prairiaux, Mathieu Bessière conseille « de n’associer ni les précocités ni les appétences et de préférer la gestion inter-parcelles. Il faut également éviter les semis en ligne ». Pierre-Emmanuel Radigue, vétérinaire chez Natur’éthique a lui aussi livré une intervention remarquée sur les planches de la salle de Haute Rivoire. « Il existe cinq piliers de la santé valables pour tous : l’hydratation, la nutrition, le physique, l’environnement et le bien-être. Alors on interroge l’agriculteur, on observe et on mesure pour analyser. Nous n’avons pas cette tradition de l’analyse et c’est bien dommage », regrette celui qui a choisi d’être vétérinaire pour que les animaux ne tombent pas malades. « C’est la question que je me pose régulièrement : comment faire pour ne pas tomber malade. Dès qu’il y a une maladie, il y a un déséquilibre. » Pour lui, les mesures de base sont celles du lait de tank, des bouses et de l’eau.

« On peut ensuite mesurer l’immunité, le sang, les urines, les sols, les plantes. Pour le lait, ce n’est pas compliqué : équipez-vous d’un réfractomètre Brix, mesurez la densité, le PH et le redox. »

Le CDA poursuivra son tour d’Auvergne Rhône-Alpes à Châteauneuf-sur-Isère (arboriculture) dans la Drôme,le 22 octobre puis à Creys Mépieu (maraîchage sol vivant) en Isère, le 12 novembre.

Cédric Perrier

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Pour Konrad Schreiber, agronome des sols vivants, « un sol nu est un sol foutu ».

Un intérêt croissant pour l’agroécologie

Pour la deuxième édition, le Centre de développement de l’agroécologie (CDA) a choisi de modifier la formule des rencontres de la performance agronomique. Si l’an dernier le rendez-vous avait rassemblé entre 300 et 400 personnes sur deux jours à Saint-Bonnet-de-Mure (Rhône), l’édition 2020 était organisée sur quatre journées techniques dédiées à des filières spécifiques : grandes cultures, polyculture-élevage, arboriculture, maraîchage et sol vivant. Mathieu Perraudin, responsable développement pour le CDA : « On a souhaité une approche plus approfondie des thématiques, car le sol fonctionne de la même façon pour toutes les cultures. Je ressens une dynamique autour de l’agroécologie depuis deux à trois ans, avec la prise de conscience que le sol demeure un bien intergénérationnel ». Lors du rendez-vous de Haute Rivoire, deux intervenants ont bousculé les agriculteurs. « Il y a eu un effet électrochoc le matin avec Konrad Schreiber, agronome des sols vivants et Pierre-Emmanuel Radigue, vétérinaire, qui remettent en question le système actuel. Lors des ateliers de l’après-midi, les agriculteurs ont pu échanger avec eux et aborder le sujet de manière concrète. Ils avaient d’ailleurs un discours complémentaire, sans se concerter, sur les liens sols plantes. » Cette deuxième journée organisée à Haute Rivoire a réuni 85 participants dont 90 % d’agriculteurs. « Il y a un intérêt croissant pour l’accompagnement et la formation vers l’agroécologie. Les agriculteurs, jeunes et moins jeunes, s’interrogent et certains se sentent parfois dépassés. C’est tout l’intérêt de ces journées techniques qui ne sont pas que théoriques », ajoute Gaëlle Wang, chargée de l’événement chez CDA.

C.P.