Proposé par Fibois1, l’événement « Vis ma vie de bûcheron » invite le grand public à découvrir un chantier forestier sur une demi-journée. Rencontre avec les travailleurs de la forêt domaniale de Bonnefoy.

Mieux appréhender l’univers forestier
La forêt domaniale de Bonnefoy se découpe en 94 parcelles forestières, destinées pour 86% à la sylviculture. Une démonstration d’abattage mécanisé a été effectuée par l'entreprise Chambon (Borée). credit AAA ALeveque

Mercredi 2 août, rendez-vous était donné au pied du mont Gerbier, avant de prendre la direction de la forêt domaniale de Bonnefoy, située sur le site classé du mont Mézenc. Une forêt de 1 200 ha composée essentiellement de résineux et divisée en 94 parcelles forestières, parfois non contiguës, appelées « tènements ». Sa gestion est confiée à l’ONF2 qui assure le renouvellement de l’écosystème forestier et veille à concilier ses fonctions économiques, environnementales et sociétales.

« De plus en plus de personnes se posent des questions sur la forêt, mais ne comprennent pas forcément pourquoi on coupe des arbres, pourquoi il y a un besoin de bois local… », explique Amandine Prévost, chargée de missions à Fibois Ardèche-Drôme. « L’idée est de montrer qu’il n’y a rien à cacher en forêt, expliquer pourquoi et comment travaillent les forestiers et les bûcherons, comment sont encadrés leurs chantiers. Le plus souvent on ne les voit pas car les chantiers forestiers sont interdits au public pour des raisons de sécurité. Derrière il y a des humains qui ont une passion et aiment la partager. »

Une quarantaine de personnes ont suivi la visite ce jour-là : des professionnels venus assister aux démonstrations de machines, des locaux désireux de mieux connaître la gestion de leurs paysages, des familles avec enfants, des touristes…

À la découverte de la forêt de Bonnefoy

En début de matinée, ils ont été sensibilisés sur l’histoire des forêts domaniales de la montagne ardéchoise, liées à celle des abbayes cisterciennes et des monastères chartreux. La forêt de Bonnefoy ne fait pas exception. Elle s’étend sur d’anciennes terres du seigneur du Mézenc données à l’ordre des Chartreux, qui y fonde la Chartreuse de Bonnefoy au milieu du XIIe siècle. Un monastère et son « désert » de plusieurs milliers d’hectares, où des moines vivent de l’élevage, de la mise en fermage de terres et de la forêt, avant d’être affaiblis par la guerre de Cent Ans, les guerres de religion, la Révolution… Une fois le monastère délaissé, l’État conservera les forêts autour de la Chartreuse. Depuis, ces terrains sont gérés par les services forestiers de l’État. « D’autres parcelles de la forêt de Bonnefoy sont issues du RTM3 », ajoute Isabelle Gillibert, responsable de l’unité territoriale Nord Ardèche de l’ONF. Ils s’inscrivaient dans des opérations de reboisement mises en œuvre par l’administration des Eaux et Forêts dès la fin du XIXe siècle pour stabiliser et restaurer les sols de pentes afin de limiter les dégâts de l’érosion sur le ruissellement. Dans les départements alpins, les terrains RTM sont gérés aujourd’hui par un service de l’ONF spécialisé sur la prévention des risques naturels en montagne.

Une forêt qui produit

Positionnée autour et sur les parties hautes des sucs phonolitiques, la forêt domaniale de Bonnefoy est destinée pour 86 % à la sylviculture. Une forêt qui produit. « Pour toutes les forêts gérées par l’État, des plans de gestion sont réalisés. Ils permettent d’établir pour une durée de 20 ans les coupes et les travaux à effectuer », explique Isabelle Gillibert aux visiteurs. Sur les sites classés, ces plans de gestion doivent être validés par la Direction de l’environnement. « La forêt se traite généralement en futaie irrégulière : les arbres ont des âges différents. Nous effectuons alors des travaux d’amélioration, des coupes d’arbres de différents diamètres. Sur ces parcelles-ci, on est en présence d’une futaie régulière : les épicéas ont tous le même âge. Nous réalisons d’abord des cloisonnements dans le peuplement afin de circuler dans la parcelle, puis nous travaillons en amélioration sur le reste de la parcelle en enlevant certains arbres au profit d’autres ou en effectuant des trouées pour permettre à d’autres essences forestières de s’installer. Nous ne réalisons pas de coupes rases, sauf en cas de dépérissement forestier. » Sur une parcelle relativement plate de 8 ha, un chantier de bûcheronnage d’épicéas, plantés dans les années 1970, est à pied d’œuvre. Une première coupe d’éclaircie a été réalisée quinze ans auparavant prélevant une rangée d’épicéas sur cinq et les arbres les moins bien conformés dans les interbandes. Elle a permis de créer des passages pour les machines afin d’éviter le tassement du sol.

