SANITAIRE
Le point sur la maladie hémorragique épizootique

Pauline De Deus
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Moins d’un an après son arrivée sur le vieux continent, la maladie hémorragique épizootique (MHE) a conquis cinq pays et surprend par des effets sur les bovins plus graves qu’attendu. Après son apparition dans les Pyrénées françaises le 18 septembre, le manque de recul sur cette maladie complique le dispositif de lutte, tandis que les éleveurs réclament un accompagnement économique. 

Le point sur la maladie hémorragique épizootique
La chaleur de l’automne 2023 offre un climat idéal pour la propagation du vecteur de la MHE : les moucherons du genre Culicoides. ©DR

Trois foyers mi-septembre et 2019 au 26 octobre. Depuis son arrivée en France, la maladie hémorragique épizootique (MHE) a connu une progression éclair. Face à cette nouvelle pathologie, venue du Sud sous l’effet du réchauffement climatique, les éleveurs de bovins sont dans l’incertitude. Proche de la fièvre catarrhale ovine (FCO) par son mode de transmission et ses symptômes, la MHE présente en théorie un impact sanitaire relativement limité en termes de mortalité, même si les données sont encore évolutives. Après les premiers cas français dans les Pyrénées-Atlantiques et les Hautes-Pyrénées, la MHE s’est rapi[1]dement disséminée dans le Sud-Ouest de l’Hexagone1, sans pour autant toucher la Suisse, comme cela avait été annoncé par les autorités. Selon David Ngwa Mbot, vétérinaire conseil à GDS France, la chaleur de l’automne 2023 offre « un climat idéal pour la propagation du vecteur de la MHE » : les moucherons du genre Culicoides. Il s’agit de la même famille d’insectes qui véhicule la FCO. Aidés par le vent, ces moucherons peuvent parcourir jusqu’à 2 km par jour. Excepté le froid, l’insecte n’a pas de réelle barrière. « La MHE est une maladie transmissible, mais pas contagieuse. Un animal malade ne peut pas en infecter un autre directement, rappelle Stéphan Zientara, directeur du laboratoire de santé animale de l’Anses. Seuls les moucherons Culicoides peuvent transmettre la maladie, en piquant un animal sain après avoir piqué auparavant un bovin malade. » Autre mode de dissémination possible : les transports d’animaux vivants. En revanche, la MHE ne peut pas être transmise à l’homme. Au-delà de l’insecte vecteur, FCO et MHE partagent les mêmes symptômes : fièvre, anorexie, boiteries, ulcération des muqueuses, etc. Et en théorie, comme la FCO, «la MHE provoque très peu de mortalité sur les bovins, dans moins de 1 % des cas », note l’Anses. Toutefois, sur le terrain, GDS France appelle à la prudence : « Les conséquences dans les premiers élevages ont pu être lourdes », estime son vétérinaire conseil, avec une morbidité autour de 15 % (part d’animaux malades dans l’ensemble du troupeau), voire jusqu’à 30 %.

Pas de vaccin à court terme

Face à une maladie comme la MHE, « l’outil le plus efficace reste la vaccination lorsqu’elle est largement mise en œuvre dans et autour des zones infectées pour créer un cordon sanitaire, rappelle David Ngwa Mbot. Mais il n’existe pas actuellement de vaccin contre le sérotype 8 qui est présent en France, et il faudrait trois à cinq ans pour en obtenir un ». Mais rien ne garantit que la vaccination serait économiquement viable. Du côté des éleveurs aussi, il semble trop tôt pour se lancer dans l’aventure vaccinale. Laurent Saint-Affre, membre du bureau national de la FNSEA et éleveur aveyronnais mise notamment sur «l’immunité collective» que le cheptel pourrait acquérir progressivement après plusieurs années de circulation de la maladie, à la manière de la FCO. Comme l’explique David Ngwa Mbot, «quand l’arme de choix du vaccin n’est pas disponible, les mesures de prévention et de restriction des mouvements – avec les dépistages associés – restent les plus pertinentes pour ralentir la diffusion d’une maladie vectorielle ». C’est la stratégie adoptée par la France, via un arrêté du 23 septembre, complété par un deuxième texte du 29 septembre. Les ruminants ne peuvent plus sortir des zones réglementées pour la MHE (150km autour des foyers), à moins de subir une désinsectisation et de présenter un test PCR négatif. Des dérogations existent également pour le retour d’estive, l’abattage ou encore l’export (lire encadré).

