PERSPECTIVE
Une loi d’orientation et d’avenir agricole se prépare

Auvergne-Rhône-Alpes a clôturé la tournée des concertations régionales sur le projet de loi d’orientation et d’avenir agricole en préparation. Orientation et formation ; installation et transmission ; adaptation et transition face au changement climatique sont les thèmes sur lesquels la profession et les élus ont dû se prononcer.

Une loi d’orientation et d’avenir agricole se prépare
La prochaine loi d’orientation et d’avenir agricole doit répondre aux impératifs de renouvellement des générations, de transitions et d’adaptations dans un objectif de souveraineté agricole et agroalimentaire. ©CE-Service_audiovisuel

Le lycée agricole de Précieux dans la Loire a accueilli, mercredi 26 avril, la restitution des débats régionaux sur la loi d’orientation agricole. Fort d’un diagnostic exhaustif, plusieurs leviers d’action ont été mis sur la table.
Lancée le 1er février dernier, la concertation régionale, imaginée comme un synopsis de ce que pourrait être la loi d’orientation agricole et d’avenir, est entrée, mercredi 26 avril, dans sa phase finale en Auvergne-Rhône-Alpes. Loi qui devrait être examinée par les députés à l’automne prochain. Conformément à la demande du ministère de l’Agriculture, trois groupes de travail ont été constitués autour de trois enjeux majeurs : « installation-transmission », « orientation-formation » et « adaptation et transition face au changement climatique ». Une vingtaine de structures s’est investie dans chacun des groupes et étudié une soixantaine de propositions. Deux réunions par groupe se sont tenues depuis février, permettant d’isoler quatre propositions jugées comme fondamentales pour projeter l’agriculture en 2040.

Orientation-formation : quatre préconisations

Priorité numéro 1 : parler des métiers de l’agriculture pour donner envie, investiguer les nouveaux outils, témoigner, « faire entrer l’agriculture dans les écoles auprès des jeunes et des moins jeunes, bref, convaincre des opportunités offertes par les métiers de l’agriculture », a résumé Jean-Claude Darlet, président de la chambre d’agriculture de l’Isère, superviseur du groupe « orientation-
formation ». Seconde priorité, monter en compétences en donnant la possibilité aux titulaires d’un BTS agricole de poursuivre sur une troisième année
d’enseignement supérieur au sein des lycées agricoles. « C’est un trou dans la raquette que nous sommes nombreux à avoir perçu depuis plusieurs années déjà. » Dans la même veine, les contributeurs préconisent de revoir les contenus et la durée des formations, « afin de tenir compte des réalités du métier d’aujourd’hui et de demain ». Enfin, la quatrième proposition vise à combler ce qui est qualifié souvent d’angle mort des parcours de formation, à savoir, l’acquisition de compétences sur la gestion d’entreprise et des salariés agricoles.

Installation-transmission : comment susciter des vocations ?

Pour relever le défi de l’installation-transmission à l’heure où 23 % des exploitants d’Auvergne-Rhône-Alpes ont plus de 60 ans, dont un tiers ignore encore le devenir de leur ferme, quatre priorités ont été définies. Sur le volet juridique, la reconnaissance des sociétés coopératives (Scop et SCIC) en tant qu’entité agricole pour permettre l’accès à des droits similaires aux sociétés agricoles (Gaec, Earl…) est suggérée. Seconde proposition, la création de points uniques accueil installation-transmission, afin de réunir offres et demandes, et faciliter ainsi la visibilité pour les cédants comme pour les porteurs de projets. Testé dans quelques départements, le Gaec à l’essai, ainsi que tout autre dispositif destiné aux futurs exploitants comme aux salariés agricoles, font l’objet d’une troisième proposition. « Enfin, pas de projet sans facilitation de l’accès au foncier, une quatrième priorité déclinée en plusieurs idées fortes : trouver des moyens de portage de foncier ou de parts sociales, faciliter les échanges parcellaires, conforter le contrôle des structures… », a détaillé Rémy Jousserand, élu en charge de l’installation-transmission à la chambre régionale et élu à la chambre d’agriculture de la Loire.

