INTERVIEW
« Nous souhaitons que cette revalorisation des retraites agricoles à 85 % du Smic aboutisse »

INTERVIEW / L’Assemblée nationale a adopté le 18 juin en séance publique la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des retraites agricoles à 85 % du Smic. Le texte doit encore être examiné par le Sénat. Le point avec Robert Verger, président de la commission sociale de la FNSEA.

 « Nous souhaitons que cette revalorisation des retraites agricoles à 85 % du Smic aboutisse »
ITW
Robert Verger. ®Oise agricole

La proposition de loi du député André Chassaigne (PCF-Puy-de-Dôme) sur la revalorisation des retraites agricoles à 85 % du Smic a été adoptée le 18 juin à l’Assemblée nationale. Que vous inspire-t-elle d’une manière générale ?

Robert Verger : « Depuis 2003, la FNSEA demande une retraite agricole minimum à 85 % du Smic alignée sur celle des salariés. Il est anormal qu’un salarié bénéficie d’une retraite minimum calculée sur 85 % du Smic lorsqu’un exploitant touche un minimum basé sur 75 % du Smic. Cette adoption est donc une heureuse surprise. D’autant que les choses étaient loin d’être faites. Malgré notre insistance, le chef de l’État avait clairement dit, en mars dernier au Salon de l’agriculture, qu’il n’y aurait pas d’avancée dans la réforme des retraites. Et le gouvernement avait auparavant tout fait pour se débarrasser de cette proposition de loi en mars 2018. Ce retour dans le débat va dans le sens de nos demandes. C’est une initiative qu’il convient de saluer comme il se doit. Mais le sort de cette proposition de loi reste encore incertain compte tenu des équilibres politiques actuels. J’espère que le bon sens prévaudra. »

À ce jour, ce texte devrait permettre aux agriculteurs qui ont une carrière complète de toucher 1 000 € net par mois, soit 85 % du Smic. Est-ce que ce sera aussi le cas des poly-pensionnés ?

R.V. : « Ce vote à l’Assemblée nationale est le résultat d’un compromis entre parlementaires et pouvoirs publics. Le gouvernement a revu le texte proposé par André Chassaigne. Il a imposé un plafonnement pour les poly-pensionnés et un décalage de l’entrée en vigueur de la mesure à 2022. Ces ajustements diminuent le coût de la revalorisation de 407 millions d’euros (M€) par an à 261 M€ annuels. Cette revalorisation à 85 % du Smic tiendra en effet compte des différentes retraites perçues par les poly-pensionnés. Le minimum de 1 000 € ne concernerait donc pas ceux dont le cumul de retraites permet de toucher une somme supérieure à ce montant. Cela exclut 100 000 agriculteurs retraités (196 000 bénéficiaires potentiels sur un total initial de 290 000). Nous prenons acte de ce compromis. Ce que nous voulons, c’est que cette revalorisation à 85 % du Smic des retraites agricoles devienne réalité et l’améliorer ensuite. Nous retenons que cette proposition de loi vise à la fois les chefs d’exploitation retraités et les futurs retraités. Rappelons que le projet de réforme des retraites voté en première lecture ne vise que les futurs retraités à compter de 2022 et prévoit une revalorisation progressive à horizon 2025. »

La proposition de loi d’André Chassaigne demandait une mise en oeuvre de la revalorisation dès le 1er janvier 2021. Par amendement, la majorité impose d’attendre 2022. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous des craintes que le financement de la réforme ne suive pas ?

R.V. : « À travers cette réforme, l’État s’engage à financer les retraites. Cependant, la crise du Covid-19 a mis à mal les recettes des caisses de retraites. La discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021, discutée en fin d’année au Parlement, doit clarifier le financement de cette revalorisation. Nous serons en particulier très vigilants pour que ce soit bien la solidarité nationale qui finance cette revalorisation conformément aux engagements du gouvernement. Nous veillerons à ce que le financement de la mesure ne revienne pas, en définitive, tout ou partie aux actifs comme cela avait été le cas lors de la revalorisation des retraites des chefs d’exploitation à 75 % du Smic. »

Cette proposition de loi ne semble pas tenir compte du sort des conjoints d’exploitants. Quelles sont vos propositions sur ce sujet ?

