PHOTOVOLTAÏQUE
Désamiantage et solarisation de toitures : un parcours du combattant

Conjuguer le désamiantage et la solarisation des toitures de bâtiments agricoles, tel était l’objectif, depuis le courant de l’année 2020, d’une quinzaine d’agriculteurs de la Drôme provençale. Près de trois ans plus tard, nombreux sont ceux qui ont abandonné le projet.

Désamiantage et solarisation de toitures : un parcours du combattant
« L’idée de départ était de désamianter de vieux bâtiments - inutilisables ou utilisés - et de les solariser afin de trouver un équilibre économique. A ce moment-là, aucune aide n’existait », explique Cyprien Jullian, éleveur bovin au sein de L’Aubrac des Prés au Poët-Célard.

Courant 2020, un collectif s’est formé en Drôme provençale autour d’un sujet commun : les énergies renouvelables. Près de vingt-cinq exploitants agricoles, forestiers et entreprises de travaux publics ont uni leurs forces pour aller à la rencontre d’entreprises spécialisées en énergie solaire, afin de doter les toitures de leurs bâtiments de panneaux photovoltaïques. « L’idée de départ était de désamianter de vieux bâtiments - inutilisables ou utilisés - et de les solariser afin de trouver un équilibre économique. À ce moment-là, aucune aide n’existait », explique Cyprien Jullian, éleveur bovin au sein de L’Aubrac des Prés au Poët-Célard (Drôme). Après avoir consulté plusieurs entreprises, une seule a retenu l’attention du collectif : Soalis, fournisseur d’équipements d’énergie solaire à Montboucher-sur-Jabron, connu pour avoir travaillé avec plusieurs centrales villageoises de la Drôme. Hasard du calendrier ou pas, le collectif d’agriculteurs s’est penché sur le sujet avant même le lancement de l’appel à projets de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, visant à faire réaliser un désamiantage des toitures sous conditions de solarisation de ces dernières.

Des aides revues à la baisse

Ils étaient donc parmi les premiers à solliciter l’aide régionale. « Quand l’appel à projets a été lancé, nous nous sommes rapprochés de la chambre d’agriculture de la Drôme pour nous faire accompagner dans la constitution des dossiers », se rappelle Edmond Tardieu, éleveur ovin et caprin à Vesc. Ils ont également pu compter sur l’appui du Département sur la partie étude de charpente et désamiantage.
En parallèle, l’actualité internationale a chamboulé les plans : « Avec la guerre en Ukraine, la hausse des prix des matières premières et la hausse de l’inflation, l’actualité nous a rattrapés… À cela se sont ajoutés les retards d’instruction d’Enedis sur les coûts de raccordement, ce qui nous a fait perdre plusieurs mois. De ce fait, les taux bancaires ont grimpé et nombre d’agriculteurs ont dû abandonner leur projet afin de ne pas mettre en péril leurs exploitations. Nous ne sommes aujourd’hui plus que trois ou quatre à poursuivre le projet, alors même que la Région avait répondu favorablement à notre appel à candidature », regrette l’éleveur de Vesc.

Des délais… et des coûts exorbitants

« Si la volonté gouvernementale est d’encourager à transiter vers des énergies renouvelables, on ne nous donne pas vraiment les moyens d’aller au bout des choses. Face aux coûts exorbitants demandés par Enedis, entreprise qui a le monopole, de nombreuses surfaces photovoltaïques ne verront finalement pas le jour », déplore Margot Petit, agricultrice à Portes-en-Valdaine. Investis dans le collectif, Margot Petit et son conjoint, Alexandre Lafarge, exploitants agricoles depuis le 1er janvier 2022, connaissent eux aussi des difficultés. Installés en grandes cultures, plantes à parfum aromatiques et médicinales et pommes de terre, ils veulent d’abord investir dans un bâtiment neuf avec couverture photovoltaïque pour constituer leur siège d’exploitation et disposer d’un espace de stockage. « Le délai d’instruction du dossier par Enedis est très long, et pendant ce temps, il nous est impossible de bloquer un taux d’emprunt à la banque. C’est un projet à près de 800 000 € (construction du bâtiment + centrales photovoltaïques, ndlr), mais nous en avons besoin pour la continuité de l’exploitation », regrette la jeune femme. Le couple d’agriculteurs aimerait dans un second temps faire désamianter et solariser un ancien poulailler (600 m² de toiture) : « Nous ferions une demande de subvention et de raccordement dans un deuxième temps », indique Margot Petit.

