AGRI BIO
Les couverts végétaux pour s’adapter au changement climatique

L’ADABio1 anime deux groupes de travail en viticulture (un GIEE et un groupe 30 000 Ecophyto). Pour faire découvrir d’autres pratiques et favoriser l’interconnaissance, des voyages d’études sont organisés dans des domaines viticoles conduits en agriculture biologique. Visite au domaine de Veronnet à Serrières-en-Chautagne (Savoie), chez Corentin Houillon.

Les couverts végétaux pour s’adapter au changement climatique
Test bêche et observation du chevelu racinaire. ©ADABio-J-Vinay

Corentin Houillon a repris en 2020 un domaine de cinq hectares, composé de cinq cépages répartis équitablement entre rouges et blancs. Avant de s’installer en Chautagne, Corentin Houillon a démarré comme chef de culture dans un domaine en Suisse en 2014, où il participait à des programmes d’essais sur les engrais verts avec le FiBL2 et Prométerre3. Il explique que, depuis, sa vision a changé. Il ne pense plus ses pratiques comme des « engrais verts pour amender et apporter de l’azote à la vigne directement, mais plutôt comme des couverts qui finiront par restaurer et nourrir le sol qui à son tour nourrira la vigne ». La Chautagne étant un territoire sec, avec des sols très drainants (sablo-limoneux), du quartz, et peu de précipitations, il était impensable pour lui d’avoir des sols nus. Son domaine est à 100 % enherbé. Semé avec des engrais verts (EV) un rang sur deux, sans rotation de rang, afin de ne pas perdre les bénéfices acquis. Les sarments sont disposés et broyés dans les rangs non semés. À partir de 2024, il sèmera tous les rangs. Il commande les différentes semences biologiques à la coopérative locale, et fait lui-même son mélange à la bétonnière. Il enrobe ses semences avec du thé de compost oxygéné (TCO), fait par ses soins, afin d’assurer une meilleure levée des graines. Le TCO est un liquide issu du processus de compostage riche en matières organiques et micro-organismes. Il a des effets sur la nutrition des plantes en optimisant l’absorption des nutriments et la croissance des cultures. Il relance la vie microbienne et permet une décomposition active des résidus végétaux par les micro-organismes. Attention, le TCO n’est pas compatible avec les traitements !

Un itinéraire technique simple et efficace

L’itinéraire technique « engrais verts » est simple et efficace : le semis s’effectue après les vendanges ; puis plus rien jusqu’à fin avril-mai ; une destruction au rolofaca ; et un nouveau passage au rolofaca avant les vendanges. Cet itinéraire technique implique donc trois à quatre passages maximums dans les rangs semés. Récemment équipé d’un intercep AEDES avec une brosse de fils en silicone qui fauche l’herbe et n’abîme pas les ceps, le viticulteur ne travaille plus le sol sur le rang. « J’ai d’abord choisi des espèces en fonction de mes objectifs ou contraintes : résistance au gel, type de racine, couverture plus ou moins importante, apport d’azote etc… Puis j’observe ce qui pousse ou pas. Je vais arrêter la fèverole et la phacélie ! En 2022, j’ai semé un mélange de vesce, fèverole, deux types de trèfles, seigle, moutarde et choux chinois. Pour 60 kg/ha, cela revient à 160 €/ha. C’est moins cher si on fait le mélange soi-même à la bétonnière. Et il faut prévoir de surdoser les densités recommandées de 20 à 50 % », détaille Corentin Houillon. Grâce au test bêche, il a été possible d’observer directement les effets des couverts. « Il y a une évolution notable de la décompaction et la restructuration des sols dans les rangs semés. Le sol y est plus poreux, plus aéré, on observe un bon tissu racinaire sur au moins 30 cm, beaucoup de vers de terre, la terre est légère et sent bon. Mais si la semelle est trop importante au départ, il peut être nécessaire de passer un décompacteur avant de mettre en place les premiers couverts. Les racines, même celles des crucifères, ne passeront pas une semelle très compacte ou alors sur du très long terme… », explique le viticulteur. D’après les analyses faites chaque année, le taux de matière organique est bien remonté. Les couverts permettent aussi une meilleure rétention d’eau et la captation de la rosée en période de sécheresse. « L’herbe capte la rosée, cela peut aller jusqu’à 1 mm par jour. Sur 30 jours, ça fait 30 mm. C’est toujours mieux que zéro en sol nu ! En 2022, les complants qui étaient dans l’herbe ont mieux résisté que ceux qui avaient été piochés », détaille-t-il.

Fertilisation et concurrence

Corentin Houillon souligne qu’une plante qui restitue beaucoup d’un élément, en consomme aussi au cours de son cycle. Il faut donc penser à compenser. « Une plante qui ramène du potassium va en consommer avant. La vigne a besoin d’azote, de phosphore et de potassium (N-P-K) mais aussi de soufre (S), entre 30 et 40 unités de S/ha/an. Je fais des apports de fumeterres, et de soufre sous forme de Patenkali ou de Kiesérite, plutôt au printemps pour un apport rapide, mais pas avant une pluie car tout serait lessivé, et du Sferosol à l’automne », décrit-il. Du côté des rendements, cela se passe plutôt bien puisqu’ils ont augmenté depuis la mise en place de toutes ces nouvelles pratiques. Le viticulteur a également partagé son mode de préparation d’extrait fermenté d’osier, qu’il venait de mettre en fermentation. Il l’associe à tous ses traitements, pour ses propriétés élicitrices et de stimulateur de croissance.

Julie Vinay, conseillère bio en viticulture et Ppam à l’ADABio

1. Groupement des agriculteurs bio de l’Ain, l’Isère, la Savoie et la Haute-Savoie.
2. Institut de recherche spécialisé en agriculture biologique (Suisse, Allemagne, France, Autriche et Europe).
3. Association vaudoise de promotion des métiers de la terre.