ÉCONOMIE
Marché bio : le salut se trouve dans l’assiette

Le marché de la bio est en crise. En 2022, au global, il s’est replié de 4,6 %. Si sur le premier semestre 2023, la baisse semble se stabiliser, les acteurs de la filière bio sont persuadés que le salut passera par davantage de communication auprès des consommateurs et donc davantage de bio dans leurs assiettes.

Marché bio : le salut se trouve dans l’assiette
Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, a annoncé une enveloppe de 5 millions d’euros par an pendant trois ans, à partir de 2024, pour engager une campagne de communication sur le bio. ©Xavier_Remongin_Min_Agri_

Comme chaque année, au début de l’été, l’Agence bio présente les chiffres panoramiques du bio en année N-1. Et en 2022, les voyants étaient au rouge pour la deuxième année consécutive. En effet, le marché du bio consommé à domicile, « dont le secteur dépend lourdement (92 % des débouchés) », selon l’Agence bio, se replie de 4,6 % au global quand la part des produits bio dans le panier est en baisse de 6 % en valeur (contre 6,4 % en 2021). Le marché perd 600 millions d’euros (M€) pour atteindre 12 076 milliards d’euros (Md€) en 2022. Ainsi, le chiffre d’affaires est en baisse pour la majorité des circuits de distribution : - 8,6 % pour les magasins bio, - 4,6 % pour la grande distribution et - 2,6 % pour les artisans (bouchers, boulangers…). Seuls les producteurs travaillant dans l’une des 26 000 fermes vendant en direct partout sur le territoire tirent leur épingle du jeu. « Le bio local de proximité vendu à la ferme est en croissance de 3,9 % », révèle l’agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique. Entre le bio et le local, le consommateur ne veut pas faire de choix. Toutefois, cela ne semble pas suffisant pour convaincre les producteurs à s’engager dans la voie du bio car en 2022, les surfaces en première année de conversion sont en baisse quand les arrêts sont en légère hausse. Côté
restauration hors domicile (RHD), « tout reste à faire », a affirmé la directrice de l’Agence, Laure Verdeau, au Salon Tech&Bio fin septembre. En 2022, les denrées bio représentent moins de 2 % des achats des restaurateurs et 7 % des achats de la restauration collective.

Communiquer auprès des consommateurs

« Si l’on veut 18 % d’agriculture biologique dans les champs en 2027 (objectif national de la SAU en AB. En 2030, l’objectif est de 20 %. NDLR), il faudrait 18 % dans l’assiette et pas qu’à domicile. » Alors c’est certain, pour l’Agence bio, le salut passera par davantage de communication auprès des consommateurs. Un appel du pied entendu par le ministère de l’Agriculture qui a alloué une enveloppe de 15 M€ par an sur trois ans à cet effet. Les projets alimentaires territoriaux (PAT) seront également des clés pour permettre aux cantines, notamment, d’atteindre les objectifs de la loi Égalim. Par ailleurs, selon l’Agence bio, ce recul du marché bio déséquilibre les filières de la production agricole. Preuve en est, le nombre d’entreprises de l’aval certifiées bio accuse une baisse « inédite » de 2 %, passant d’un peu plus de 29 000 en 2021 à 28 547 en 2022. Se pose alors un véritable enjeu filière. Il ne fait alors aucun doute que le marché bio français est en crise. Pour autant, les acteurs veulent y croire. « Nous nous trouvons actuellement dans la bulle de la crise. [….] La situation est compliquée pour la bio, mais elle l’est pour l’ensemble des produits alimentaires. Aujourd’hui, nous devons convaincre les consommateurs d’investir dans leur alimentation. Nous devons trouver des solutions ensemble, de la production à la distribution. Nous avons tous un petit pouvoir pour que les choses repartent et s’améliorent », a lancé le président de l’Agence bio, Loïc Guines à Tech&Bio.