Des risques pour l’équilibre économique de l’exploitation

Investir dans un tel projet n’est pas sans conséquence sur la santé financière d’une exploitation agricole. « Au départ, je devais obtenir un taux bancaire avoisinant les 1,20 ou 1,30 %. J’ai finalement signé ma demande de crédit à 2,90 %. Sans compter que les devis ont augmenté de 30 % en un an et demi. Économiquement, je perds de l’argent et ce, malgré les subventions. La prise de risque est importante pour mon exploitation, mais nécessaire pour améliorer les conditions de travail et éviter tout danger causé par la présence d’amiante », ajoute Cyprien Jullian. L’éleveur réalise un investissement de près de 400 000 € pour la construction d’une nouvelle stabulation solarisée et la rénovation de deux autres bâtiments (désamiantage et solarisation), soit environ 1 000 m² au sol. Les travaux ont débuté en mars, avec un raccordement au réseau électrique prévu au dernier trimestre 2023. Début février, Edmond Tardieu, à la tête du Gaec du Clos de l’Orme, n’avait toujours pas reçu sa date de raccordement de la part d’Enedis ni eu connaissance des coûts engendrés. Et pourtant, les surfaces à solariser (1 755 m ² dont 860 m² à désamianter) sont conséquentes. « On prend des risques, c’est vrai. Mais nous approchons de la retraite avec mon épouse et nous voulions laisser une ferme la plus propre possible », admet-il, soulignant qu’Enedis, ayant le monopole sur le marché, était submergé par la demande.

Depuis les premiers échanges entre agriculteurs, près de trois ans se sont écoulés. « La conjoncture a vraiment compliqué les choses. Sans la guerre ni l’inflation, le sujet serait certainement bouclé. C’est un parcours du combattant, mais le fait d’avoir réalisé ce travail de manière collective nous a permis de faire une bonne opération au niveau des prix », conclut Edmond Tardieu.

Amandine Priolet

Raccordement au réseau électrique : les explications d’Enedis

Délais d’instruction et de raccordement, coûts exorbitants, la société Enedis est régulièrement critiquée. De par son monopole - il s’agit d’une entreprise de service public en termes de distribution d’électricité sur 95 % du territoire français - Enedis exploite près de 1 400 000 km de réseau de moyenne et basse tension. « En Drôme-Ardèche, cela représente 32 000 km », rappelle Jeanine Doppel, directrice territoriale Enedis Drôme Ardèche. « Notre mission est de raccorder tous les clients, tout en maintenant l’équilibre du réseau électrique », ajoute-t-elle. Depuis une dizaine d’années, Enedis s’est penché sur le sujet des énergies renouvelables. « L’énergie solaire nous demande une adaptation de nos réseaux, sachant que nous allons passer de 12 GW (puissance installée) en 2021 à 42 GW (puissance installée envisagée) en 2032. D’ici 2040, dix milliards d’euros seront consacrés aux énergies renouvelables sur les 96 milliards d’investissements prévus », indique la directrice. À ce titre, 2 900 emplois seront créés, dont 41 en Drôme-Ardèche. Fin 2022, « le territoire national comptait 600 000 installations photovoltaïques raccordées sur le réseau de distribution que nous exploitons. Le nombre double tous les dix-hui mois », présente Benoît Paul, chargé de communication Drôme Ardèche.

Onze mois pour raccorder les dossiers supérieurs à 36 kW

Fin 2021, la Drôme comptait 8 000 installations. « En 2022, nous avons raccordé 2 000 nouveaux producteurs », poursuit-il. 85 % d’entre eux ont demandé une puissance inférieure à 36 kW : « Pour ces petits producteurs, les délais d’instruction et de raccordement sont évalués à quarante jours. En revanche, pour les 15 % restants, soit environ 350 dossiers demandant une puissance supérieure (pour des hangars agricoles, des parkings, etc.), nous sommes plutôt sur des délais de onze mois », explique Gwendoline Quesada, responsable du raccordement sur Drôme-Ardèche. Durant cette période, plusieurs étapes : la demande de raccordement déposée par l’agriculteur, la mise sur liste d’attente et l’envoi du devis par Enedis (trois mois maximum), la validation du devis par le demandeur, les études de terrain et les autorisations administratives (convention de servitude), et enfin les travaux de raccordement. « Ces trois dernières étapes prennent généralement entre quatre et cinq mois », déclare-t-elle. Quant aux coûts parfois élevés des raccordements, Enedis indique l’existence d’un barème officiel approuvé par l’État et révisé tous les deux ans. « Ces coûts (entre 5 000 et 30 000 € pour une puissance supérieure à 36 kW) dépendent notamment de la solution de raccordement (travaux de branchements, mais aussi extension ou renforcement du réseau) », conclut Gwendoline Quesada.

A.P.