Les forêts de la région souffrent du changement climatique. Face à cette problématique qui sévit depuis plusieurs années, des moyens d'adaptation sont mis en œuvre pour les préserver.

Adapter la gestion forestière au changement climatique
L’ONF Auvergne-Rhône-Alpes a organisé une journée de sensibilisation aux effets du réchauffement climatique au coeur de la forêt de Cormaranche-en-Bugey, dans l’Ain.

« Le Bugey est probablement le massif le plus impacté par le changement climatique en région Auvergne Rhône-Alpes (Aura), explique Nicolas Karr, directeur territorial à l’ONF. Depuis plusieurs années, on a des dépérissements, les arbres sèchent. » Sur le plateau d’Hauteville (commune de l’Ain), 90 % des forêts sont composées de hêtres, de sapins et d’épicéas. Ces deux dernières essences sont particulièrement vulnérables aux grosses chaleurs, mais aussi à l’attaque de scolytes : une des conséquences du réchauffement climatique. « Quand l’arbre est soumis au réchauffement climatique, il a tendance à avoir de plus en plus de mal à réagir aux attaques d’insectes », explique Nicolas Micoud, responsable de l’unité Bugey au sein de l’ONF. « Au lieu d’avoir une, voire deux générations d’insectes dans l’année, on en a trois voire quatre, car les périodes de chaud sont plus longues. Un arbre qui est piqué, c’est 3 000 insectes qui vont venir pondre et 30 000 qui vont sortir », continue le responsable. Dans l’Ain, cette problématique concerne une grande partie des résineux sur les massifs du Bugey, du Haut-Bugey, et du Pays de Gex.

28 feux recensés en 2022

L’une des conséquences majeures du réchauffement climatique sont les incendies qui touchent de plus en plus de forêts françaises. En 2022, la région Aura a été touchée par 28 feux de plus de 10 ha, pour un total de 2 420 ha brûlés. Pour prévenir ce risque, l’ONF Aura a mis en place de nouvelles actions préventives. Un renforcement du dispositif de patrouilles de surveillance et de contrôle a ainsi été mis en place avec 115 patrouilles en 2023 contre 13 en 2022. Les actions de sensibilisation aux obligations légales de débroussaillement ont également été doublées cette année. Au total, 320 journées de sensibilisation seront organisées avec des techniciens ONF dans le courant de l’été 2023, de même que 300 journées pour la mise en place de patrouilles de surveillance et de contrôle, et 180 journées de patrouilles, de surveillance et d’intervention mobilisation.

Le renouvellement, fer de lance

Quelque 40 % des peuplements gérés par l’ONF Aura sont vulnérables et sensibles au changement climatique. « On a une accélération des changements d’une année sur l’autre qui nous bouscule », explique Nicolas Karr. De nombreux outils permettent aujourd’hui d’avoir une vision sur le long terme concernant l’adaptation des forêts au changement climatique. D’après Médéric Aubry, référent changement climatique à l’ONF, les migrations d’essences naturelles sont dix fois moins importantes que la vitesse du changement climatique. Un des leviers pour contrer cela, c’est le renouvellement. « Il faut amener des essences qui viennent de plus ou moins loin, et qui sont plus résistantes à la sécheresse », continue le référent. En 2017, seulement 10 % des coupes ont eu lieu pour des raisons sanitaires. Cette année, 80 % des produits sont récoltés pour ces mêmes raisons. « Il y a un moment où on arrive à un équilibre de forêt qui n’est plus viable. Chaque matin, on découvre un nouvel arbre qui a rougi », intervient Nicolas Micoud. Une première coupe sanitaire a eu lieu en 2021, sur des bois qui montraient certains symptômes liés au changement climatique, telles que des anormalités sur l’écorce ou des coulures de résine. Après un mois d’octobre 2022 particulièrement sec, les dégâts sont de plus en plus nombreux, notamment sur les épicéas, et les interventions de l’ONF de plus en plus fréquentes. Mais une chose est sûre : « On ne coupe toujours pas plus que ce que la forêt peut produire », assure Anthony Auffret, directeur de l’agence Ain-Loire-Rhône au sein de l’ONF. L’ONF dit également miser sur le dégagement de régénération naturelle. « L’objectif est d’enlever la végétation qui va pousser autour des jeunes pousses, pour limiter la concurrence qui peut les empêcher de grandir », explique Charlotte Leportier, technicienne forestière. L’idée est d’enlever les ronces, les noisetiers pour laisser la forêt se régénérer naturellement.

