Dans le monde du vin, une nouvelle tendance émerge avec force : la quête du carbone. De la vigne à la cave, les acteurs de l’industrie viticole cherchent à réduire leur empreinte carbone, prenant conscience des enjeux environnementaux actuels. La 32e édition des Entretiens du Beaujolais en a d’ailleurs fait son sujet principal, le 12 avril.

Le carbone : empreinte et leviers
Pour la vigne, ce sont les engrais et leur fabrication qui pèsent dans l’empreinte carbone. ©CF_IAR

Selon Émilie Adoir, ingénieure à l’IFV-Sicarex et responsable de la création de l’outil GES & Vit : « L’empreinte carbone est étroitement liée à l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) et à l’élévation de la température atmosphérique depuis la période préindustrielle. Le Giec a élaboré différents scénarios pour envisager l’avenir jusqu’en 2100. La stratégie française vise la neutralité carbone d’ici 2050, avec pour objectif une réduction de 84 % des émissions par rapport à 1990 et une augmentation de 50 % du stockage du carbone d’ici 2050. Cette approche met en avant la nécessité de réduire au maximum les émissions et de considérer le stockage du carbone comme une mesure de compensation, tout en reconnaissant les limites de la réversibilité du stockage, notamment en ce qui concerne les sols agricoles français ». Et l’empreinte carbone peut s’appliquer à divers éléments, comme les produits, les entreprises et les territoires. « Elle intègre à la fois les émissions directes, telles que les carburants et le protoxyde d’azote lié à la fertilisation, ainsi que les émissions indirectes, englobant le cycle de vie complet du produit ou de l’activité. L’empreinte carbone ne se limite pas uniquement aux émissions sur place, mais prend également en compte la variation de stock de carbone dans les sols et la biomasse. Les différents GES, tels que le CO2, le CH4 et le N2O, ont des impacts variés caractérisés par leur potentiel de réchauffement global (PRG), le protoxyde d’azote étant le plus réchauffant », éclaire Hugo Luzi, ingénieur en cycle de vie à l’IFV Sicarex.

Comment la calculer ?

Pour calculer son empreinte carbone, Jean-Yves Cahurel, responsable de l’enjeu transversal sol et des expérimentations viticoles, évoque le modèle AMG : un modèle de bilan unique développé par l’Inrae. « Initialement conçu pour les grandes cultures, ce modèle évalue l’évolution du stock de carbone d’une parcelle, sur le long terme, en fonction des pratiques agricoles. Adapté à la viticulture grâce à un projet impliquant plusieurs partenaires nationaux, dont l’IFV, l’Inrae, Agro Transfert et la chambre d’agriculture, le modèle prend en compte les flux de carbone entrants et sortants, notamment le bois de taille, les feuilles, les racines, l’enherbement et le compost, avec pour principale sortie la minéralisation du carbone dans le sol, influencée par des facteurs tels que l’argile, le calcaire et le pH. » Pour estimer le carbone, c’est une véritable approche comptable qui se met en place, avec des flux entrants et sortants, « associés à des facteurs d’émissions qui calculent l’empreinte carbone de chaque élément », précise Hugo Luzi. Des outils clé en main, comme le GES & Vit, facilitent ce processus. Le premier chantier consiste à dresser le bilan des données disponibles, à identifier les postes les plus émetteurs et à définir des objectifs de réduction, avec un suivi régulier pour évaluer les progrès.

Quatre postes émetteurs

Du poste le plus au moins émetteur, la filière vin se répartit comme ceci : le conditionnement qui représente 50 % des émissions de la filière ; la viticulture ; la distribution et la vinification. Pour chacun d’entre eux, il est possible d’améliorer son bilan. Au niveau du conditionnement, « c’est la fabrication des bouteilles qui pèse le plus lourd dans le bilan », précise Hugo Luzi. Pour réduire l’empreinte, il est possible de jouer sur le poids des bouteilles : « 100 g de verre en moins réduit de 134 à 148 gCO2e/ l de vin. L’effet couleur du verre est un levier, d’un verre blanc à vert, ce sont 60 à 120 gCO2e/l de vin d’économisés. D’une bouteille à un bag in box (BIB), ce sont 550 gCO2e/l de vin non émis. Et en réemployant les bouteilles, ce sont 280 gCO2e/l de vin non émis », précise Émilie Adoir.