Accompagnement des éleveurs

Un sujet fait l’unanimité au sein des syndicats agricoles : la nécessité d’un accompagnement économique des éleveurs. Les professionnels espèrent des pouvoirs publics un soutien sur au moins deux volets : les frais sanitaires et le maintien des animaux en ferme. La FNB (éleveurs de bovins viande, FNSEA) a réclamé, dans un communiqué du 27 octobre, des « décisions urgentes » sur les indemnisations des pertes liées à l’épizootie. Au niveau sanitaire, le syndicat veut que les éleveurs puissent déposer « très rapidement » sur Internet leur demande d’indemnisation (frais vétérinaires, produits de traitement, temps de travail, mortalité, avortements et problème de fertilité). La FNB plaide aussi pour des mesures financières pour les « zones touchées » (prise en charge des cotisations MSA, allègements de charges, prêts à taux zéro). Autre demande : la prise en charge par l’État des tests PCR nécessaires pour sortir les animaux de la zone réglementée. La FNB veut que les animaux testés positifs puissent être abattus, avec une « compensation financière de l’État de la moins-value par rapport à leur valeur initiale ». Elle demande aussi une aide au maintien des animaux en ferme, dont le coût moyen est de 3 € par jour ; une compensation pour la « dévalorisation commerciale des animaux»; ainsi que «la confirmation d’une dérogation au seuil de chargement pour la Pac, pour les zones où les sorties d’animaux sont perturbées».

Y. G., L. R. et Agra 

1 Au 27 octobre, les foyers de MHE concernaient 11 départements : Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Gers, Landes, Ariège, Aude, Tarn, Lot[1]et-Garonne, Gironde, Tarn-et-Garonne. La Suisse avait notifié deux foyers de MHE dans le canton de Berne et dans le canton du Jura, qui ont été infirmés le 24 octobre, permettant de lever immédiatement les mesures prises côté français. Les foyers et l’avancée de la zone réglementaire sont consultables sur le site du ministère
« Certains marchés restent encore bloqués »
Selon Michel Fénéon, président de la commission import-export à la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB), l’avancée de la maladie va légèrement perturber les cours des bovins. ©Eurofeder
TROIS QUESTIONS À

« Certains marchés restent encore bloqués »

Quelles sont les conséquences de la MHE sur le commerce de bovins ? Le point avec Michel Fénéon, président de la commission import-export à la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB).

La loi de santé animale classe la MHE en catégorie D + E. Qu’implique ce classement ?

Michel Fénéon : « Depuis cette loi, les États membres ne peuvent pas exporter d’animaux vivants issus des zones réglementées chez leurs voisins de l’Union européenne. Ces zones réglementées forment un rayon de 150 km autour des cas avérés de MHE et bloquent les flux intercommunautaires. Mais une modification du texte, survenue en 2021, permet de trouver des accords bilatéraux entre États membres et de rouvrir les fron[1]tières. La France en a donc conclu avec l’Espagne et l’Italie, nos deux plus gros importateurs. Comme la maladie vient notamment de l’Espagne, ce pays demande simplement une désinsectisation des animaux. L’Italie, qui a contracté des cas en Sicile et en Sardaigne, demande la désinsectisation et un test PCR négatif qui est réalisé chez l’éleveur par le vétérinaire. Les résultats sont obtenus dans la journée ou le lendemain, sous condition d’être proche d’un laboratoire agréé, et la validité du test est ensuite de 14 jours. Lorsque la maladie a commencé à monter de l’Espagne, nous avons demandé aux laboratoires de s’équiper de kits de tests, de façon à ne pas créer d’attente. Certains marchés restent néanmoins encore bloqués. En Algérie, la MHE est arrivée à une très mauvaise période, puisque le marché venait de rouvrir au 1er septembre après plusieurs mois de fermeture. Nous avions donc préparé 22 000 têtes à expédier de la France vers l’Algérie. Mais lorsque la France a déclaré ses trois premiers cas de MHE dans les Pyrénées, l’Algérie a fermé ses importations, suivi par le Maroc et la Tunisie. Actuellement, nous avons trouvé un accord avec la Tunisie. Les négociations avec le Maroc avancent bien, mais celles avec l’Algérie s’enlisent. »

Les accords sont-ils les mêmes concernant les veaux ?

M. F. : « Les veaux français ont principalement deux destinations : l’Espagne et la France. Lorsqu’ils sont exportés en Espagne, l’accord bilatéral cité ci-dessus prévaut. Dans le cas de veaux envoyés à des intégrateurs français dans une zone indemne de la maladie, un accord a été trouvé avec la Direction générale de l’alimentation (DGAL), spécifiant que la désinsectisation suffit. Cette décision a été motivée par le fait que, dans ce cas précis, les veaux partent dans un bâtiment d’engraissement fermé, ce qui limite drastiquement le risque de propagation de la maladie. »

La survenue de cette maladie a-t-elle des répercussions sur le cours des bovins ?

M. F. : «Cette situation apporte un flou. Sur les cotations des broutards mâles de 6 à 12 mois charolais et limousins, publiées par Interbev, nous avons remarqué que de la semaine 33 à la semaine 39, les cours ont fortement augmenté de 0,20 €/kg environ, à la suite de l’ouverture du marché algérien. À la fin de la semaine 39, les premiers cas de MHE ont été déclarés en France. Le marché algérien et les autres marchés des pays tiers se sont fermés, ce qui a eu pour conséquence la baisse des cours de 0,10 à 0,15€/kg. L’avancée de la maladie va perturber les cours, mais ce n’est rien de flagrant, puisque nous sommes de toute façon dans un contexte de décapitalisation avec moins de bovins disponibles. »

Propos recueillis par Léa Rochon