VINS ET SPIRITUEUX
« Faire communiquer les experts de la dégustation et les consommateurs entre eux »

Chercheur en analyse sensorielle pour la Sicarex Beaujolais, Méven Othéguy a dédié sa thèse aux méthodes de dégustation menées par les experts du vin. Selon lui, la dégustation traditionnelle : œil, nez et bouche peut parfois éloigner les consommateurs du monde viticole.

« Faire communiquer les experts de la dégustation et les consommateurs entre eux »
Dans son étude, Méven Otheguy souligne l’intérêt de la dégustation géo-sensorielle pour rapprocher les experts du vin et les consommateurs.

Pourquoi avoir fait de la dégustation le sujet de votre thèse ?

Méven Otheguy : « Ma thèse portait sur la question suivante : comment les différents experts, que sont les oenologues, les sommeliers et les journalistes, appréhendent-ils la dégustation ? J’ai ensuite questionné leurs pratiques de la dégustation, les objectifs recherchés, l’organisation, ainsi que les verres et les mots utilisés. L’idée n’est pas de remettre en cause la dégustation professionnelle qui est normée sur le modèle oeil, nez, puis bouche depuis une quarantaine d’années, mais de se demander s’il s’agit de la seule méthode existante. »

Quel est le lien entre le consommateur et la dégustation professionnelle ?

  1. O. : « Lors des dégustations professionnelles, les consommateurs sont un peu perdus. Ils ont souvent peur de ce qu’ils vont dire sur les vins. Pour nous, l’objectif est de faire communiquer les experts et les consommateurs entre eux, puisqu’in fine, ce sont ces derniers qui vont décider d’acheter le vin ou non. Si le consommateur a une expérience qui le met mal à l’aise, il sera, de fait, moins enclin à retourner vers le produit. »

« Se focaliser davantage sur ce qu’il y a en bouche, par rapport au nez »

Le vin décrit par les experts serait donc trop élitiste ?

  1. O. : « La pensée selon laquelle le vin est quelque chose de trop complexe ressort beaucoup dans la bouche des consommateurs. En revanche, les nouveaux experts du vin ont bien souvent des philosophies moins classiques et sont donc ouverts à de nouvelles méthodes de dégustation. Le but est alors de retourner le script que nous connaissons aujourd’hui et de se focaliser davantage sur ce qu’il y a en bouche, par rapport au nez. Le second objectif est d’évoquer les émotions ressenties lors de la dégustation, puis de séquencer par type de sens, en terminant par la vue. »

Comment fonctionnent ces nouvelles techniques de dégustation ?

  1. O. : « La dégustation par l’émotion permet aux consommateurs d’exprimer avec des mots ou des émoticônes1 ce qu’ils ressentent et de créer ainsi une interaction avec les autres dégustateurs. Aujourd’hui encore, le fait qu’une personne dise que le vin sent la fraise, tandis que personne d’autre ne partage cette sensation, peut susciter une impression d’exclusion. Il s’agit également de ne pas forcément débattre du millésime, du cépage ou du domaine, mais de parler des ressentis, comme la joie ou la tristesse, et de savoir si le consommateur a envie de reboire ce vin. Ce premier questionnement permet aux consommateurs de s’exprimer en confiance et d’initier, ensuite, les aspects descriptifs et analytiques avec les experts. Quant à la dégustation avec des textures, l’objectif est de mettre le vin en bouche tout en ayant des morceaux de tissu à disposition, afin de faire un parallèle entre les deux. »

« Il existe un lien important entre les émotions et le consentement à payer un produit »

Pourquoi utiliser des émoticônes ?

  1. O. : « C’est parfois difficile de verbaliser ses émotions. Or, les émoticônes sont dorénavant utilisés partout : dans les échanges de mail, sur les réseaux sociaux, par SMS... Le consommateur peut en utiliser plusieurs et de façon très rapide. Dans une étude scientifique menée en 2023 dans les secteurs de l’agroalimentaire et du cosmétique, les chercheurs ont constaté que plus les émoticônes « heureux » ou « coeur » étaient utilisés par les consommateurs, plus le prix qu’ils étaient prêts à mettre pour le produit augmentait. Il existe donc un lien important entre les émotions et le consentement à payer un produit. »

Ces méthodes sont-elles déjà utilisées ?

  1. O. : « Certains domaines qui pro-posent des parcours oenotouristiques essaient déjà de se démarquer avec ces méthodes. En formation, je n’en ai, en revanche, aucune idée. Il faut dire que ces méthodes ne sont pas encore officielles, puisqu’elles sont souvent jugées marginales. Il n’existe d’ailleurs pas de publications à leur sujet. Ce changement n’est pourtant pas révolutionnaire. Je prends souvent l’exemple des dégustations au verre noir. Ce processus a certainement été complexe à faire accepter au début. Pourtant, tous les projets de recherche se déroulent dorénavant au verre noir et certains domaines en possèdent. Il va donc falloir plusieurs années de travail afin de faire accepter l’existence de ces nouvelles méthodes de dégustation. »

Propos recueillis par Léa Rochon

1. Une émoticône est une petite représentation graphique stylisée et symbolique d’une émotion, d’un état d’esprit, d’un ressenti ou d’une ambiance, utilisée dans un message écrit et informatisé