Pour la vigne, ce sont les engrais et leur fabrication qui pèsent dans l’empreinte carbone. « À chaque fois qu’on réduit de 10 unités d’azote minéral, on économise 24 gCO2e/ l de vin. » L’enherbement en inter-rangs permet le stockage du carbone également. « Un gain de 0 à 60 gCO2e/l de vin », illustre Hugo Luzi grâce à une étude menée en Bourgogne. Il en est de même pour le retour des sarments au sol, avec un gain de 80 gCO2e/l de vin. Pour 100 m linéaire de haies, « ce sont plusieurs centaines de kg eq CO2/an/100 ml. Mais ces valeurs ne sont valables que si elles sont maintenues dans le temps, car si on arrache la haie, le carbone retourne dans l’atmosphère ».

Concernant la distribution, les émissions dépendent du mode de transport, de la masse transportée et de la distance. Il est donc moins aisé de formuler des leviers généraux de réduction.

Enfin, côté cave et vinification, « la fabrication du matériel de vinification représente 37 % de sa part, et la consommation d’énergie 27 % », détaille Émilie Adoir. Que ce soit la mutualisation du matériel de vinification, l’installation d’une pompe à chaleur qui présente le meilleur rendement énergétique ou encore l’isolation thermique, plusieurs leviers peuvent être trouvés en fonction des situations de chacun.

Charlotte Favarel

ASSISES DE L’AGROÉCOLOGIE

Gérer le carbone dans les sols

Chercheuse au centre de recherche et d’enseignement en géosciences de l’environnement d’Aix-en-Provence, Isabelle Basile-Doelsch a une formation de géologue. Pour étudier l’impact des pratiques agricoles sur les stocks de carbone, elle a présenté une expérience comparant les sols forestiers et les sols de vignobles, révélant une diminution significative de la matière organique dans ce dernier. « Depuis 12 000 ans, les sols ont perdu 116 à 135 Gt de carbone. » En ce qui concerne les pratiques de stockage du carbone, la chercheuse a identifié trois approches efficaces : l’enherbement permanent, l’agroforesterie et le remplacement des zones de fauche par des pâturages. De plus, elle a souligné l’importance des isotopes du compost pour suivre la quantité de carbone provenant des fertilisants et améliorer ainsi les pratiques de gestion des sols.

Quelle gestion des sols ?

Jean-Yves Cahurel, responsable des expérimentations viticoles à l’IFV-Sicarex a mis en lumière les avantages de la matière organique (MO) pour la gestion des sols et le stockage du carbone. « Elle agit sur les propriétés chimiques du sol en limitant les toxicités, en libérant des éléments comme l’azote et en influençant la capacité d’échange cationique (CEC) du sol, permettant de retenir et de relarguer les éléments nécessaires aux plantes. Elle joue également un rôle dans la qualité de l’eau et le stockage du carbone. Sur le plan physique, la MO contribue à la rétention d’eau, à la structure et à la stabilité, ainsi qu’à la porosité du sol. De plus, la biologie du sol est influencée par le carbone contenu dans la MO, nourrissant les micro-organismes. » Différents scénarios ont été envisagés dans le Beaujolais, prenant en compte les types de sols et les pratiques agricoles (sol granitique, de piémont, pierres bleues et argilo-calcaire). Les résultats montrent que les amendements organiques et les couverts végétaux sont des leviers importants pour améliorer la qualité des sols et réduire l’empreinte carbone. Le responsable a souligné « l’importance du carbone dans la qualité des sols. Sur nos sols acides il ne faut pas oublier le chaulage pour remonter le pH et jouer sur la matière organique, ce sont les deux piliers de la fertilisation », a-t-il conclu.

C. F.