Face aux aléas du climat et aux phénomènes de dépérissement au vignoble, les vignerons sont de plus en plus nombreux à remettre leurs pratiques de taille en question. Pour Carole Dumont, experte de Simonit & Sirch, tout un système de pensée est à revoir.

Taille : changer de paradigme
En générant du bois mort, les pratiques de taille mutilante impactent la structure du pied de vigne. © GL

Gel tardif, sécheresse, maladies, ravageurs, matériel végétal, pratiques culturales... les facteurs de dépérissement au vignoble sont multiples et interrogent, entre autres, les pratiques de taille. « De plus en plus, on considère comme normal qu’une vigne de 20 ans soit vieille et ne produise plus, alors que l’on trouve de nombreux exemples contraires à travers le monde », indique Carole Dumont, consultante chez Simonit & Sirch. Voilà plus de trente ans que l’entreprise italienne, aujourd’hui présente à l’international, développe une méthode de taille dite de ramification, qui vise à respecter au mieux la physiologie de la plante.

Des pratiques mutilantes contre-intuitives

« Le fond du problème, c’est que pour faciliter le passage du tracteur, on est passé sur un système de culture en deux dimensions, qui implique un espace restreint pour la plante. Et, pour s’adapter à cette contrainte, les vignerons ont développé des pratiques de taille mutilante pour l’y maintenir. Et il existe du coup tout un système de croyances, qui pose de faux problèmes et nous pousse à des pratiques contre-intuitives, pour empêcher le tronc de monter ou pour avoir des baguettes bien alignées sur le fil », explique Carole Dumont.

Avant de développer : « Quand on coupe, on crée une plaie et, en réaction, la plante n’alimente plus cette partie du pied, qui sèche en formant un cône de dessèchement à l’intérieur. Or, l’eau et les nutriments ne circulent pas dans le bois mort, qui favorise en revanche le développement de champignons et de maladies du bois. L’Esca vit notamment entre bois vivant et bois mort. S’il n’y a pas de bois sec, la maladie peut être présente, mais ne peut pas se développer, car les champignons n’ont pas de quoi se nourrir ».

Ainsi la taille, dans la durée, réduit la quantité de bois vivant et augmente celle de bois mort. Cela entrave donc le flux de sève et impacte la structure du pied, la capacité de mise en réserve de la vigne, mais aussi sa sensibilité aux pathogènes et aux stress. Dans le pire des cas, ce processus peut aller jusqu’à la mort de la plante.

Ceci posé, il apparaît essentiel pour Carole Dumont de distinguer système de conduite et type de taille de la vigne. Le second étant un composant parmi d’autres du premier. Et avant tout, une affaire de choix (individuel ou collectif), qui se raisonne à l’aune de l’âge de la vigne, de sa vigueur, de son environnement, des contraintes et des objectifs de production.

Construire du vivant en respectant la physiologie de la vigne

La méthode Simonit & Sirch propose, quels que soient le cépage ou le mode de conduite, de travailler avec la plante, plutôt que de la contraindre en la mutilant. Par ailleurs, elle repose sur quatre grands principes : la ramification ; le respect du flux de sève ; la pratique de petites coupes sur bois jeune ; et l’utilisation de chicots (ou bois de réserve). « Pour que la vigne - qui est une liane - vieillisse, il faut qu’elle ramifie. On parle bien sûr d’une ramification contrôlée. L’idée, c’est de créer du bois vivant chaque année », expose Carole Dumont. Le flux de sève doit évidemment être respecté, et les coupes sont prioritairement réalisées sur du bois jeune, de sorte à limiter la dimension des plaies, et donc des cônes de dessèchement. Enfin, la technique du chicot doit permettre de maintenir le phénomène de dessèchement à l’écart du flux de sève principal. Avec des effets différents observés selon l’âge de la vigne. « Une vigne jeune va avoir tendance à fabriquer des vaisseaux de plus gros diamètre, plus sensibles aux ruptures. Les vieilles vignes vont fabriquer des vaisseaux moins gros, mais plus nombreux », souligne Carole Dumont. « Si on veut du raisin, il faut tailler sur du beau bois, du bois à fruit. Et quand on a des vignes avec du bois vivant, on a de beaux sarments, des raisins, la plante les alimente et ça mûrit », résume-t-elle. Les travaux menés par Simonit & Sirch - en Italie, en France et ailleurs dans le monde - tendent par ailleurs à montrer divers intérêts, par rapport au gel, “avec une meilleure reprise sur pieds ramifiés”, ou encore sur l’irrigation, « un pied sec et mangé par une maladie du bois réclamant plus d’eau pour vivre », énonce la spécialiste.

