EAU
Le réseau d’irrigation agricole de la plaine de Chomérac fait peau neuve

Des pertes en eau équivalentes à la quantité nécessaire pour irriguer 1 400 hectares de terres agricoles pendant 6 mois, il était temps de rénover le système d'irrigation agricole de la plaine de Chomérac.

Le réseau d’irrigation agricole de la plaine de Chomérac fait peau neuve
Les acteurs du projet de rénovation devant les tuyaux en fonte de Pont-à-Mousson.

Avec ces installations datant de 1971, un rendement de l’ordre de 30 à 40 % et des pertes en eau estimées à près de 2.1 millions de m³ par an, la rénovation du système d’irrigation menée par le Département de l’Ardèche à travers le SDEA, a pour but d’économiser 1 million de m³ d’eau par an.

L’inauguration qui se tenait début mai dans les locaux de Rampa TP et Pompage Rhône-Alpes, entreprises en charge du chantier, a permis de faire un point sur l’avancée des travaux et les enjeux autour des questions d’irrigation afin de préserver l’agriculture ardéchoise. « Ce réseau fait partie du patrimoine, le maraîchage sur le Pouzin est important. De plus, la prise d’eau du Rhône pour l’irrigation de la plaine, se fait en amont du barrage, sur la commune », s’exclame Christophe Vignal, maire du Pouzin. Presque 6 km de conduites sont remplacées par des canalisations en fonte.

Propriété du SDEA de l’Ardèche, le réseau en cours de rénovation comprend deux secteurs sur les 90 km au total. La première portion se situe entre la station de pompage du Pouzin jusqu’aux départs vers Saint-Lager-Bressac d’une part et Chomerac (5,4 km). La seconde portion de 140 mètres linéaires se situe autour de la station de surpression installée à Chomérac où la pression s’élève à 17 bars. Le réseau relie ainsi plus de 300 agriculteurs accordés, qui continuent à être irrigués pendant le chantier, alternant les portions. Pour Pierre Rampa, président des canalisateurs, « avec ce projet, on refait vivre notre territoire, s’il n’y a plus d’eau, plus d’agriculteurs ».

Partage de l’eau

Guidée principalement par la volonté d’endiguer les fuites de l’actuel réseau, la rénovation du système d’irrigation cristallise les enjeux actuels autour de l’eau, pour Olivier Amrane, président du Département de l’Ardèche : « Aujourd’hui, il faut qu’on s’organise, on va perdre 40 % de nos ressources en eau, ce projet est emblématique : on passe de 60 % de fuites à 60 % de rendements. Le sujet de l’eau est essentiel pour la vie sur notre territoire. C’est un défi collectif. Ce projet, c’est la conjugaison entre la sobriété et la capacité à mobiliser la ressource : par exemple, les eaux usées traitées témoignent de notre capacité à générer des économies », résume-t-il.

Bruno Locatelli, directeur du SDEA, renchérit : « On réfléchit à continuer le projet entre Alissas et Privas, mais aussi aux usages que l’on peut faire de l’eau. Par exemple, sur la sécurité incendie ou des usines de préfabriquées qui sont aujourd’hui raccordées à l’eau potable de la ville, et qui pourraient éventuellement être connectées à l’eau brute. Le but n’est surtout pas de léser les agriculteurs, mais avec 1 million de m³ d’eau économisés, en faire profiter d’autres secteurs, comme l’industrie ».

Si le partage de l’eau est un enjeu actuel au sein de notre société, le directeur du SDEA est conscient que cela pourrait inquiéter les agriculteurs pour qui, le réseau d’irrigation constitue le seul moyen d’arrosage et de subsistance de leur culture. Stephane Ribeyre, exploitant agricole installé en Gaec avec ses trois fils sur la plaine de Chomérac, ne témoigne pas d’inquiétude particulière à ce sujet, si des stations de surpressions sont installées en quantité suffisante. En particulier sur les coins les plus hauts perchés comme la commune de Saint-Vincent-de-Barrès, qui pourrait être limitée en pression de l’eau. « Les agriculteurs payent le même prix et ont un réseau moins performant en bout de ligne. Ils sont obligés d’arroser la nuit et la journée, car le système est moins efficace et moins rapide. »

Avec ses 210 ha de polyculture répartis sur toute la plaine, l’exploitant est au cœur du réseau d’irrigation. « L’année dernière, on a utilisé 120 000 m³ d’eau d’irrigation. Ce mois-ci, mon troisième fils nous a rejoint, on a repris 35 ha. Avec plus de surfaces et la sècheresse, on va certainement utiliser plus d’eau, donc on compte dessus. S’il n’y avait pas le réseau d’irrigation, nous ne serions pas 4 sur l’exploitation. L’eau est indispensable. Le réseau est utilisé par tous les agriculteurs du bassin de Chomérac. S’il n’existait pas, il y aurait moins d’agriculteurs. » Il poursuit en précisant : « C’est urgent de rénover, car quand il y avait de la casse, le réseau entier s’arrêtait. Pendant plusieurs années, il n’y pas eu de réparations, il aurait fallu rénover il y a 20, 30 ans ».