Ludivine Degenève

Le dégagement de régénération naturelle consiste à couper les arbres qui peuvent nuire au développement des jeunes pousses.
De nouvelles essences pour une forêt plus résiliente
Nicolas Karr, directeur territorial à l’Office national des forêts (ONF) en Auvergne-Rhône-Alpes. ©ONF
ADAPTATION

De nouvelles essences pour une forêt plus résiliente

Les forêts de la région souffrent du changement climatique qui sévit depuis plusieurs années. Nicolas Karr, directeur territorial à l’Office national des forêts (ONF) en Auvergne-Rhône-Alpes, revient sur cette problématique et présente les moyens d’adaptation mis en oeuvre pour préserver la forêt.

Le changement climatique impacte l’écosystème forestier de manière frontale, par la sécheresse et le manque d’eau dans les sols, mais également de manière indirecte, avec la crise des scolytes. Depuis le début de l’épidémie, les forêts d’épicéas sont le plus touchées dans la moitié nord de la France (Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de-France, Normandie) et en Auvergne-Rhône-Alpes (Aura). D’après Nicolas Karr, directeur territorial à l’Office national des forêts (ONF) en Auvergne-Rhône-Alpes, le problème est endémique, mais s’est amplifié : « Les scolytes sont très actifs actuellement en raison de l’affaiblissement des arbres, dû aux épisodes de sécheresse et de canicule des dernières années ». « En région Aura, on estime que 40 % des peuplements forestiers (forêts publiques) seront en inconfort climatique d’ici 2070 », affirme-t-il. L’ONF oeuvre pour la reconstitution des forêts dépérissantes en sélectionnant des essences d’avenir. Dans l’Ain, la situation est particulièrement urgente : « Les plantations d’essences nouvelles sont faites partout en Aura, mais elles sont surtout localisées dans l’Ain, car c’est la zone la plus touchée par le dépérissement », explique Nicolas Karr. En effet, le secteur forestier est en crise depuis 2019, car largement impacté par la sécheresse et les attaques parasitaires.

« ClimEssences », un outil d’anticipation de la dégradation des forêts

La forêt a toujours connu des variations climatiques sévères (alternance de glaciations et de réchauffements) et s’est toujours adaptée de manière physiologique et géographique. Mais depuis 2018, ces changements sont si rapides qu’ils empêchent les espaces forestiers de s’adapter naturellement. Nicolas Karr affirme que la première chose à faire est d’anticiper : « Grâce à l’outil ClimEssences, on peut estimer quelles essences seront le plus en danger d’ici 2070. Cet outil est utilisé depuis environ deux ans en gestion courante par les techniciens forestiers. Il permet de projeter plusieurs scénarios et donc d’agir en conséquence ». D’après l’outil, 40 % des peuplements constitués d’une essence principale seront en dehors de leur niche écologique d’ici 2070. Il s’agit principalement de l’épicéa (en proie aux scolytes), du sapin, ou encore du chêne (selon les secteurs). « Ce scénario n’est pas incontestable, mais il met en lumière les secteurs sur lesquels les dépérissements seront très probables. »

