RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT
Prism, le pôle de ressources et d’innovations pour les systèmes laitiers de montagne

Depuis près de 30 ans, le Centre d’élevage de Poisy (Haute-Savoie) conduit de nombreux programmes techniques et projets expérimentaux au service des professionnels laitiers de montagne et de piémont. Avec l’installation de l’association Prism, ce pôle de R&D prend une nouvelle dimension pour rayonner sur tout l’Est de la France.

Prism, le pôle de ressources et d’innovations pour les systèmes laitiers de montagne
Quatre ateliers commentés présentaient les huit principaux projets et programmes de R&D suivis au Centre d’élevage de Poisy dans le domaine des systèmes laitiers de montagne et de piémont. © copyright

Depuis 1995, le Centre d’élevage de Poisy (Haute-Savoie) met en oeuvre des actions de recherche & développement, aussi bien dans le cadre de programmes publics qu’en réponse à des initiatives privées. En 2022, c’est un partenariat innovant qui s’est mis en place associant l’Idele (Institut de l’élevage) et les chambres régionales d’agriculture d’Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) et de Bourgogne-Franche-Comté (BFC). Ce travail en commun a abouti, le 20 octobre dernier, à la signature officielle des statuts de l’association Prism (pôle de ressources et d’innovation pour les systèmes laitiers de montagne) par Fabrice Pannekoucke (Région Aura), Cédric Laboret (président CA Savoie Mont-Blanc), Florent Belleville (président CE Poisy), Martial Marguet (président Idele) et Gilbert Guignand (président CRA Aura). Ce partenariat positionne le Centre d’élevage comme un site d’innovations au service des professionnels des filières laitières de montagne et de piémont rayonnant sur l’ensemble de l’Est de la France, en réseau étroit avec la ferme expérimentale de Jalogny en Saône-et-Loire dédiée aux filières bovin viande.

Une ferme expérimentale pour tout l’Est de la France

Gaëtan Richard, producteur de lait dans le Valromey et représentant la chambre d’agriculture de l’Ain, a été élu président de Prism. Il a détaillé les ambitions qui guident l’association : d’une part structurer des programmes mutualisés de recherche et développement qui répondent aux enjeux actuels et à venir des filières laitières à dominante herbagère en zone de montagne et d’autre part, produire des références et contribuer à leur diffusion au sein des centres de formation de la région. « Notre rôle est d’accompagner, par l’innovation, les mutations en cours de l’agriculture montagnarde en testant de nouvelles techniques capables d’amener des solutions concrètes pour les producteurs sur le terrain », a-t-il présenté. L’association se veut ouverte à l’ensemble des partenaires impliqués dans la R&D en bovins lait pour enrichir les échanges et les projets. Prism souhaite également s’appuyer sur les groupes techniques régionaux et nationaux. Le 20 octobre, l’équipe pédagogique du Centre d’élevage s’est mobilisée pour exposer une sélection des huit principaux projets en cours et prévus. Plusieurs ateliers commentés ont permis de se rendre compte de la diversité des thématiques de recherche, en prise directe avec les deux principales problématiques agricoles du moment : l’adaptation au nouveau climat et la multiperformance des systèmes. Historiquement, les expérimentations ont débuté au milieu des années 1990 à Poisy avec les premiers travaux sur la qualité du lait cru (système mammaire, tarissement…) et se sont poursuivies tout au long des années 2000 sur la santé des animaux, le logement, la reproduction, les nouvelles méthodes d’observation des vaches. À partir de 2012, l’alimentation des troupeaux et l’autonomie protéique sont devenues un thème central : test du soja en expeller et en graine crue, des méteils et optimisation des pratiques de pâturage. Et depuis 2019, la résilience au changement climatique s’est invitée : lien entre génétique raciale et émissions de méthane, plateforme de prairies multi-espèces, analyse fine des consommations d’eau de l’atelier élevage de la ferme et
récemment, prototype de station agri-photovoltaïque.

Face au changement climatique, retrouver l’autonomie fourragère

• Étude sur l’introduction de la luzerne pâturée dans la ration des vaches laitières.
Pour réduire le coût de l’alimentation par apport direct de protéines locales, une étude sur deux ans (2020-2022) a montré qu’un pâturage encadré de la luzerne à hauteur d’environ 20-25 % de la ration est sans risque sanitaire pour le troupeau bovin. Avec des conditions strictes à respecter : un temps limité par jour, ne pas laisser en parcours libre la nuit et c’est une pratique déconseillée lorsque la panse des animaux est vide.

• Tester de nouvelles espèces fourragères estivales compatibles avec les filières AOP-IGP.
Face aux sécheresses récurrentes, la culture de nouvelles espèces fourragères estivales devient une nécessité. Elles doivent bien sûr être compatibles avec le lien au terroir défini par chaque filière de fromages AOP-IGP. Le projet Festig qui a débuté cette année vise à accompagner ces filières dans la définition d’un nouveau cadre d’utilisation. L’expérimentation s’attache à caractériser les effets potentiels de certaines de ces espèces sur la qualité des produits. Testée à Poisy en 2023 par exemple, l’alimentation à base de 50 % de chicorée dans la ration d’un lot de vaches, jusqu’à la transformation en tomme de Savoie IGP, avec analyses fines du lait et jury de consommateurs. Le sorgho sera testé en 2024 en caprins à la station du Pradel (Ardèche).

