PATRIMOINE
La pomme de terre en héritage

Pauline De Deus
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Symbole du village de Saint-Alban-d'Ay, la Truffole nord ardéchoise est l'une des premières cultivée en France. Récit aux origines de la patate.

La pomme de terre en héritage
Au centre du village de Saint-Alban-d'Ay, on peut admirer la fontaine des Truffoles, inaugurée en mai 2013. ©AAA_PDeDeus

On pense souvent que la pomme de terre, solanum tuberosum de son nom scientifique, est arrivée en France au XVIIIe siècle avec Antoine-Augustin Parmentier (1737-1813). Pourtant, ce pharmacien érudit, auteur de travaux concernant l’alimentation, l’hygiène et la prévention, n’a fait que populariser la pomme de terre, qui était encore méconnue en France à cette époque. Néanmoins, certains territoires la cultivaient depuis de nombreuses années. C’est notamment le cas du Nord Ardèche où le tubercule avait été introduit deux siècles plus tôt par un moine originaire du territoire. Vers 1540, après avoir vécu à Tolède, en Espagne, Pierre Sornas décide de rentrer chez lui pour finir ses jours. Natif de Becuse, hameau de Saint-Alban-d’Ay, il revient avec un présent : des tubercules qu’il plante alors dans le village. Ces Truffoles avaient été découvertes quelques années auparavant par les colons espagnols en Amérique du Sud. En France, elles sont d’abord utilisées pour nourrir les cochons avant de commencer à être consommées par la population et d’entrer progressivement dans les mœurs, avec Parmentier.

Un tubercule venu du nouveau monde

Les colons espagnols découvrent la Truffole sur l’Altiplano andin (partie Pérou, Bolivie) et l’archipel de Chiloé (Chili). Sur ces territoires, des peuples natifs installés depuis des centaines d’années se nourrissaient de maïs et de pommes de terre. Ces dernières sont appelées « papas » en langues quechua et aymara. Pedro Cieza de Leon, conquistador et chroniqueur du nouveau monde, en laisse une trace dans ses écrits en 1553. « Dans des lieux voisins de Quito, les habitants ont, avec le maïs, une autre plante qui leur sert en grande partie à subsister : les papas, à racines presque semblables à des Truffes, dépourvues de toute enveloppe plus ou moins dure. Lorsqu’elles sont cuites, elles ont la pulpe presque aussi tendre que la chair de châtaignes, séchées au soleil, on les appelle Chuno et on les conserve pour l’usage. » Pour ces sociétés, la pomme de terre (base alimentaire) revêt une importance toute particulière. Des céramiques parfois vieilles de plus de 2000 ans en attestent, puisque la « papa » y est représentée sous différentes formes.

Une identité ancrée

À la manière des peuples précolombiens, les Saintalbanais célèbrent eux aussi la Truffole. Si aujourd’hui les triffolières (champs de patates) ont disparu du paysage, le village s’est approprié cette identité historique. Dès l’entrée de la commune, un panneau l’indique : il s’agit du « berceau de la Truffole ». Le visiteur, interpellé, peut ensuite se rendre au centre du bourg où se trouve « la fontaine des Truffoles », inaugurée en mai 2013. Cette œuvre représente un champ de pommes de terre, où est renversé un panier avec diverses variétés de Truffoles. Des panneaux retraçant l’histoire du tubercule accompagnent l’installation. L’un d’eux reprend l’extrait d’un ouvrage rédigé à la fin du XVIIIe siècle par le marquis de Satillieu, Charles du Faure de Saint-Sylvestre. C’est dans ces pages que nos contemporains ont appris l’existence du moine ayant rapporté la pomme de terre à Saint-Alban-d’Ay. Depuis des sculptures, des chants, des peintures, et même des cartes postales ont été créés en son honneur… À travers les âges, le tubercule a su s’imposer comme un élément à part entière de la culture nord ardéchoise.