5 000 hectares de forêts à reconstituer en Aura

Au total, en Auvergne-Rhône-Alpes, ce sont 5 000 hectares qui souffrent, dont 2 000 considérés comme « très vulnérables aux changements climatiques », et 1 100 hectares de pessières (peuplements d’épicéas) détruites par les scolytes. Entre 2020 et 2023, environ 80 essences forestières et plus de 200 provenances différentes ont été plantées dans les forêts publiques de la région. Parmi les plus plantées, on retrouve le douglas vert (21 %), le mélèze d’Europe (13 %), le cèdre de l’atlas (8 %), le chêne sessile (6 %), certains types de pins, de sapins, d’érables, ou encore l’alisier blanc, le hêtre ou le peuplier de culture. Ces essences sont considérées comme les plus adaptées aux changements climatiques d’ici 2070. Pour les sélectionner, Nicolas Karr explique que l’ONF utilise également l’autécologie (qui s’intéresse aux exigences de l’espèce vis-à-vis des milieux) : « Elle prend en compte la pluviométrie, les températures, et la résistance aux gelées tardives (très présentes en France). Grâce à la balance entre ces trois critères, on obtient une liste des espèces les plus tolérantes ». Malgré ces analyses, l’avenir climatique reste incertain : l’objectif est donc la diversification. « Plus il y a d’espèces différentes, plus il y a de chances que certaines soient adaptées au climat qui arrive. » Pour cela, « on choisit des espèces que l’on connaît bien, mais de provenance plus méridionale : des feuillus, des résineux, des chênes pubescents, des mélèzes ou encore des pins, qui existent dans des secteurs du Sud. On peut également importer des espèces du pourtour méditerranéen ». L’adaptation, la régénération et la plantation pour reconstruire les forêts sont indispensables à leur survie d’ici 2070. « Tout replanter serait humainement impossible », ce pourquoi Nicolas Karr explique l’importance de privilégier la diversité déjà existante, pour garantir la durabilité, la résilience et la capacité de production des forêts françaises.

Charlotte Bayon

"Entretenir la forêt : un atout pour l’ensemble du territoire"
Maxime Bouquet, conseiller en gestion forestière à la chambre d’agriculture de l’Ardèche.
SYLVICULTURE

"Entretenir la forêt : un atout pour l’ensemble du territoire"

En Auvergne Rhône-Alpes, la forêt est un enjeu d’avenir. Pour renforcer la filière, les chambres d’agriculture proposent un accompagnement et des conseils. Illustration avec Maxime Bouquet, conseiller en gestion forestière à la chambre d’agriculture de l’Ardèche.

En quoi consiste l’accompagnement proposé par la chambre d’agriculture en matière de gestion forestière ?

Maxime Bouquet : « Je m’adresse aux petits propriétaires privés, c’est-à-dire ceux qui possèdent moins de 25 ha. Je fais un diagnostic de leur parcelle pour ensuite les orienter vers des gestionnaires privés ou les accompagner vers une mise en valeur de leur forêt, par le regroupement foncier (en formant ou en rejoignant une structure avec plusieurs propriétaires) ou par un regroupement de chantiers (en mutualisant l’intervention d’un opérateur). Notre travail est aussi d’essayer de monter des projets pour ouvrir des pistes dans les massifs et, par exemple, offrir un accès aux pompiers en cas d’incendie. »

Pourquoi et comment mettre en valeur son patrimoine forestier ?

M. B. : « On peut chercher à avoir du bois de qualité pour tirer un revenu. Certaines essences sont alors préférées car elles sont adaptées à la construction ou à l’ameublement. Au niveau qualité, il faut que les arbres aient des troncs bien droits, d’un diamètre suffisant, avec peu de noeuds, donc peu de branches et un feuillage à grande hauteur. Il faut nettoyer sa parcelle, en supprimant les arbres qui ont des défauts et qui font concurrence à ceux qui ont du potentiel, mais aussi faire des éclaircies régulièrement. Finalement, entretenir la forêt, c’est aussi un atout pour l’ensemble du territoire, pour avoir de l’énergie, des matériaux locaux et à coût modéré ! »

Y a-t-il une prise en compte du changement climatique dans la gestion forestière ?

M. B. : « Oui ! D’ailleurs on observe déjà des changements avec des essences qui dépérissent dans certaines zones. Quand c’est le cas, on oriente vers une replantation d’essences plus adaptées. Ou bien, si on sait qu’à moyen terme l’essence est menacée, on va prodiguer des conseils sur les arbres à favoriser. Par exemple, le chêne blanc qui est méditerranéen est plus adapté que le châtaignier à la sécheresse et à la chaleur, donc sur certains secteurs on va avoir tendance à dire d’enlever plutôt les châtaigniers pour aider, progressivement, les chênes à se développer. On se base sur nos connaissances et notre expérience de gestionnaire forestier mais aussi sur des outils informatiques d’aide à la décision. Des modélisations à partir desquelles on peut localiser une zone, choisir une essence et voir quelle est la probabilité que cet arbre soit encore là à l’avenir, selon le scénario de changement climatique probable. »

Est-il possible d’allier production de bois et agriculture ?

