VENDANGES
Gérer le taux d’alcool : nouveau défi pour les viticulteurs

Pauline De Deus
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Depuis plusieurs années, les changements climatiques ont rapidement fait évoluer les problématiques viticoles : les enjeux liés au réchauffement climatique ont fait la part belle à de nouveaux axes de gestion de la vigne. Un travail d’adaptation que les viticulteurs s’évertuent à ajuster chaque année, pour trouver l’équilibre attendu sur la production.

Gérer le taux d’alcool : nouveau défi pour les viticulteurs

« Il est évident que les choses ont fondamentalement changé depuis environ 25 ans, et ce, notamment en raison du réchauffement climatique » assure Lionel Fraisse, gérant du domaine Alain Voge à Cornas. Et en effet, pendant de nombreuses années, le travail de la viticulture et de la vinification tenait dans l’idée de concentrer le vin pour obtenir un taux d’alcool satisfaisant. Et pour cela, les vignerons avaient recours à de nombreuses techniques : « il y a une trentaine d’années, on concentrait la vendange, on baissait les rendements, on travaillait sur le matériel végétal, on avait recours à des intrants de mûrissement, on chaptalisait les vins… tout cela dans le but d’augmenter le degré alcoolique du vin. S’il était à 12 degrés, on allait utiliser ces techniques pour le faire monter à 13 degrés », explique Lionel Fraisse. Depuis, le combat s’est inversé : le réchauffement climatique a détourné les objectifs des viticulteurs en leur demandant de s’adapter aux fortes chaleurs, et donc aux potentielles situations de sécheresse. « Notre travail varie chaque année, mais il consiste principalement à trouver un équilibre entre maturité alcoolique (qui s’accélère lors des années chaudes, sèches et précoces) et maturité phénolique (maturité des tanins, fondamentaux sur les cépages en rouge). » Le problème étant que sur les millésimes très précoces, sur laquelle la maturité alcoolique est atteinte, la maturité phénolique ne l’est souvent pas. Le taux d’alcool augmente et l’acidité chute, ce qui crée de potentiels déséquilibres organoleptiques et microbiologiques.

Pour éviter tout cela, Lionel Fraisse est convaincu que chaque terroir a des ressources qui lui sont propres : « de Saint-Péray à Cornas, nous avons un vignoble en coteaux : cela nous permet de monter en altitude et donc d’éviter les fortes chaleurs, notamment la nuit. Par ailleurs, sur les cépages blancs, le problème se trouvera moins dans l’augmentation du taux d’alcool que dans le manque d’acidité. Il y a une multitude de leviers à actionner en fonction de chaque cépage. » 

S’adapter aux changements climatiques pour amortir la transformation du vin

Pour gérer le taux d’alcool dans la production, il existe aujourd’hui plusieurs solutions : mais toutes ne sont pas autorisées, ou comportent des risques pour la structure organoleptique des vins. C’est le cas pour les vins d’appellation contrôlée, pour qui la technique de « désalcoolisation » est proscrite.

Pour Axel de Couët, œnologue à la chambre d’agriculture du Rhône (Villefranche) et conseiller viticole pour les vignobles du Beaujolais, chaque année a son lot d’aléas. Il y a donc un réel intérêt à surveiller la vigne : « Nous avons un réseau maturation qui suit la vigne. Nous effectuons des prélèvements deux fois par semaine, dès que le taux de véraison a atteint 25%. Ainsi, tout le vignoble est suivi dans l’avancée de la maturation. En se basant sur cette étude de taux de sucre et de polyphénol, la décision revient à chaque vigneron de vendanger lorsqu’il le souhaite. » Cette année, sur le vignoble, c’est un beau potentiel qui se présente, notamment grâce aux pluies survenues en juillet et en août. L’année dernière, les vignes étaient en situation de stress hydrique. Pour faire face à ces incertitudes d’une année sur l’autre, l’observation est donc un levier fondamental. Par ailleurs, certains vignerons décident également de récolter à sur-maturité ou à sous maturité. Ceux qui ont de nombreuses parcelles choisiront de récolter à la fois à maturité, en sous-maturité et en sur-maturité, afin de créer un assemblage équilibré. « Chacun a une manière de gérer les vignes, ses cuvées, il n’y a pas qu’une seule solution. Chaque année, les vignerons s’adaptent au climat et mettent en places différents éléments pour gérer les aléas, fais des essais : hauteurs de feuillages, essais d’agroforesterie, essais de couverts végétaux… dans le but d’adapter la vigne au réchauffement climatique et atténuer ses effets. »

Car si les conditions météorologiques ont beaucoup évolué ces dix dernières années notamment, les aléas climatiques ont toujours été le combat des vignerons. Chaque terroir déploie les ressources qui lui sont propres : c’est un travail titanesque qui les attend chaque année, afin d’adapter les solutions qui s’offrent à eux, selon les besoins des différents terroirs et cépages.

Charlotte Bayon

Une parcelle emblématique du domaine Alain Voge, située à 400m d'altitude, au sein du lieu-dit Saint-Pierre à Cornas. ©Chloé Lapeyssonnie