Produire du raisin

Elle attire aussi l’attention sur l’homogénéité des parcelles. « Quand après plantation, parce que le sol a été mal préparé ou autre, on doit remplacer 20 % des pieds chaque année pendant trois ans, on se retrouve avec beaucoup d’hétérogénéité. On peut aussi être face à une situation compliquée, à cause du manque d’eau ou d’une attaque de mildiou. Dans ces cas-là, on gagnera toujours à redescendre la parcelle une deuxième année à deux yeux, pour retrouver vigueur et homogénéité. Si l’on n’a pas 80 % des pieds qui ont suffisamment de vigueur pour monter au fil de pliage, mieux vaut redescendre », préconise-t-elle. Et de justifier : « Avoir des vignes homogènes est appréciable pour les opérations de taille. Cela facilite les consignes et le travail de taille, en évitant de multiplier les modes et les gestes de coupe sur une même parcelle ».

Pour nombre de viticulteurs, la méthode de la taille ramifiée de Simonit & Sirch pose la question de la hauteur du tronc. « Un tronc va prendre entre un demi et un centimètre par an. Cela est tout à fait gérable. Et on n’a pas forcément besoin de rabaisser le tronc. Si nécessaire, il existe toutefois des techniques qui évitent de couper du bois vieux. On peut partir de plus bas, ou envisager de faire évoluer le palissage », répond Carole Dumont.

Le palissage est d’ailleurs pour elle un autre faux problème. « Tout est dynamique. Le fait est qu’aujourd’hui on a très peu de vignes de 40 ans qui produisent, et avec les évolutions du climat, d’ici 40 ans, on n’aura peut-être plus de palissage. On verra à ce moment-là. Commençons par arrêter de faire du sec dans les pieds et par produire du raisin. Le premier pas à faire, c’est de décider de changer ses habitudes », estime-t-elle. 

Gabrielle Lantes

Carole Dumont, consultante chez Simonit & Sirch. © GL

Et la taille tardive ?

Traditionnellement taillée en phase de dormance, la vigne peut aussi l’être plus tardivement, pour retarder le débourrement et limiter le risque d’exposition au gel. « La difficulté, c’est de bien positionner cette taille pour retarder le débourrement, sans impacter le rendement et les composantes du rendement », souligne Alain Deloire, de l’Institut Agro Montpellier.

Également invité à intervenir lors de la journée technique des Côtes de Provence, il rappelle : « Avant débourrement, la vigne est dormante et la taille durant l’endormance – en général entre de novembre et janvier – ne retarde pas le débourrement. La vigne entre ensuite en écodormance, de janvier à mars. Et ce n’est que pendant les pleurs, quand le système racinaire se remet en activité, que l’on commence à retarder le débourrement d’à peu près six jours. La complexité, c’est de prévoir le moment et la durée des pleurs », pointe Alain Deloire. D’autant que l’on observe « de plus en plus de problèmes de levée de dormance, car les hivers sont de plus en plus chauds ».

L’organisation de la taille en deux temps est aussi difficile. « Quand il fait chaud, la fenêtre de tir peut être très courte. La pratique est intéressante, mais pour la mettre en place, il faut être très vigilant et très organisé, au risque que la vigne, épuisée par le débourrement des bourgeons hauts, n’assure plus le débourrement des bourgeons bas après la deuxième taille », alerte Carole Dumont, consultante chez Simonit & Sirch.

Atelier pratique avec Massimo Giudici, de chez Simonit & Sirch. © GL