Évolution plutôt que révolution

Sur la question de l’adaptation et de la transition face au changement climatique, cinq propositions ont été émises : faciliter la mise en oeuvre de la réglementation avec, en creux, la volonté de simplifier et de remettre de la cohérence aux niveaux national comme européen ; reconnaître et promouvoir le rôle des prairies permanentes et systèmes herbagers notamment dans la captation du carbone et des services écosystémiques rendus ; accompagner la prise de risque des agriculteurs avec la mise en place d’un dispositif d’un droit à l’essai ou à l’erreur ; former les animateurs de collectifs d’agriculteurs pour qu’ils soient davantage dans une posture d’accompagnateurs, de stimulateurs d’idées, de facilitateurs de changements, plutôt que dans la posture de conseil individuel préconisateur ; enfin avancer sur les usages de l’eau en agriculture en travaillant sur le partage et la priorisation, et en constituant des réserves et des stockages. « Globalement, au sein de ce groupe, nous avons atteint un consensus autour de la notion d’adaptation de l’agriculture plutôt que de rupture », a souligné Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture de la Drôme.

Sophie Chatenet

“L’agriculture française sera de plus en plus dépendante des actifs non familiaux”
François Purseigle. ©DR
INTERVIEW

“L’agriculture française sera de plus en plus dépendante des actifs non familiaux”

François Purseigle est professeur des universités en sociologie des mondes agricoles à l’INP-Agro Toulouse et chercheur associé au Cevipof Sciences Po Paris. Lors de la rédaction de son dernier ouvrage Une agriculture sans agriculteurs, sorti en octobre 2022, le sociologue a mesuré les attentes des futurs agriculteurs (trices).

Selon vous, sur quel axe1 la loi d’orientation agricole doit-elle le plus travailler pour répondre aux enjeux futurs ?

François Purseigle : « Ce qui est pertinent, c’est de mettre l’accent sur le renouvellement des actifs et sur la nécessaire montée en compétences des producteurs agricoles. Nous avons une population agricole qui est bien formée, mais l’enjeu, c’est de la rendre plus compétente pour qu’elle s’adapte à des changements structurels. Ensuite, les exploitations actuelles sont de moins en moins organisées autour d’un travail familial : un agriculteur est autant amené à s’installer qu’à manager. Les agriculteurs font également face à deux types de défi. Le premier concerne le renouvellement des actifs et le second est la capacité de créer de la valeur à l’échelle de la ferme. À tout cela, s’ajoute une nouvelle donnée : la gestion des aléas environnementaux. Tous ces axes de travail sont donc interdépendants. »

Quel pourrait être le profil des agriculteurs (trices) de demain ?

F. P. : « J’observe que les nouvelles générations rentrent plus tardivement dans le métier. Lorsque nous parlons des moins de 40 ans, l’âge moyen des installations agricoles est de 30 ans. Ces nouvelles générations font leur classe dans d’autres secteurs économiques. Certains ont souvent été salariés auparavant. En réalité, les enfants d’agriculteurs ne s’installent pas toujours tout de suite non plus et se projettent différemment dans la façon de commercialiser. Que les nouveaux agriculteurs et agricultrices soient hors cadre familial ou issus du milieu, leur point commun est de vouloir transformer la ferme et le système productif. Le défi, c’est donc de faire coïncider ce à quoi aspirent ces nouvelles générations et les exploitations déjà en place. Pour rappel, 50 % des chefs d’exploitation vont cesser d’être actifs à partir de 2030. Posons-nous la question : est-ce que les fermes actuelles correspondent aux attentes des futurs installés ? Et c’est là où le bât blesse. Pourtant, 20 000 jeunes sont dans les répertoires d’aides à l’installation. Ces métiers ont donc du sens pour eux. Le problème, c’est la mise en adéquation entre les ambitions de reprendre l’exploitation ou de créer une activité, et l’exploitation existante qui a été pensée socialement, matériellement et économiquement pour un couple. Le meilleur exemple de cette problématique, ce sont les maisons de famille qui se situent dans la cour de la ferme. »

Les futures générations seront-elles dépendantes des nouvelles technologies et des outils d’aide à la décision ?