Amélioration du matériel pour économiser l’eau

Lors du plan de financement en 2021, les agriculteurs s’engageaient à améliorer leurs pratiques afin de démontrer l’enjeu agricole derrière cette rénovation. Aujourd’hui du côté de Stephane Ribeyre, « on enterre les conduites pour alimenter les parcelles. Quand on déplace un enrouleur, il va arroser 60 mètres de large, puis on le déplace pour aller plus loin. Avec les anciennes conduites, nous débranchions le tuyau, fermions la vanne et perdions toute l’eau du tuyau. Avec les conduites enterrées, c’est plus facile pour travailler, car il n y a pas de tuyau donc on économise de l’eau, on ne débranche jamais : il y a des sorties avec bouche à clé. Même en hiver, on ne vidange pas. Cela fait quelques années qu’on remplace les vieux enrouleurs par des nouveaux avec régulation électronique pour mieux gérer les quantités d’eau et les heures pour arroser ».

Si les agriculteurs améliorent leur matériel peu à peu afin d’économiser l’eau, Yves Boyer, maire de Baix, mène avec la communauté de commune Ardèche Rhône Coiron, dont il est le président, une réflexion afin de « sanctuariser les terres agricoles » et de démontrer l’importance de l’agriculture sur le territoire, autour d’un réseau d’irrigation performant. « La réflexion est en cours, et se traduit par la création d’une ZAP (zone agricole protégée). Le comité de pilotage se réunit fin mai pour entamer un temps d’action afin de répondre aux besoins des agriculteurs de chaque commune selon leurs besoins, face au changement climatique. » Nul doute que des changements sont à l’œuvre et la réflexion autour du partage de l’eau ne fait que commencer.

Marine Martin

La portion d'une conduite d'eau du château de Versailles datée de 1683, offerte par Saint-Gobain PAM à Rampa TP pour signifier la longévité des tuyaux.

Des techniques innovantes et un chantier économique

« Si avec le réseau d’irrigation actuel, on asperge des arbres fruitiers contre le gel, c’est une opération à risque, car on emprisonne les fleurs dans la glace et s’il y a une coupure d’eau à ce moment-là, la glace ne fond pas et donc détruit les fleurs. L’avantage avec ce nouveau réseau, c’est que l’on pourra sectoriser et fermer la partie du réseau endommagée, sans prendre le risque de couper tout le réseau », explique Christophe Vignal, maire du Pouzin à propos de l’innovation technique du chantier. En effet, équipé d’une solution digitale de télésurveillance par sectorisation composée de débitmètres et de compteurs, le nouveau réseau d’irrigation agricole participe à une meilleure gestion durable de la ressource en eau, en mesurant et suivant les débits de distribution et les fuites en différents emplacements. Il fera partie des 30 % de réseaux agricoles français équipés d’appareils de mesure habituellement montés sur les réseaux d’eau potable qui permettent d’alerter l’exploitant de toute casse du réseau ou de débit nul.

De plus, le chantier a fait des efforts au niveau de son empreinte carbone. Paul Rampa, président de Rampa TP, se félicite : « D’un point de vue environnemental, nous avons privilégié le transport fluvial et ferroviaire au lieu du transport routier, nous avons effectué une économie de 87 % de tonnes d’émission de CO2 sur la totalité du transport des 1 043 tuyaux de leur lieu de production à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle) au Pouzin ». Jerôme Guilleautot, directeur commercial France Chez Saint-Gobain PAM, entreprise en charge de la fabrication des tuyaux, est formel : « L’irrigation est un sujet majeur pour lequel les industriels doivent apporter des réponses ». Durable et recyclable, deux maîtres-mots sur lesquels s’appuient le directeur pour expliquer la composition et la durée de vie des tuyaux en fonte ductile. D’une longueur d’environ 7 mètres et dont le revêtement intérieur est de qualité alimentaire, sans bisphénol et epoxy. « Les canalisations sont fabriquées en Lorraine, c’est 100 % français. Dans le monde agricole, les tuyaux en plastique ont une durée de vie moindre, les tuyaux en fonte n’ont pas de changement de performance dans le temps . Nous avons mis des joints à contrôle d’étanchéité qui fonctionnent avec un système de vérification d’étanchéité à la pose. C’est un dispositif qui permet à Rampa TP de savoir si le joint est bien positionné et voir si la pression tiendra pour avancer le chantier plus efficacement », conclut le directeur commercial.

Un chantier subventionné

10 millions d’euros, c’est le coût du chantier subventionné à 80 % puisqu’il vise à économiser l’eau. Les partenaires ayant participé sont la CNR à hauteur de 30 %, le fonds européens agricoles 30 % également, 21 % pour le conseil départemental de l’Ardèche, 16 % de la part du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire et 3 % de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.