• Prairies multi-espèces : améliorer les mélanges locaux pour mieux résister aux aléas climatiques.
Le rendement des mélanges prairiaux habituellement semés en Auvergne-Rhône-Alpes (à base de RGA et trèfle blanc) souffre de plus en plus des canicules, impactant l’autonomie des fermes. Faire évoluer ces compositions en introduisant des espèces résistantes au sec et riches en protéines est un levier prometteur d’adaptation. Le projet PME KIDURE-Secufourrages testera la diversification des mélanges. L’objectif est de parvenir, à terme, à doter les conseillers fourrages d’outils de conseil aux éleveurs, capables de créer des compositions prairiales adaptées à chaque contexte. À Poisy, les parcelles suivies sont semées avec des mélanges incorporant jusqu’à 14 espèces différentes. En 2021 et 2022, ces prairies temporaires ont donné près de 40 % de volume supplémentaire par rapport aux parcelles témoin contenant seulement deux espèces.

• Développer l’autonomie protéique des élevages ruminants.
Limiter au maximum la dépendance aux coûteux achats de tourteaux et aux importations de protéines extérieures est l’objectif du programme Aura Protéines. Cela passe par le développement de la production de protéines locales. À Poisy, une plateforme implantée en septembre 2021 de dix mélanges de prairies multi-espèces est suivie sur les critères rendements, valeurs alimentaires et évolution de la flore sur une longue période.

Évaluer et construire des systèmes multiperformants

• Trouver des leviers de réduction des consommations d’eau dans les élevages de ruminants.
Dans le cadre du projet CerC’eau, la ferme de Poisy a été équipée de six compteurs pour identifier précisément les postes de consommation, trouver de nouveaux leviers d’économies et construire des modèles prédictifs. Étudier les alternatives à l’eau du réseau pour, notamment, s’affranchir des restrictions d’usage en cas d’arrêté sécheresse, fait aussi partie du programme recherchant l’autonomie. Le Centre d’élevage est site pilote pour tester la faisabilité sanitaire des forages, du recyclage des eaux de lavage et la récupération des eaux de pluie stockée en cuve enterrée.

• Évaluer la capacité de stockage du carbone dans les prairies des systèmes agropastoraux.
L’enjeu sociétal du changement climatique incite à travailler sur la contribution des systèmes agropastoraux alpins au stockage du carbone dans les sols, d’évaluer l’effet des pratiques agricoles dans le temps et de prévoir les évolutions futures en mettant au point un outil de modélisation. Sept parcelles du Centre d’élevage ont été sélectionnées pour leur long historique de plus de vingt-cinq ans d’analyses de sol et d’enregistrements. Elles vont être évaluées dans le cadre du programme Décarbon’Alpes. Le site de Poisy intègre aussi l’observatoire régional et national des sols.

• Réduire l’empreinte environnementale nette des exploitations d’élevage.
Le Centre d’élevage a passé en 2022 son bilan carbone inclus dans le diagnostic Cap’2ER. L’exploitation laitière affiche un équivalent carbone de 0,91 kg par litre de lait produit (la moyenne des élevages de la région est à 0,80 kg/litre). C’est sans doute l’effet productivité de cette ferme à vocation avant tout pédagogique et dont le score est pénalisé par l’importance de l’atelier génisses, animaux logiquement considérés « improductifs » dans le calcul. Cet audit donne une base pour progresser dans les essais de pratiques d’élevage plus sobres en gaz à effet de serre et en mesurer les résultats.

• Explorer la compatibilité entre l’agrivoltaïsme et l’activité d’élevage.
Le dernier axe de recherche en projet pour 2024 à Poisy est d’installer un parc photovoltaïque au sol, en plus des 1 000 m2 de panneaux déjà présents depuis des années sur le toit de la stabulation. L’idée est d’évaluer la compatibilité entre production énergétique et agricole. Plusieurs panneaux sur mâts de différentes hauteurs (de 1,60 m à 2,20 m) vont être disposés sur une parcelle pour vérifier la cohabitation avec le passage des engins de fenaison, mesurer l’effet d’ombrage sur le comportement des animaux l’été et calculer la production espérée d’électricité et de fourrages.

Tous ces projets et programmes bénéficient des financements soit de l’État à travers le Plan de relance, soit de la Région Aura via le Pepit ou encore du Comité de massif des Alpes.

B. C.

Le Centre d’élevage de Poisy en bref

• Une équipe pluridisciplinaire d’une dizaine de formateurs pour 128 apprenants cette année scolaire 2023-2024 (un record).
• Un rayonnement sur les régions Aura et BFC (près de 40 % des apprenants originaires de Franche-Comté).
• Une ferme pédagogique de 145 ha d’herbe et de cultures (maïs, soja, orge…) et un troupeau de 90 VL pour 550 000 litres de lait livrés en zone IGP Savoie à la coopérative Fermiers Savoyards.
• Un atelier de génisses tarines.
• Une pépinière de chevrettes de Savoie.
• Une ferme d’innovation et un pôle de R&D sur l’élevage laitier de montagne (Prism), doté d’une gouvernance partagée entre les chambres d’agriculture Aura-BFC et l’Idele.