HYDROGÉOLOGIE
Distinguer la sécheresse agricole de celle des nappes

La situation des nappes d’eau souterraine au 1er juin présentée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) demeure peu satisfaisante sur une grande partie du pays. Que cela signifie-t-il pour l’agriculture ? Réponse avec Serge Zaka, docteur en agrométéorologie.

Distinguer la sécheresse agricole de celle des nappes
Selon Serge Zaka, docteur en agrométéorologie, la vigilance concernant la sécheresse agricole est de mise cet été car les températures promettent d’être plus élevées que la norme. ©DR

Le constat du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) est sans appel : si la situation des nappes phréatiques s’est stabilisée ces dernières semaines grâce notamment aux précipitations du début de printemps, elle n’en reste pas moins préoccupante (lire ci-après). Pourtant, dans les campagnes, les travaux d’été battent leur plein, les agriculteurs ont même parfois du mal à trouver une « fenêtre » d’intervention assez large pour récolter. Deux situations qui, si elles peuvent sembler antinomiques, ne le sont pas tant que ça. En effet, selon Serge Zaka, docteur en agrométéorologie, il convient de distinguer la sécheresse agricole de celle des nappes phréatiques. « La sécheresse agricole est la sécheresse des deux premiers mètres du sol. Cette année, dans certaines régions, en cette période, elle n’est pas présente. En effet, par exemple, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, il y a un dégradé Nord-Sud. Il y a beaucoup plu quotidiennement sauf du côté de
l’Allier. C’est très bien pour les écosystèmes et les cultures. Les cultures de printemps ont en effet besoin d’eau pour germer. C’est vraiment un point positif à souligner. »

La sécheresse des nappes phréatiques concerne, quant à elle, l’eau en profondeur. « Elle correspond au cumul des sécheresses des derniers mois », poursuit Serge Zaka. C’est cette référence qui est prise en compte dans le cadre des arrêtés sécheresse, car c’est dans les nappes phréatiques qu’est puisée l’eau pour l’eau potable et l’irrigation en France, notamment dans les régions de plaines. À noter toutefois, que dans les régions où c’est possible de le faire, l’eau de surface est également très utilisée pour l’irrigation. L’eau du fleuve Rhône, par exemple, est une ressource indéniable pour les agriculteurs.

Entre surface et profondeur

Si la sécheresse agricole réagit très vite à la pluie, celle des nappes phréatiques met plus de temps. Il y a donc une énorme différence entre ce qui se passe en surface et en profondeur. « Les nappes sont en effet à un niveau assez bas pour la saison. La période de recharge des nappes, quand elles remontent habituellement, correspond au moment où il n’y a pas de feuilles dans les arbres. Quand il y a des feuilles dans les arbres, 80 % de l’eau est absorbée par les racines des arbres, des cultures et des écosystèmes et ne va pas jusqu’aux nappes phréatiques. » Aujourd’hui étant hors de périodes de recharge, très peu d’eau s’infiltre en profondeur même si la pluie tombe parfois abondement. « Pour toutes ces raisons, il peut y avoir une espèce de dissonance entre ce qui se passe en surface et en profondeur. Il ne s’agit pas de la même réserve hydrique. En revanche, c’est très intéressant de voir qu’il y a de l’eau en surface car cela évite d’avoir recours à l’irrigation et de pomper dans les nappes. » Il y a en effet des liens entre les deux sécheresses. « Il faudra maintenant attendre l’automne pour voir les nappes phréatiques se recharger. »

En surface, les variations sont très rapides

En surface, toutefois, les choses sont loin d’être figées. « Ce n’est pas parce que nous avons de l’eau en surface actuellement, que nous sommes sortis du risque de sécheresse pour le reste de l’année. » Preuve en est la situation dans le Nord de la France. Beaucoup d’eau est tombée pendant un mois, un mois et demi. « Il y a eu énormément d’eau en surface et les nappes phréatiques ne se sont pas rechargées, car ce n’était plus la période. Maintenant, ils sont proches des records bas dans le Nord-Est en sécheresses de surface et de nappes phréatiques. La sécheresse agricole réagit très vite aux variations de précipitations. Il suffit de deux à trois semaines sans pluie avec du vent desséchant pour reperdre ce que l’on a gagné en un mois et demi. L’état hydrique des sols dans le Nord-Est de la France était excellent, voire excédentaire en mars et en avril, alors qu’aujourd’hui, en juin, il est proche des records les plus bas », met en garde Serge Zaka. Pour lui, il est impossible de baser une période de culture entière sur un point ponctuel de la sécheresse agricole. Concernant les nappes phréatiques, les variations sont beaucoup plus lentes. « En réalité, une sécheresse s’apprécie bien dans l’état des nappes phréatiques. Cette dernière donne une indication du cumul de ce qui s’est passé ces derniers mois, ces dernières années. Il faut plusieurs mois pour se sortir d’une sécheresse des nappes phréatiques. » La vigilance doit donc être de mise pour l’été qui vient de débuter d’autant plus qu’aucune grosse tendance au niveau des précipitations se dessine. « On a 33 % des scénarios dans la norme, 33 % en dessous et 33 % au-dessus. Toutefois, concernant les températures, la tendance est nettement définie : il va faire plus chaud que la norme. Il faudra donc faire attention à l’évapotranspiration. On aura, en effet, une perte en eau des forêts, des écosystèmes et des cultures plus importante que les années classiques, conclut Serge Zaka, avant d’ajouter une note positive. Nous sommes protégés au moins pour un mois pour les feux de forêt. »

