GESTION DE L'EAU
L'irrigation, un enjeu de taille pour l'agriculture face à l'évolution du climat

Propos recueillis par Alison Pelotier
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Les rapports des experts du climat de l’ONU (Giec), dont le dernier a été dévoilé le lundi 4 avril, alertent sur l’avancement du changement climatique et le réchauffement de la planète. Dans tous les scénarios envisagés, du plus optimiste au plus pessimiste, une hausse minimum de la température mondiale de 1,5 °C est annoncée autour de 2030. Parmi les solutions suggérées, une meilleure gestion de l’eau et de l’irrigation figure parmi les priorités à intégrer dans les politiques publiques. Enjeux, analyse et solutions avec Serge Zaka, chasseur d’orages et agro-climatologue pour l’entreprise ITK.

L'irrigation, un enjeu de taille pour l'agriculture face à l'évolution du climat
Avec l’avancement du changement climatique et le réchauffement de la planète, une meilleure gestion de l’eau et de l’irrigation figure parmi les priorités à intégrer dans les politiques publiques.

Malgré l’avis des climato-sceptiques, le réchauffement climatique est bien réel. La planète a gagné environ 1,1 °C depuis l’ère préindustrielle. Quelle est votre analyse des données scientifiques publiées par le Giec ?

Serge Zaka : « Le premier rapport du Giec qui porte sur l’évolution du climat est sorti il y a presque un an. Nous avons eu le temps de l’analyser. En traçant une ligne Bordeaux-Lyon, sur l’année, le cumul annuel des précipitations est plus important au Nord qu’au Sud. En faisant la moyenne nationale, il reste stable. En revanche, depuis 1959, nous constatons une augmentation de la sécheresse en surface de 5 à 12 % en moyenne en France, avec des données équivalentes pour la région Auvergne Rhône-Alpes. Cette situation s’explique simplement par le fait que les précipitations ne tombent plus au même moment, elles s’intensifient en hiver et se raréfient en été. Les experts nous disent même que la surface en sécheresse devrait atteindre 20 à 30 % d’ici 2050 et dépasser les 30 % en 2100. »

L’agriculture va subir de plein fouet cette baisse des précipitations qui intervient en été. Quel impact aura-t-elle sur les fourrages ?

S.Z. : « Pendant la période de culture, il va y avoir une baisse drastique des précipitations. Tellement drastique que dans le Sud de l’Espagne, on parle déjà de désertification. D’ici la fin du siècle, elle frappera aux portes du Sud de la France. Dans un climat futur, où il pleuvra plus en hiver, le pic de production printanière de fourrage va augmenter. En été, lorsqu’il n’y aura plus d’eau et qu’il fera beaucoup plus chaud, la production diminuera. Les éleveurs vont devoir changer leurs habitudes, stocker davantage de fourrage au printemps pour le déstocker en été. »

Les retenues collinaires représentent une solution de stockage pour l’agriculture mais ne font pas l’unanimité. Leur coût et la réglementation sont aussi des points de blocage. Quelle est votre position sur le sujet ?

S.Z. : « Je sais très bien que l’agriculture ne produira rien s’il n’y a pas d’eau. Investir dans des réserves en eau devient nécessaire. Il y a plusieurs façons de le faire : via des bassines ou des retenues collinaires. Je ne suis pas pour les bassines qui viennent récupérer l’eau par des pompes dans les nappes phréatiques. Elles ne sont pas efficaces puisqu’environ 40 % de l’eau stockée s’évapore. L’idéal serait de concevoir des bassines connectées capables de récupérer l’eau des fleuves en surface en période de surcharge. C’est ce qui est censé se développer suite au Varenne de l’eau. Quant aux retenues collinaires, elles inondent certes les territoires sur le coup, mais après quelques années, on observe une nouvelle biodiversité aquatique, à la différence des bassines qui artificialisent les milieux. Nous avons même quelques exemples de retenues collinaires devenues des lieux de passage pour les oiseaux migratoires. En parallèle, il faut que les pratiques agricoles changent, en stockant davantage de carbone dans le sol, en revenant à une agriculture de conservation des sols (ACS) et en intégrant plus de légumineuses dans les rotations. Un sol vivant bénéficie d’une plus grande réserve utile en eau. Ces quelques jours d’avance deviennent très importants dans un contexte de changement climatique. Tout cela associé à une irrigation intelligente et raisonnée représente des leviers pour préserver la ressource en eau tout en continuant de produire. »

Dans ce contexte, la sélection et la recherche variétales sont indispensables. Cela demande des moyens mais aussi une très grande adaptation de la part des agriculteurs…

S.Z. : « Il y a un vrai enjeu sur les nouvelles espèces comme le sorgho, peu implanté en France. Dans un milieu sec, il produit environ deux fois plus de matière sèche que le maïs, à quantité égale d’eau. Le millet est aussi une bonne alternative et ces filières d’avenir doivent bénéficier du soutien de l’État. D’autant plus que l’on sait que le climat évolue plus vite que la sélection génétique et qu’il faut à peu près sept ans pour commercialiser une nouvelle variété. En arboriculture et viticulture, certaines, plus résistantes à la sécheresse, se cultivent déjà dans le Sud de l’Europe. Ces nouvelles variétés posent un autre débat : celui du goût modifié des aliments, notamment des vins. Je crains que d’ici quelques années, nous n’arrivions plus à respecter le cahier des charges des AOC, en raison d’une augmentation du degré d’alcool déjà constatée par les viticulteurs. Il me paraît nécessaire de les faire évoluer pour ne pas perdre ces appellations. »

Quels rôles jouent aujourd’hui les outils d’aide à la décision (OAD) dans l’amélioration de l’irrigation ?

S.Z. : « Aujourd’hui grâce aux OAD basés sur la modélisation des connaissances scientifiques, on est capable de connaître le développement d’une plante ainsi que son statut hydrique sans forcément aller dans le champ pour vérifier. Ces outils prennent aussi en compte les données météo pour permettre à l’agriculteur de savoir quelle quantité d’eau apporter et à quel moment le faire, suivant la réserve hydrique disponible. Être équipé d’une station météo devient indispensable pour ajuster au mieux ses irrigations. Conscient de l’enjeu, le gouvernement finance 40 % de l’achat, dans le cadre du plan France Relance. »