La crise ralentit

Les premiers sursauts semblent apparaître. Pour la première fois cette année, l’Agence bio a conduit une enquête sur l’évolution des ventes alimentaires biologiques sur le premier semestre 2023. « Cette année, nous avons voulu donner un panorama plus large en incluant une enquête auprès des artisans et des producteurs au cours de l’été. Cela nous a permis d’estimer la situation sur le premier semestre 2023. Et si nous ne pouvons pas parler de sortie de crise, car il y a des filières qui sont encore clairement touchées par cette baisse de consommation, les circuits spécialisés et les artisans tendent à dire qu’il y a une stabilisation de la régression », a expliqué Dorian Fléchet, chargé de l’Observatoire national de l’agriculture biologique à l’Agence bio. Ainsi, la note conjoncturelle estime que le recul en valeur au premier semestre 2023 se limiterait à 2,7 %. Toutefois, il est important de noter que le prix des produits a augmenté et la hiérarchie des prix entre le bio et le non bio a été respectée. « L’écart des prix entre produits alime taires bio et non bio est resté important dans le circuit généraliste, alors qu’au stade agricole, selon les semaines et les produits, les deux courbes des prix bio et conventionnels peuvent se rapprocher ou se croiser. Les producteurs et collecteurs bio déplorent de constater, en aval, un écart très important entre les deux catégories, alors que les prix agricoles convergent », indique l’enquête. L’enjeu reste grand.

Marie-Cécile Seigle-Buyat

BOVIN LAIT

L’inflation et la baisse de la consommation impactent la filière lait bio

Après une croissance ralentie en 2022, le repli de la collecte de lait en agriculture biologique se poursuit en 2023. Cette tendance, doublée à une érosion de la consommation des ménages, met à mal la filière.

Au Salon Tech&Bio 2023, la conférence dédiée à l’économie, au climat et au marché du lait bio a fait salle comble. Cet engouement a pris sens dès la première diapositive. À partir de 2018, date à laquelle les éleveurs laitiers bio bénéficiaient de revenus supérieurs par rapport aux éleveurs conventionnels, la conjoncture s’est totalement inversée. « Ce constat économique a pu créer une frustration chez les éleveurs qui se sont convertis en 2015 et 2016 », a concédé Yannick Péchuzal, de l’Idele. Les écarts de revenus ne sont pour autant pas mauvais pour tous les élevages bio. Selon l’Institut de l’élevage, entre 2020 et 2022, 25 % d’entre eux avaient des résultats au-delà de 40 000 €/UMO exploitant (UMOex) et 25 % étaient en deçà de 20 000 €/UMOex. Ces écarts de résultats sont multifactoriels et dépendent autant du niveau des investissements, de la maîtrise technique, que de la sensibilité aux aléas et à l’autonomie alimentaire. « L’autonomie alimentaire coûte cher, lorsque l’on souhaite maintenir la production », a tenu à rappeler le conseiller. Entre 2018 et 2022, les éleveurs laitiers ont fait face à une hausse des charges non compensées. La main-d’oeuvre (+ 34 %), le matériel (+ 37 %) et les bâtiments (+ 11 %), sont de loin les charges ayant le plus augmenté (+ 21 7 000 €). Les charges dites opérationnelles, dont l’alimentation achetée, ont atteint une croissance de 19 % (+ 7 400 €). « Contrairement au lait bio, le prix du lait conventionnel a permis de compenser cette même hausse de charges », a indiqué le professionnel, devant une foule attentive. Face à ce constat, certains producteurs bio peuvent envisager la déconversion. Une fausse bonne idée, selon l’Idele, qui rappelle que ce changement est coûteux, puisqu’il implique une perte des aides de 6 000 €/UMOex.

Baisse de la collecte et des achats des ménages

Parallèlement à cette hausse des charges, l’Idele note que la collecte de lait bio se rétracte depuis le premier semestre 2023 (- 3,4 % par rapport au premier semestre 2022) et devrait se poursuivre en 2024. La raison ? L’impact du climat et la baisse du nombre de livreurs. Le prix du lait bio connaît pourtant une stabilité interannuelle, avec un écart de prix avec le lait conventionnel autour de 120 €/1000 l. Selon Christine Goscianski, experte en conjoncture pour l’Idele, la principale problématique reste l’inflation et ses conséquences sur la consommation des ménages. L’étude de l’Idele révèle que l’envolée des prix alimentaires entamée en 2022, se poursuit en 2023 (+ 20,5 % depuis novembre 2021). Cette inflation a fortement fait chuter les achats en volumes et a engendré une descente en gamme. En 2022, les ventes de fromages en libre-services bio et les crèmes bio ont chuté de 15 et 16 %.