Marie-Cécile Seigle-Buyat

Carte encadré
BRGM

Nappes phréatiques : une situation stable mais contrastée

Dans l’ensemble, le niveau de remplissage des nappes phréatiques ne s’est pas dégradé au printemps. Mais la situation reste particulièrement préoccupante dans la vallée du Rhône et autour de la Méditerranée.

La dernière situation hydrologique au 1er juin présentée par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) affirme que les précipitations du début du printemps ont permis de ralentir la vidange des nappes dans les zones les plus arrosées. En mai, elles sont restées néanmoins insuffisantes pour engendrer des épisodes de recharge et améliorer leur état. 66 % des niveaux des nappes restent sous les normales mensuelles en mai (68 % en avril) avec de nombreuses zones à des niveaux bas ou très bas. Dans le Nord de la France, les pluies du mois de mars et d’avril ont contribué à recharger les nappes phréatiques dont le niveau était historiquement bas. Mais depuis les mois d’avril et mai, comme tous les ans à cette époque, leur vidange a repris en raison du redémarrage de la végétation et de l’augmentation des températures (évapotranspiration). Le BRGM prévoit d’ailleurs une baisse de leur niveau dans les mois qui viennent, l’impact des pluies qui ont été, jusqu’à présent, peu abondantes dans le Nord, étant limité.

Situation contrastée

Dans le Sud, les fortes précipitations enregistrées depuis quelques semaines, ont permis d’interrompre la dégradation observée depuis de nombreux mois, à défaut de les recharger à cause des besoins de la végétation. Les pluies ont eu jusqu’à présent un faible impact sur la recharge. Elles ont rarement réussi à s’infiltrer en profondeur et sont restées peu efficaces. Sauf peut-être dans le Sud-Ouest où les tendances des nappes alluviales de l’Adour, de la Garonne et de ses affluents, sont orientées à la hausse après les fortes précipitations du printemps. La situation est donc très contrastée. Autant le niveau des nappes est satisfaisant dans l’Ouest (Bretagne et Pays-de-Loire), dans le Nord de la France, autant il est préoccupant dans le couloir rhodanien, le sud de l’Alsace et dans le pourtour méditerranéen. Le Var et le Roussillon sont particulièrement sinistrés. Dans les Pyrénées orientales le niveau des nappes est si bas qu’il fait craindre l’arrivée d’eau salée. Jusqu’à présent, les arrêtés de restriction d’eau ont permis d’écarter le danger. De nouveaux arrêtés de restrictions de l’usage de l’eau sont d’ores et déjà annoncés notamment dans les zones les plus sinistrées (vallée du Rhône, Méditerranée), ainsi que dans le Bassin parisien où le niveau des nappes.

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PRAIRIES / Les pluies du printemps ont été favorables

« Au 20 mai 2023, la pousse cumulée des prairies permanentes est excédentaire. Elle est supérieure de 12 % à celle de la période de référence 1989-2018 », indique Agreste dans une récente note de conjoncture. « La production nationale atteint 43,2 % de la production annuelle attendue, soit cinq points de plus que la moyenne de longue période », précise le service statistique du ministère de l’Agriculture. Toutes les régions ont pu profiter de l’alternance entre périodes humides et ensoleillées avec des températures proches des normales, périodes qui ont favorisé la pousse de l’herbe. « À l’exception du pourtour méditerranéen, la vallée du Rhône et dans une moindre mesure le sud de l’Occitanie », observe Agreste. En Paca, la pousse présente un déficit de 44 % par rapport à la période de référence. À l’inverse, la pousse est excédentaire dans 60 % des régions fourragères regroupant les deux tiers des surfaces en prairie.

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