EXPÉRIMENTATION
Projet Gentle Dairy : du lait avec des chèvres non gestantes : oui, c’est possible !

Induire naturellement une lactation chez des chèvres non gestantes, c’est possible ! C’est en tout cas ce qu’a démontré le projet Lactodouce (2021-2023), initié par l’institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL). Pour aller plus loin dans la recherche, l’institut lance le programme Gentle Dairy, afin de comprendre les mécanismes induisant cette lactation. Explications.

Projet Gentle Dairy : du lait avec des chèvres non gestantes : oui, c’est possible !
La pratique d’induction naturelle de lait chez des chèvres non gestantes peut permettre, à terme, de diminuer le nombre de chevreaux – mal valorisés – tout en améliorant le bien-être animal. ©DR
 

« La production laitière de petits ruminants prend une importance croissante dans le contexte agricole européen. Pour être rentable, les femelles doivent mettre bas chaque année. Mais les gestations répétées conduisent à l’épuisement des animaux, entraînant des réformes précoces après six à sept années de production », fait remarquer le FiBL France, institut de recherche de l’agriculture biologique. En parallèle, la filière caprine est souvent mise à mal par sa difficulté à valoriser ses chevreaux. Ainsi, l’idée du projet de recherche était de savoir comment diminuer la production de chevreaux sans entraîner une perte de production laitière, dans le plus grand respect du bien-être animal. C’est dans ce contexte que le FiBL France a initié entre 2021 et 2023 le projet Lactodouce, visant à montrer que des chèvres non gestantes étaient capables de produire du lait « de qualité similaire à une lactation classique après quelques semaines de lactation », par une stimulation naturelle des trayons sans gestation au préalable. « Le projet Lactodouce s’est déroulé au sein de six élevages, pour un total de 28 chèvres vides. 61 % des chèvres non gestantes stimulées ont démarré une lactation. Le niveau de production est 30 % plus faible que celui des autres chèvres du troupeau, mais les chèvres stimulées finissent par atteindre un niveau similaire de production de lait cinq mois après le début des mises bas », indique Caroline Constancis, responsable de travaux de recherche en France au FiBL. Pour rappel, la stimulation manuelle des trayons entraîne la sécrétion de la prolactine et favorise donc la lactogénèse. De plus, l’expérimentation a permis de montrer qu’il n’existait pas de différences significatives en termes de qualité du lait, avec des taux butyreux (teneur en matières grasses) et des taux protéiques (taux de matières azotées totales) similaires.

Mettre l’accent sur le bien-être animal

Le 19 avril dernier, le FiBL a invité éleveurs et professionnels de la filière sur l’exploitation d’Anne-Laure Vautrin, éleveuse caprine à la tête d’un troupeau de 40 bêtes, sur la commune d’Aleyrac (Drôme). L’occasion de présenter le lancement du projet Gentle Dairy, suite du programme prometteur Lactodouce. « Pour donner suite aux premiers résultats enrichissants, nous avons souhaité aller plus loin pour essayer d’étudier plus en détail les facteurs et mécanismes permettant d’induire naturellement la lactation », poursuit Caroline Constancis. Ainsi, l’essai permettra de déterminer si l’induction de la lactation est dépendante de la race, du niveau de productivité des chèvres, du nombre de gestations, de la présence de chevreaux dans l’environnement, etc.

Ce nouveau projet (2023-2024) visera donc à évaluer les facteurs et stimuli permettant l’induction de la lactation sans gestation. Mis en place au sein de douze élevages de Drôme et d’Ardèche, le projet permettra également d’évaluer le bien-être de l’éleveur et des animaux, avec le soutien financier de l’organisation mondiale de protection des animaux vivant sous influence humaine directe, Quatre Pattes.

Le protocole expérimental oblige les douze éleveurs recrutés à garder douze chèvres vides de race saanen ou alpine au sein de leur troupeau, afin d’étudier leur faculté à produire de façon naturelle du lait. Au-delà du suivi des paramètres d’apparition d’une lactation chez les chèvres non gestantes (développement du pis, changements hormonaux via des prises de sang, lactation), une étude autour du bien-être animal sera réalisée afin d’évaluer si le bien-être des chèvres s’améliore lors d’une production laitière sans gestation. Le projet Gentle Dairy s’articulera également par le biais d’ateliers organisés en France, Suisse, Autriche et Allemagne afin de diffuser les premiers résultats de recherche et d’échanger sur le sujet à grande échelle. 

Amandine Priolet

Caroline Constancis, responsable de travaux de recherche, Laurène Fito, collaboratrice scientifique, Felix Heckendorn, président du FiBL France et chercheur en santé animale, et Anne-Laure Vautrin, éleveuse caprine dans la Drôme. ©DR
ANNE-LAURE VAUTRIN / “Important de laisser le choix à l’éleveur”
Anne-Laure Vautrin, à la tête d’un troupeau d’une quarantaine de chèvres sur la commune d’Aleyrac, dans la Drôme, participe au projet Gentle Dairy. ©DR

ANNE-LAURE VAUTRIN / “Important de laisser le choix à l’éleveur”

Eleveuse caprine au sein de La Ferme Intergalactique à Aleyrac (Drôme), Anne-Laure Vautrin élève depuis janvier 2020 un troupeau d’une quarantaine de chèvres, majoritairement de race alpine. Elle dispose, pour l’alimentation de son cheptel, de 14 hectares (ha) de prairies permanentes et d’une cinquantaine d’ha de bois. L’agricultrice transforme elle-même le lait de ses chèvres en fromages qu’elle vend uniquement sur les marchés locaux (Taulignan, Dieulefit, Le Poët-Laval, etc.) et à la ferme. Son installation, l’année de l’apparition de la Covid-19, lui a rapidement montré les difficultés de trouver des débouchés pour vendre ses chevreaux. Déjà adepte de la lactation longue, elle n’a pas hésité à répondre en 2021 à la demande du FiBL pour s’engager dans le projet Lactodouce et poursuivre cette année encore dans le projet Gentle Dairy. « Cette pratique d’induction naturelle par une stimulation manuelle des trayons des chèvres non gestantes - ou pas en état de se reproduire -, s’est avérée intéressante. Cette année, 50 % de mon troupeau sera conduit en lactation induite, et 50 % en gestation », explique l’éleveuse. Avant de poursuivre : « Il est important, selon moi, de laisser le choix à l’éleveur de valoriser ou non sa viande de chevreaux. Si nous n’avons pas, ou peu, de débouchés, cela évite toujours de devoir prendre le chemin de l’abattoir… », souligne-t-elle. D’autant plus qu’il n’est pas question de stopper définitivement la reproduction, nécessaire pour le renouvellement des troupeaux. 

A.P.