À titre de comparaison, les mêmes produits non bio n’ont connu qu’une chute de 2 % et 4 %. Cette décrue des ventes de produits laitiers bio se poursuit en 2023, atteignant jusqu’à - 19 % pour les fromages en libre-service ; tandis que les ventes de produits laitiers non bio ne reculent plus. Selon l’experte, « les produits laitiers bio ont atteint un seuil de prix de vente en magasins devenu dissuasif à l’achat et leur valeur ajoutée n’est plus perçue par le consommateur ». Toutefois, ces produits laitiers ont moins souffert de la déconsommation que d’autres produits. La reprise de la consommation dépendra donc inévitablement d’une amélioration du pouvoir d’achat des Français et d’une meilleure communication sur les valeurs intrinsèques des produits bio.

Léa Rochon

Évolution des ventes des produits laitiers bio et conventionnels en volume

Évolution des ventes des produits laitiers bio et conventionnels en volume
Les producteurs bio entre fierté et inquiétudes
Selon une enquête de l’Agence bio, 86 % des sondés affirment que le fait d’avoir passé le cap de la conversion en bio participe à leur bonheur. ©Xavier_Remongin_Min_Agri.
BAROMÈTRE

Les producteurs bio entre fierté et inquiétudes

En avril et mai 2023, l’Agence bio pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, a mené une vaste enquête auprès de 11 625 agriculteurs et agricultrices bio, soit 20 % des producteurs nationaux. Résultat : 62 % des répondants ont indiqué garder confiance en l’avenir.

En France, les agriculteurs et agricultrices bio affirment en grande majorité (86 %), que le fait d’avoir passé le cap de la conversion participe à leur bonheur. C’est ce que révèle une enquête menée par l’Agence bio durant le printemps 2023, auprès de 11 625 personnes, sur un total de 60 000 producteurs en agriculture biologique. Selon l’agence, les filières bovines, légumes, plantes aromatiques, caprine et volailles seraient celles ayant le plus répondu à l’enquête. Parmi les motivations majeures pour se convertir en bio, les concernés évoquent, en grande majorité, prendre soin de l’environnement (85 %), préserver la santé (77 %) et retrouver la fierté de produire des aliments bons et sains (55 %). Les agricultrices et agriculteurs bio sont 62 % à exprimer leur confiance quant à l’avenir du développement du bio. Cet optimisme est encore plus marqué parmi ceux engagés en 100 % bio, avec 68 % de confiance exprimée.

Accélérer la communication autour du bio

Toutefois, cet optimisme n’occulte pas certaines préoccupations et difficultés. L’agence note que 50 % des producteurs déplorent la faiblesse de plus-value sur une ou toutes leurs productions ; tandis que 43 % s’inquiètent de la suppression des aides au maintien et 38 % disent devoir faire face à l’alourdissement et à l’augmentation des dépenses liées à la production et à la main-d’oeuvre. Les filières lait, poulet, porc et grandes cultures sont les moins enthousiastes. Mais ce taux d’insatisfaction reste très faible et concerne entre 8 et 11,5 % des répondants. Face à ces difficultés, la moitié des professionnels sondés pense qu’il est essentiel de renforcer l’information des bienfaits de l’agriculture biologique auprès du grand public, ainsi que les aides. Au total, deux producteurs sur trois ne sont pas satisfaits de la communication faite
autour de la promotion de l’agriculture biologique. Incontestablement, la réponse la plus souvent donnée concerne la vente au juste prix de la production
agricole bio et le développement de ses débouchés (55 %), tandis que 40 % des producteurs mettent l’accent sur la nécessaire baisse des charges.

Une satisfaction différente selon les filières

Les sondés originaires de la région Auvergne- Rhône-Alpes, troisième région en termes de surfaces et de nombre d’exploitations en 2022, se démarquent sur plusieurs points. Durant l’enquête, 88 % disent être fiers d’être en agriculture biologique, contre 95 % au niveau national. Les notes liées à la fierté et à la satisfaction d’être labellisé en agriculture biologique se révèlent particulièrement élevées pour les filières viticole et maraîchère. Les notes les plus basses concernent les producteurs de vaches laitières, les plantes à parfum aromatiques et médicinales et les monogastriques. L’installation est souvent citée comme une période particulièrement difficile dans le parcours professionnel. L’accès au foncier et le fait de ne pas bénéficier de revenus dès les premières années étayent cet argument. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2018 et 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes a connu un recul de 27 % des surfaces en conversion. Bien au-dessus des 12 % estimés au niveau national.