Tendre vers des futaies irrégulières

Pour préparer ce chantier d’abattage, des techniciens forestiers viennent d’abord désigner les arbres à abattre selon des critères sanitaires et de positionnement. « Nous ne marquons pas les arbres qui ont des trous de pics, qui présentent des cavités, des champignons et des nidifications, précise Isabelle Gillibert. Notre objectif est de tendre vers une futaie irrégulière, couper des arbres pour que d’autres grossissent et afin de permettre à la régénération naturelle et à d’autres essences de s’installer (sapins et feuillus divers). On est entre 1 300 et 1 400 m d’altitude ici, la production de bois est de 3 à 4 m3/ha/an, ça ne pousse pas vraiment. L’épicéa est la première essence touchée par le réchauffement climatique. On est très actif d’ailleurs sur son renouvellement. »

Le choix des essences plantées est souvent compliqué avec le réchauffement climatique et la modification de l’aire géographique des arbres. Trois éléments sont pris en compte : le sol, l’exposition et l’altitude de la parcelle. Le site Internet ClimEssences permet aussi de visualiser les évolutions du climat futur et ses incidences sur la répartition des espèces forestières. « Nous essayons de planter un maximum de mélange d’essences les mieux adaptées. Notre priorité est de maintenir un abri. »

Après le marquage de la coupe, le diamètre des arbres est mesuré pour estimer leurs volumes de bois, en fonction de barèmes de hauteur. Sur cette parcelle, 1 270 épicéas de 25 à 30 cm de diamètre permettront d’exploiter environ 500 m3 de bois. « Ce sont de petits diamètres, donc c’est très bien que l’on puisse réaliser un chantier mécanisable car ce serait compliqué en manuel, nous ne pourrions pas exploiter la forêt. » Un bûcheronnage mécanisé peut gérer près de 100 m3/jour de bois (soit la coupe de 200 à 250 arbres) contre 20 m3 en manuel sur une parcelle peu pentue et dans des bois de petits diamètres.

Une taille calibrée selon les attentes des acheteurs

Une démonstration d’abattage mécanisé a été effectuée par Ludovic Chambon, exploitant forestier à Borée, muni d’une abatteuse à chenilles avec système de scie tronçonneuse, qui permet de travailler à l’horizontale dans des pentes de 60 %. « La taille est calibrée selon les attentes des acheteurs. Nous avons besoin d’un minimum d’infos sur l’utilisation qui sera faite du bois pour évaluer la branchaison, la rectitude et l’état sanitaire des bois », explique-t-il. Les branches et les restes de troncs sont laissés à même le sol, pour reconstituer son humus et favoriser la biodiversité.

S’ensuit le débardage, qui a fait l’objet d’une seconde démonstration. Les bois sont transportés et triés. « En abattage manuel, nous utilisons un tracteur, et en abattage mécanisé un porteur », a expliqué Alan, ouvrier forestier. « Les bois sont triés puis mis en tas selon leur qualité et leur destination : bois d’œuvre, palette, trituration pour l’activité des papeteries et bois énergie. » Après avoir suivi des études de travaux forestiers au Cefa4 de Montélimar, travaillé comme bûcheron manuel puis conduit des engins pour des travaux publics, Alan est revenu à ses ambitions initiales. « La forêt me manquait trop. Il y a de grosses journées, mais c’est intéressant. Le travail varie sans cesse, on doit s’adapter à la qualité des bois, aux coupes et aux pentes. »

Les bois fraîchement triés seront transportés par grumier auprès de leur acheteur, une scierie de Haute-Loire. « La vente s’effectue soit par catalogue, le bois est vendu sur pied et disponible au printemps et à l’automne, soit en bord de route lorsque l’on fait couper en tant que maître d’œuvre », précise Isabelle Gillibert.

Anaïs Lévêque

1. Interprofession sous statut associatif qui regroupe toutes les professions de la filière forêt-bois.

2. Office national des forêts.

3. Restauration des terrains en montagne.

4. Centre d’études forestières et agricoles de Montélimar, aujourd’hui appelé Sylva Campus.

FILIÈRE / Une palette de métiers face à un manque de candidats
credit AAA ALeveque

FILIÈRE / Une palette de métiers face à un manque de candidats

En Ardèche, l’exploitation et la transformation du bois comptent de nombreux professionnels : 33 scieries (174 personnes) et 582 entreprises de seconde transformation (menuiseries, entreprises de charpentes, construction bois, fabrication de palettes/emballages). « Ces métiers sont encore peu connus et souvent mal vus. Ils sont pour certains difficiles, physiques. Ils requièrent de la technicité et beaucoup d’attention, surtout sur le bûcheronnage manuel », constate Amandine Prévost. « C’est une filière qui recrute énormément et a du mal à trouver des candidats qualifiés. Nous avons besoin de jeunes qui s’intéressent à ses métiers. »

L’événement « Vis ma vie de bûcheron » vise aussi à sensibiliser le grand public sur la valorisation du bois local et la provenance des bois vendus en grande surface de bricolage ou chez le négoce. « Un marché inondé de produits importés de pays européens ou plus lointains. » La ressource ne manque pas en Ardèche : 59 % de sa surface est boisée. En revanche 20 % de l’accroissement biologique annuel de ses forêts sont prélevés en moyenne (hors consommation de bois de chauffage). « La forêt est sous-exploitée et nous avons de plus en plus besoin de bois. Autant que ce soit de la ressource locale pour limiter notre bilan carbone. En France, on est tenu à une gestion responsable, donc la ressource et son renouvellement sont préservés. »

A.L.

La forêt ardéchoise

  • 326 000 ha (+8,5% par rapport au dernier inventaire IGN 2005-2009).
  • 60% de feuillus, 20% de résineux et 20% de peuplements mixtes.
  • Volume sur pied : 43 millions de m3.
  • 90% de forêts privées (60 000 propriétaires environ).
  • Les forêts publiques bénéficient du régime forestier : un peu moins de la moitié sont domaniales, les autres la propriété des collectivités (dont 107 communes).

Source Fibois Ardèche Drôme