M. B. : « Dans certains cas, la forêt peut avoir plusieurs fonctionnalités. L’exemple du sylvopastoralisme fonctionne très bien ! Alors que pendant des années la tendance avait été de faire du pâturage ouvert, on revient de plus en plus à cette pratique de pâturage en sous-bois. Certes, la ressource fourragère est moindre mais on va avoir des avantages, par exemple les zones d’ombrages qui permettent d’avoir de l’herbe fraîche au mois d’août. Et c’est compatible avec des arbres de qualité utilisables pour la construction. D’autant qu’avec le sylvopastoralisme on va considérablement réduire le risque incendie : on est quasiment sûr qu’un feu qui parcourt un sous-bois pâturé ne montera pas dans les cimes. C’est une assurance pour le peuplement ! »

Le sylvopastoralisme est donc utile pour les troupeaux et la forêt ?

M. B. : « Oui, après il faut gérer la charge des troupeaux pour avoir un renouvellement des forêts, évidemment. Mais l’avantage est double : bois et pâturage. En revanche, ce n’est pas forcément le plus rentable pour l’éleveur. C’est pour cette raison que les chambres d’agriculture demandent qu’il puisse y avoir des compensations financières pour ceux qui font ce travail de débroussaillage avec leurs animaux. Finalement, ils rendent un service à la population malgré le manque à gagner par rapport à des terrains plus accessibles. »

Propos recueillis par Pauline De Deus

FORÊTS / Des drones au service du dépérissement des massifs
Vincent Gonod, technicien forestier territorial au sein de l’ONF. ©LD

FORÊTS / Des drones au service du dépérissement des massifs

Parcourir les parcelles ou un massif pour aider les techniciens forestiers à repérer les arbres dépérissant, voici l’objectif des nouveaux drones acquis par l’ONF (Office national des forêts) en fin de l’année dernière. « Les drones sont spécifiques au dépérissement, souligne Vincent Gonod, technicien forestier territorial au sein de l’ONF. On intervient sur tout le périmètre de la direction territoriale Auvergne-Rhône-Alpes. » Ce repérage est rendu plus simple grâce à la vision aérienne, cependant, ce matériel ne peut pas être utilisé dans toutes les circonstances. « On va l’utiliser sur des massifs relativement plats », précise le technicien. Après le décollage, le technicien suit la trajectoire du drone grâce à une radiocommande et peut même prendre des photos et des vidéos. « Je parcours le massif, dès que je vois une tache de scolytes ou des arbres dépérissant, je me mets au-dessus, à la verticale, je prends une photo et j’ai les coordonnées GPS en question. Ça permet de faire basculer les informations sur une carte pour avoir la position exacte de ces arbres », explique Vincent Gonod.

Bientôt un nouveau drone

Grâce à ce nouvel outil, il est aussi possible de programmer le survol sans la radiocommande. Le drone va alors réaliser un quadrillage qui sera analysé pour recréer une carte grâce à un logiciel. Ce nouveau dispositif permet ainsi de repérer plus facilement et précisément les arbres à abattre et ainsi faciliter l’intervention de l’ONF. En plus du premier drone, qui apporte une grande aide au technicien forestier, un deuxième est à prévoir. Ce dernier va servir à couvrir le reste de la direction territoriale. Vincent Gonod consacre vingt jours par an au pilotage du drone, en plus de sa fonction de technicien forestier. Seule réglementation à sa nouvelle mission : le drone ne peut voler que dans un rayon d’un kilomètre. « J’ai une formation de télépilote professionnel qui me permet d’évoluer dans ce rayon », explique ce dernier. La distance serait moindre sans cette accréditation.

Ludivine Degenève