Léa Rochon

AILLEURS / Le marché bio Outre-Rhin

Comme en France, le marché bio allemand a connu, en 2022, une année noire. Selon l’Agence bio, en 2022, il a en effet reculé de 3,5 % par rapport à 2021, s’établissant à 15,3 milliards d’euros, un niveau légèrement supérieur à celui de 2019 avant la crise de la Covid-19. En revanche, l’année 2023 semble se présenter sous de meilleurs auspices. Si la reprise n’est pas encore tout à fait encore au rendez-vous, le marché paraît en prendre le chemin. En effet, selon Burkhard Schaer co-directeur d’Ecozept1 qui est intervenu lors d’une conférence sur le Salon Tech&Bio fin septembre : les acteurs du bio allemands commencent à souffler de soulagement depuis le début de l’année avec plusieurs mois consécutifs d’évolution positive du chiffre d’affaires. « Concernant les volumes, les choses sont un peu plus compliquées. L’inflation a fortement touché l’Allemagne, même plus fortement qu’en France », a noté le cofondateur d’Ecozept. Côté prix, l’expert a affirmé qu’il n’y avait pas eu de grande baisse de prix pour les grands produits de référence. « Ce qui a créé un sentiment de stabilité sur les marchés. C’est rassurant », a-t-il dit. Concernant les canaux de distribution, le discount n’a, selon Burkhard Schaer, pas connu la crise et continue même « à progresser. Les consommateurs n’ont en effet pas abandonné le bio, mais sous la contrainte de l’inflation ils changent de lieux d’achats ». Du côté des magasins spécialisés, les plus concernés par le véritable acte d’achat des consommateurs, l’expert est formel : ils retrouvent le chemin de la croissance. « Nous attendons même un bilan positif pour 2023. » Selon l’éco-baromètre 2022 du ministère fédéral de l’Alimentation et de l’Agriculture (BMEL) allemand, les consommateurs plébiscitent toujours les aliments issus de l’agriculture biologique même en temps de crise. En effet, 89 % des
personnes interrogées affirment vouloir acheter des aliments biologiques à l’avenir (Au total, 1 014 entretiens ont été évalués pour les résultats. NDLR). La demande
d’aliments biologiques est la plus forte pour les oeufs ainsi que pour les légumes et les fruits, suivis par les pommes de terre, les produits laitiers et les produits à base de
viande ou de charcuterie. Les confiseries biologiques et les boissons alcoolisées sont, quant à elles, moins couramment achetées. Alors pourquoi un début de reprise aussi rapide ?

Parés face à la crise

Pour Burkhard Schaer, l’explication réside dans le fait qu’« en France, le bio ne connaît que le succès. Il a toujours été en croissance. La gestion de crise est donc absente car nous n’avons jamais fait face à cette situation. C’est une situation exceptionnelle en Europe. Dans d’autres pays, nous avons tous déjà connu des crises et c’est toujours reparti vers le haut après un moment de sidération ». En 2002-2003, la consommation a baissé en Allemagne et il y a eu une surproduction céréalière. « Il a été nécessaire de restructurer la filière. Il y a eu l’apparition des premiers outils de régulation de l’offre. » Une deuxième crise a eu lieu en 2008-2009, corrélée à la crise financière. « C’est à ce moment-là qu’il y a eu les premières incitations des acteurs à la mise en place d’outils pour mieux observer, mieux comprendre et mieux agir en cas de crise », a expliqué l’expert d’Ecozept. Pour rappel, fin 2022, en Allemagne, près de 37 000 exploitations agricoles sur plus de 1,8 million d’hectares produisaient en agriculture biologique. Le marché bio allemand est le deuxième marché bio mondial derrière les États-Unis et juste devant la France.

Marie-Cécile Seigle-Buyat

1. Ecozept est une agence d’expertise-conseil et de recherche franco-allemande, spécialisée dans les marchés agroalimentaires durables, l’économie circulaire et la gestion durable des espaces agricoles.