F. P. : « Le rapport à la technique et à la technologie est très variable. Certains jeunes ont un rapport à la technique et à la technologie qui est plutôt critique. Si des agriculteurs (trices) de 30 ans ne pensent, par exemple, pas à l’utilisation d’exosquelettes, ils ne s’interdisent pour autant pas des instruments qui permettent de se libérer de certaines contraintes. Ils ne veulent pas être assignés et asservis par le travail et la technique… Mais si la technologie leur permet de rompre avec cet asservissement, ils peuvent la considérer comme quelque chose de positif. Auparavant, nous entendions souvent qu’un bon d’exploitant devait être capable de tout faire. Les nouvelles générations n’aspirent pas à cela. Mais ils considèrent que s’il est nécessaire d’avoir recours à un robot, ils n’hésiteront pas à s’en servir, sans que cela ne devienne une quête absolue. »

La mutualisation du matériel et du personnel agricoles va-t-elle s’intensifier ?

F. P. : « Trois types de stratégies sont déjà à l’oeuvre. La première est la mutualisation du matériel et des assolements. La seconde stratégie, qui va se renforcer, est la délégation d’activités à des entrepreneurs ou à des Cuma, puisqu’il ne sera pas possible d’accéder à certaines technologies. La dernière est une stratégie d’insertion et d’intégration de salariés. Il faut garder en tête que l’agriculture française sera de plus en plus dépendante des actifs non familiaux. »

Propos recueillis par Léa Rochon

1. L’orientation et la formation ; la transmission ; l’installation des jeunes agriculteurs et la transition et l’adaptation face au climat.

Imaginer l’agriculture de demain
Alexia Martin et Maëlle Vialeron, élèves au lycée agricole Roanne-Chervé-Noirétable (Loire) et Alexandre Roy, étudiant en deuxième année de BTS ACSE à Moulins (Allier), ont participé aux débats organisés au lycée horticole de Dardilly (Rhône), le 6 avril dernier. ©LR

Imaginer l’agriculture de demain

LÉGISLATION / C’est un fait indéniable : d’ici dix ans, un tiers des agriculteurs seront partis à la retraite. Afin de relever ce défi de renouvellement des générations, et comme annoncé par le président de la République le 9 septembre 2022, une loi d’orientation et d’avenir agricole (LOA) est en cours d’élaboration.

La loi d’orientation et d’avenir agricole (LOA) doit s’articuler autour de quatre axes : l’orientation et la formation, la transmission, l’installation des jeunes agriculteurs et la transition et l’adaptation face au climat. Le 7 décembre 2022, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, avait lancé une concertation avec les acteurs du monde agricole, afin que le projet de loi soit proposé durant l’été.

De larges concertations

« Imaginer les contours de l’agriculture de demain, répondre aux défis qui se présentent dès aujourd’hui à elle : cela ne pouvait se concevoir sans une concertation très large, à tous les niveaux », affirme le ministère. Afin de recueillir les contributions de tous, l’État a organisé un débat de décembre 2022 à mai 2023. À l’échelle nationale, la concertation a réuni les représentants du secteur agricole, des filières, de l’enseignement, de l’orientation et de la formation continue. Au niveau régional, la concertation a été co-pilotée par les préfets de région, les présidents des conseils régionaux et animée par la chambre régionale d’agriculture dans au moins un établissement de l’enseignement agricole, agronomique, vétérinaire ou du paysage.

Quatre rencontres en Auvergne-Rhône-Alpes

En Auvergne-Rhône-Alpes, ces rencontres se sont déroulées du 28 mars au 6 avril. Elles ont été organisées à l’école nationale des industries du lait et des viandes de La-Roche-sur-Foron (Haute-Savoie), au lycée agricole du Valentin à Bourg-lès-Valence (Drôme), au lycée horticole de Dardilly (Rhône) et à l’école VetAgro Sup située à Lempdes (Puy-de-Dôme). L’objectif était de recueillir la vision des élèves et des étudiants de l’enseignement agricole, ainsi que leurs attentes vis-à-vis de leurs formations, leurs futurs métiers et l’agriculture de demain. Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a également ajouté une consultation publique. Cette dernière a pris la forme d’un questionnaire en ligne à destination du grand public et s’est clôturée le 30 avril dernier.

Léa Rochon