R.V. : « Effectivement, la proposition de loi vise à assurer un minima de retraite à 85 % du Smic aux chefs d’exploitation à carrière complète. Elle ne vise pas les conjoints, ni les aides familiaux dont la pension minimum reste fixée à 555 € par mois. Pour nos organisations qui demandent l’alignement sur les 85 % du Smic depuis 2003, c’est un pas en avant, fruit d’un travail de longue haleine. Mais ça n’est pas suffisant. Les retraites des membres de la famille doivent être revalorisées. Dans le cadre de la réforme des retraites, nous avons travaillé sur le statut du conjoint et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait le limiter dans le temps au profit de statuts de chef d’exploitation ou de salarié qui ont de meilleurs droits à retraite. »

Cette réforme arrive dans un contexte économique particulièrement compliqué et alors même que l’examen parlementaire de la réforme des retraites (retraite à points) est au point mort. Le risque n’est-il pas, à terme, que le régime agricole tombe dans l’escarcelle du régime général ?

R.V. : « La réforme des retraites est malmenée depuis plusieurs mois. On l’a vu avec les Gilets jaunes. Le Covid-19 vient d’ajouter des contraintes financières supplémentaires. Si j’en crois le rapport du Conseil d’orientation des retraites sorti le 11 juin, l’impact serait très important. Alors qu’en novembre 2019, la prévision de déficit pour 2020 était de 4,2 milliards, elle est désormais de 29,4 milliards. C’est dire l’ampleur du phénomène. Cependant, la Mutualité sociale agricole (MSA) reste un exemple à bien des égards : parce qu’elle est un guichet unique, qu’elle est répartie sur tout le territoire et qu’elle est aujourd’hui l’un des rares régimes à maintenir une compensation démographique élevée : deux retraités perdus pour un entrant. C’est un très bon ratio, en comparaison des autres régimes. Bien que la Cour des comptes souhaite un rapprochement de la MSA avec le régime général, je reste convaincu que les spécificités de la MSA, notamment son volet « retraites » continueront d’être défendues. »

Propos recueillis par Actuagri

Réactions FNSEA-JA / Une victoire historique à transformer

Le réseau FNSEA-JA milite depuis de nombreuses années pour obtenir une revalorisation légitime des pensions agricoles. Pour les responsables syndicaux, l’adoption le 18 juin de la proposition de loi est une victoire significative mais qu’il faut transformer.

Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA et président de la FRSEA Massif central : « C’est une victoire historique ! Depuis des années, des décennies, des générations d’anciens se sont battues pour la revalorisation des pensions agricoles. Nous avons encore récemment porté ce débat au moment de la réforme des retraites où des avancées avaient déjà été obtenues mais pas pour les retraités actuels. La loi Chassaigne, même amendée, va permettre de récupérer près de 200 000 retraités agricoles dont la pension (pour une carrière complète, ndlr), va être portée à 85 % du Smic, c’est une excellence nouvelle, une grande satisfaction pour la FNSEA qui le demandait depuis longtemps comme pour des générations de responsables agricoles. Deux bémols notables subsistent : Pourquoi attendre 2022 alors que nous souhaitions un effet immédiat, au plus tard en janvier 2021 pour l’application de cette mesure ? Et pourquoi exclure ceux qui ont cotisé et donc émargent à d’autres régimes, soit environ 100 000 poly-pensionnés? Nous sommes satisfaits de ne rien avoir lâché quand bien même le chef de l’État nous avait opposé une fin de non-recevoir il y a quelques mois seulement au Salon de l’agriculture ».

Jean-Claude Chalencon, président de la section régionale des anciens de la FRSEA Auvergne Rhône-Alpes : « C’est une première victoire syndicale, que l’on poussait depuis quinze ans, même s’il faut que cela arrive au bout avec un vote favorable du Sénat. Le financement se trouvera. En revanche, il reste du chemin à faire pour les conjointes d’exploitants, les aides familiaux, et les poly-pensionnés qui pourraient être pris au moins au prorata de leur activité dans le secteur agricole ». n