Pauline De Deus

Source : Saint-Alban-d’Ay, Berceau de la Truffole, Histoire de la pomme de terre, 2013.
La Truffole : une marque en attente
La maison Vernet commercialise une centaine de tonnes sous la marque Truffole chaque année. ©AAA_PDeDeus
COMMERCIALISATION

La Truffole : une marque en attente

Pour promouvoir le territoire ardéchois et sa pomme de terre, une association a été créée en 1997, mais aujourd’hui, les producteurs se font rares et la structure peine à se réinventer.

« La marque Truffole, c’est une reconnaissance du terroir et une possibilité de développer la production ! » Remi Vernet est aujourd’hui le seul opérateur de commercialisation de la Truffole, avec sa société Pat’ifol, installée à Lemps. En tant que président, il porte à bout de bras l’association agricole de promotion de la Truffole depuis 5 ans. Aujourd’hui, ils ne sont plus que deux producteurs de Truffoles : la maison Vernet à Lemps et le Gaec Coste à Cheminas. Autre problème, la reconnaissance de la marque. En 2023, encore, l’association n’a pas pu déposer Truffole auprès de l’INPI en raison de l’usage de ce nom en Espagne, également pour une marque de pommes de terre.

Une action commune des producteurs

L’action des producteurs avait pourtant bien commencé. Dans les années 2000, une organisation commune a été développée pour stocker, puis conditionner les pommes de terre dans un emballage unique, créé spécialement pour le Truffole et mettant en avant la marque. Le tout en intégrant des recettes… À base de Truffoles, bien sûr ! Mais entre les difficultés logistiques de stockage, les coûts des emballages et les problèmes de suivi, l’association s’est retrouvée dans le rouge et l’initiative s’est arrêtée à la fin des années 2000. « Depuis nous avons pu assainir les comptes, témoigne Rémi Vernet. Pour autant l’association reste en sommeil. »

Faire le lien entre passé et futur

Pour le producteur nord ardéchois, l’association est un outil en attente. « Il y a un réel travail de fond à relancer. Pour faire connaître notre histoire, notre territoire et créer une dynamique économique… C’est une manière de faire le lien entre le passé et le futur. » Mais les bras manquent. La culture de pommes de terre, autrefois courante dans de nombreuses exploitations, se fait plus rare aujourd’hui du fait de la spécialisation des agriculteurs. La réduction des surfaces agricoles ne fait qu’amplifier ce phénomène. Pour autant, Rémi Vernet a la conviction qu’un travail collectif est possible : « Dans les communes alentour, déjà, on est quelques producteurs, et il y a aussi les autres pommes de terre ardéchoises, la Violine de Borée [NDLR : variété ancienne], les Échamps de l’Eyrieux… Si on prend le territoire dans sa globalité et avec le soutien des pouvoirs publics, on pourrait développer un projet de valorisation de nos marques ardéchoises. Plus on sera nombreux et mieux on y arrivera, mais pour ça, il faut qu’il y ait des motivés ».

P.D.-D.

Des forces mobilisées pour la Truffole

En Nord Ardèche, plusieurs structures ont été créées autour de la Truffole :

  • Association La Truffole fonds historique, dont le président est Joël Ferrand. Elle travaille sur l’aspect historique pour améliorer les connaissances autour de la Truffole et les diffuser auprès du grand public.
  • La confrérie des chevaliers de la Truffole, elle est actuellement peu active mais compte parmi ses chevaliers le chef Régis Marcon ou encore l’ancien ministre Olivier Dussopt.
  • L’association de promotion de la Truffole, dont le président est Rémi Vernet et qui s’occupe du volet agricole et de la marque de pommes de terre (voir ci-contre).
  • L’association Les Amis de la Truffole, dont le président est Daniel Thivolle et qui a pour objectif d’animer le village de Saint-Alban-d’Ay autour de son identité. De 1995 à 2015, l’association a été très active, avec des animations régulières telles que des concours de plus longue épluchure ou des visites du patrimoine. Aujourd’hui par manque de forces vives, elle limite son activité à l’organisation de conférences, une à deux fois par an, toujours en lien avec le Haut-Vivarais et la pomme de terre.