Le 3 janvier 1924 naissaient les chambres d’agriculture, fruit d’une longue bataille entamée dès 1851. Depuis leurs origines, leurs missions se sont élargies. Retour sur l’histoire mouvementée d’une institution clé pour le développement de l’agriculture.
L’idée des chambres d’agriculture comme organismes publics chargés d’organiser la consultation entre l’État et les agriculteurs est ancienne puisque les chambres existent légalement depuis 1851¹. Dans la pratique, il faut attendre 1924 et la promulgation de la loi de création de ces établissements consulaires et surtout 1927 pour qu’une loi de finances leur permette effectivement de fonctionner au niveau de chaque département français. Ce retard dans la mise en oeuvre peut être interprété par le fait que les parlementaires, à l’époque très majoritairement issus de régions rurales, voyaient d’un mauvais oeil la mise en place d’organismes pouvant les concurrencer dans leur mission de représentation des intérêts des ruraux. Explications de Guillaume Pierre dans L’histoire des chambres d’agriculture entre 1924 et 1940 : une image de la paysannerie française entre les deux guerres : « Pendant et sitôt après la Première Guerre mondiale, les pouvoirs publics avaient renforcé leurs moyens d’intervention dans l’économie agricole, en particulier par la création des Offices agricoles : or, le vieux projet de loi, maintes fois remanié, tendait à créer des chambres professionnelles agricoles, revint en 1919 devant la Chambre des députés élus au printemps de 1914. Les pouvoirs publics sont alors hostiles, dans leur grande majorité, à un projet qui prévoit de donner à ces organismes nouveaux un pouvoir de représentation et d’intervention qui en ferait des puissances sociales, voire politiques. C’est en l’absence du ministre de l’Agriculture que des députés peu nombreux votent une première loi créant les chambres d’agriculture, le 25 octobre 1919 ».
Défiance originelle
Cette loi donnait sur bien des points satisfaction aux associations agricoles ; elle autorisait en particulier la mise en place de chambres d’agriculture régionales puissantes, accédant ainsi en grande part au souhait du courant régionaliste issu du catholicisme social, prépondérant dans nombre de syndicats agricoles. Mais les associations agricoles, momentanément réunies au sein de la Confédération nationale des associations agricoles, et décidées à minimiser la part du suffrage universel, jugèrent le contexte politique favorable à une mise en demeure adressée à la majorité du Bloc national. La présence de l’un des leurs, le ministre Joseph-Honoré Ricard, à l’Agriculture, leur permit de faire… « oublier » la loi précédemment votée ! Quatre années de nouveaux rapports devant la Chambre des députés et le Sénat, favorables aux thèses des associations agricoles, quatre années de discussions incessantes et de navette aboutirent, avec la loi du 3 janvier 1924, au mauvais compromis qui institua finalement des chambres d’agriculture en France. L’histoire de leur origine explique pour une bonne part que l’on ait attendu ensuite trois ans pour procéder aux élections générales agricoles et à la mise en place réelle des chambres. Elle explique aussi le rôle, somme toute secondaire, que joueront ces organismes jusqu’en 1940, l’enthousiasme en leur faveur ne régnant ni chez les pouvoirs publics qui ne les consultent guère, ni chez les dirigeants des associations agricoles qui craignent d’en faire une puissance rivale de l’organisation syndicale.
Le tournant des années cinquante
Dès 1927, les chambres se dotent d’une représentation nationale, l’Assemblée permanente des présidents de chambres d’agriculture (APCA, aujourd’hui Chambres d’agriculture France) qui ne sera reconnue officiellement qu’en 1935. Cette instance nationale a joué un rôle important de débat et de confrontation des points de vue professionnels dans la période de l’entre-deux-guerres. L’APCA a aussi joué un rôle important de soutiens (financier et politique) aux jeunes syndicats agricoles spécialisés créés au début des années 1920 comme l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB). Pratiquement dissoutes pendant la période de Vichy (1940-1944), les chambres d’agricultures sont réhabilitées en 1949. Elles deviennent alors progressivement une institution clé du monde agricole français et ceci pour deux raisons principales. La première réside dans leur position d’interlocuteur officiel avec les pouvoirs publics qui leur offre une place de choix pour participer aux débats sur les politiques agricoles. Le deuxième est lié à leur poids financier qui leur permet de disposer, dans chaque département, d’un budget significatif.
Une position clé dans le conseil aux agriculteurs
Depuis le début du XXe siècle, ce sont les pouvoirs publics qui assuraient cette fonction de conseil technique aux agriculteurs par le biais des services agricoles au niveau de chaque département. La décennie des années 1950 correspond à la montée en puissance des organisations agricoles comme fournisseurs de conseil, montée qui culmine en 1965 par une réforme profonde de l’administration agricole sonnant le glas des services agricoles (création des directions départementales de l’agriculture – DDA et du corps des ingénieurs du génie rural et des eaux et forêts – IGREF qui absorbe les anciens ingénieurs des services agricoles). S’appuyant sur leur légitimité élective et sur leurs moyens, quelques chambres d’agriculture commencent à embaucher des techniciens agricoles dans les années 1950. En 1959, les chambres emploient près de 200 techniciens sur l’ensemble du territoire français. Aujourd’hui, les chambres d’agriculture comptent 4 200 élus et près de 8 000 salariés. La gouvernance de chaque chambre départementale est assurée par 33 membres élus. Le conseil, la formation, l’aide à la gestion auprès des agriculteurs, ainsi que de la représentation sur le territoire sont les piliers de leurs actions. Plus de la moitié des membres élus sont affiliés aux syndicats d’exploitants, les salariés disposant de trois sièges. Lors du scrutin de 2019, le duo FNSEA- Jeunes agriculteurs disposait d’une majorité de suffrages (46 % de participation), devant la Coordination rurale et la Confédération paysanne (autour de 20 % des suffrages) côté employeurs, tandis que côté « salariés », la Confédération française et démocratique du travail et la Confédération générale du travail représentaient près de 50 % des suffrages (42 % de participation) devant la CFTC. Les prochaines élections interviendront début 2025.
Sophie Chatenet avec documents d’archives (BNF Gallica, APCA)
1. La création des chambres d’agriculture fut suggérée dès 1840 par le maréchal Bugeaud, député de la Dordogne.
Des évolutions au fil des ans
Depuis la loi de 1924, l’évolution de l’institution consulaire a été balisée par d’autres textes :
• Décret du 30 octobre 1935 (IIIe République) instituant l’Assemblée permanente des présidents de chambre d’agriculture (APCA), « organe consultatif et représentatif des intérêts généraux et spéciaux de
l’agriculture métropolitaine » à statut d’établissement public.
• Loi n° 2005-157 du 23 février 2005 (Ve République) relative au développement des territoires ruraux, dont les articles 67 à 70 redéfinissent les rôles des différents échelons du réseau des chambres (APCA, chambre régionale d’agriculture).
• Loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture qui élargit la compétence des chambres d’agriculture à la matière forestière.
• Décret du 13 mai 2016 relatif au réseau des chambres d’agriculture renforçant le rôle des chambres régionales d’agriculture et la mutualisation de moyens entre échelons départemental et régional